SUISSE - Ce que nous mangeons passe par leurs mains!

de Raymond Gétaz, membre FCE Suisse, 2 août 2020, publié à Archipel 294

Au début de la crise du coronavirus, en première réaction, une foule de gens s’est ruée sur les denrées alimentaires. Les étals vides des supermarchés ont accentué la panique instinctive liée à la peur du manque. Du jour au lendemain, la demande de fruits et légumes bio ou produits localement a explosé. Maintenant que la tempête semble passée, que reste-t-il dans la tête de nombreux·ses consommateur·trices qui, à peine les frontières ouvertes, sont déjà en route vers les supermarchés moins chers des pays voisins?

La politique agricole menée après la Seconde Guerre mondiale a conduit, année après année, à une baisse des prix des produits alimentaires. Elle a émis les lignes directrices promouvant la monoculture à grande échelle, concentrant les différentes productions agricoles dans des régions spécifiques et condamnant des millions de paysans et de paysannes à quitter leurs terres. Désormais, lors de la saison agricole, ce sont des centaines de milliers de migrant·es qui servent de main-d’œuvre bon marché à des entreprises spécialisées. Pour faire face à la politique de prix dégressifs, les fermes restantes ont été contraintes de s’agrandir et d’augmenter leur productivité: croître ou mourir!

Bien que l’alimentation soit clairement l’un de nos besoins des plus fondamentaux, les personnes travaillant dans l’agriculture n’ont pas été et ne sont toujours pas reconnues pour leur engagement indispensable. L’existence de nombreuses fermes est menacée et malgré des journées de travail plus longues que la moyenne, les salaires des travailleur·euses sont souvent inférieurs aux salaires minimums admis. Une grande partie de ce que nous mangeons passe par les mains de personnes qui sont traitées indûment et vivent dans la précarité. La crise du coronavirus doit servir à trouver enfin les moyens d’ancrer dans la société les besoins essentiels à leur juste valeur et de garantir de bonnes conditions de vie et de travail à tous ceux et toutes celles qui participent à la production alimentaire. Une réorientation de la politique agricole européenne et suisse est nécessaire de toute urgence pour y parvenir.

Les consommateur·trices sont également invité·es à se confronter de plus près à l’origine et aux conditions de production des aliments et, dans la mesure du possible, à s’impliquer directement. Les nombreuses initiatives ville-campagne qui ont fleuri ces dernières années montrent de nouvelles façons de rapprocher consommateur·trices et pro-ducteur·trices. En parallèle, nous devons continuer à travailler ensemble pour de meilleures conditions de travail dans l’agriculture. Dans ce contexte, nous aimerions attirer votre attention sur deux publications à ce sujet. En juin, une étude de deux historiens, Jan Chiarelli et Gilles Bourquin «Travailleurs et travailleuses agricoles à la peine» a été publiée. Celle-ci analyse les conditions de travail dans différents cantons suisses entre 2000 et 2018. L’éditrice, la Plateforme pour une agriculture socialement durable(1), une organisation cofondée par le FCE, s’engage depuis vingt ans avec persévérance pour les droits des ouvrières et ouvriers agricoles. La plateforme demande que le travail agricole soit soumis à la loi sur le travail et que l’on mette fin à l’inégalité des conditions de travail entre les cantons. Ces demandes sont également soutenues par une interpellation de la conseillère nationale Meret Schneider lors de la session de juin du Conseil national.

En Allemagne, les jeunes volontaires de l’association Interbrigadas œuvrent depuis plusieurs années à l’amélioration des conditions de travail des journalier·es agricoles par le biais d’affectations internationales dans le sud de l’Espagne. Dans une brochure parue seulement en allemand(2), l’association décrit ses expériences dans la lutte contre l’agrobusiness et le pouvoir des supermarchés entre Berlin et Almeria. L’association soutient également les efforts en faveur d’une «loi sur les chaînes d’approvisionnement» (Lieferkettengesetz) qui, à l’instar de l’initiative pour des multinationales responsables en Suisse, rend les entreprises responsables des conditions de travail et des conséquences environnementales de toutes leurs activités. Les deux brochures peuvent être commandées auprès du FCE, cette dernière n’existant pour le moment qu’en allemand.

Les étals vides des supermarchés sont un signal d’alarme. La base de notre approvisionnement alimentaire est déléguée à un nombre toujours plus petit de personnes et devient de plus en plus vulnérable. Pour changer de cap, il faut davantage de volontaires qui s’engagent en faveur d’une agriculture durable et, surtout, d’un nouvel élan de solidarité avec ceux et celles qui ont déjà les mains dans la terre.

  1. http://www.agrisodu.ch/
  2. «Vom Anfang und Ende der Lieferkette» https://www.interbrigadas.org/.