SUISSE / MIGRATIONS: Acquittement pour action solidaire

de Michael Rössler, 10 sept. 2025, publié à Archipel 350

Le 8 juillet 2025, le procès de Caroline Meijers, présidente du «Mouvement jurassien de soutien aux sans-papiers»[1], se tenait à Porrentruy dans le canton suisse du Jura. Elle avait mis son adresse à disposition d’un demandeur d’asile syrien débouté afin qu’il puisse recevoir du courrier de l’Office des migrations pour la reprise de sa procédure; lui-même était entré dans la clandestinité.

Cela avait suffi pour qu’un matin, plusieurs policiers se présentent chez Caroline et perquisitionnent son appartement. Bien que la perquisition n’ait révélé aucun signe d’hébergement du Syrien, le parquet a engagé des poursuites pour «infraction à la loi sur l’entrée et le séjour irréguliers d’un étranger».[2] Un délit passible d’un an de prison. Cette tentative des autorités de criminaliser la solidarité avec les sans-papiers et les réfugié·es a suscité un large soutien en faveur de l’accusée.

Salle d’audience pleine à craquer

Le jour du procès, la salle d’audience est pleine à craquer: nous sommes environ soixante-dix, venu·es de toute la Suisse avec des banderoles et des pancartes dénonçant le «délit de solidarité» et l’inhumanité du régime des frontières. Même un chien est de la partie, qui parvient à arracher un léger sourire au juge et revendique tacitement un droit de séjour dans la salle. La tolérance envers notre troupe bigarrée dans la salle d’audience nous surprend de manière positive, sans toutefois nous détourner du sérieux du procès et de l’inquiétude pour l’accusée. Le ministère public cantonal n’a pas jugé nécessaire d’envoyer un représentant – peut-être le signe qu’il s’est rendu compte que son accusation ne tenait pas vraiment la route.

Caroline prend longuement la parole et fait un plaidoyer en faveur de la solidarité et de la désobéissance civile, qui est parfois le seul moyen de protéger les personnes en détresse. Le public applaudit à tout rompre, sans que le juge ne fasse évacuer la salle. Caroline défend son principe, mais nie avoir hébergé le demandeur d’asile syrien chez elle. Son avocat affirme que même si elle l’avait fait, un hébergement de courte durée, jusqu’à trois semaines par exemple, ne favoriserait pas un séjour illégal. En effet, le Tribunal fédéral avait décidé dans un arrêt que seule une personne qui cacherait pendant plusieurs mois un étranger ou une étrangère «illégal(e)» pouvait être considérée comme constituant cette infraction.

La loi contre la facilitation de l’entrée et du séjour irréguliers d’un·e étranger·e s’applique aussi bien aux passeurs qui profitent de leurs client⸱es qu’aux aidant⸱es qui agissent pour des raisons humanitaires et de solidarité. Jusqu’en 2008, les tribunaux pouvaient encore acquitter des personnes pour des «motifs honorables». Cette clause a ensuite été supprimée – l’un des nombreux durcissements du droit des étrangers.

Visages heureux

Après une suspension d’une demi-heure, tout le monde se retrouve dans la salle d’audience pour savoir si le verdict sera rendu ou si une autre date sera fixée à cet effet. Mais le juge est prêt et annonce donc le verdict: acquittement de tous les chefs d’accusation! L’État doit payer les frais. Dans la salle, les applaudissements explosent. Le suspense est terminé et partout, on peut voir des visages heureux.

Le juge justifie l’acquittement par le fait que même si Caroline avait hébergé le demandeur d’asile débouté pendant trois semaines, cela n’aurait pas suffi pour la condamner. En outre, elle n’a rien entrepris activement pour empêcher un renvoi ou pour le rendre plus difficile; le fait qu’elle ait mis son adresse à la disposition du demandeur d’asile n’y change rien. Comme il n’y a donc pas eu d’infraction, elle ne peut pas non plus être poursuivie pour ses activités associatives en faveur des sans-papiers. Bien que tout le monde se réjouisse de l’acquittement, il reste un arrière-goût amer qu’un tel procès ait pu avoir lieu. Caroline est formelle: «Toute cette affaire va au-delà de ma petite histoire individuelle. C’est la loi qu’il faut changer. Nous n’abandonnerons pas!».

Michael Rössler, Membre FCE - Suisse

  1. www.mjssp.ch
  2. Voir Archipel nO 345: Axl van der Beke: «Délit de solidarité dans le Jura».