SUISSE: Souveraineté alimentaire pour tous

de David Jelinek: L’auteur vit et travaille dans la ferme col-lective Nikitsch et est engagé dans le conseil d’administration de la Via Campesina Autriche., 26 mai 2016, publié à Archipel 248

Le 30 mars, l’Initiative pour la Souveraineté alimentaire dépose à Berne 109.655 signatures certifiées au Conseil Fédéral et accomplit ainsi un premier pas vers l’ancrage de cette notion dans la Constitution suisse. C’est un grand succès pour les 70 organisations impliquées, principalement Uniterre et L’Autre Syndicat.

Réputée pour son esprit pionnier, la Suisse n’est pour une fois pas le premier pays à oser faire ce pas. L’Equateur, le Népal, le Venezuela, le Mali, la Bolivie et, depuis 2014, l’Egypte ont inclus ce concept de Souveraineté alimentaire dans leur Constitution. Il faut se réjouir qu’enfin les citoyen-ne-s et paysan-ne-s d’un pays européen souhaitent définir eux-mêmes ce qui est produit, distribué et consommé, comment et par qui, et d’en faire une revendication politique. Cela était et reste encore un des objectifs de la Déclaration du Mali que la Souveraineté alimentaire soit incluse dans les Droits de l’Homme et qu’elle soit favorisée et respectée par les Institutions Internationales.
De nombreux mouvements sociaux de par le monde s’engagent pour la Souveraineté alimentaire et surtout la Via Campesina. Pourtant la voie législative n’est pas toujours la bonne, vu que c’est souvent l’Etat qui, par ses représentants, empêche le peuple d’accéder à son droit à l’alimentation. Les délires de cloisonnement nationalistes n’ont rien à voir avec un changement radical et émancipateur vers une agriculture pour la Souveraineté alimentaire. Ce terme de souveraineté n’est pas sans équivoque... Il est de ce fait souvent utilisé par ceux qui le confondent avec la sécurité ou même l’autonomie alimentaire.
En ces temps turbulents où des clôtures de sécurité sont érigées dans tous les coins, cette idée ne doit pas tomber dans les mains de ceux qui souhaitent véhiculer une fausse idée de l’autonomie. Tout le monde doit pouvoir manger, quelle que soit la couleur de sa peau ou son passeport. Et tout comme la possession d’un passeport suisse est un privilège, la Souveraineté alimentaire ne doit pas devenir le privilège de ceux qui se trouvent par hasard du bon côté de la frontière.
Il est vrai que ce concept met en avant l’autosuffisance régionale et nationale, mais pas dans le sens d’un nouveau régime frontalier basé sur l’alimentation. La société doit décider, avec les paysan-ne-s, quel type d’agriculture elle souhaite pratiquer et par la même occasion remettre en question, ou mieux encore renverser, les rapports de pouvoir et d’autorité existants. Il ne s’agit pas de ressusciter l’ancienne idée de territoires protectionnistes mais de se réapproprier le contrôle du système agroalimentaire et d’exiger une égalité économique et politique comme base d’un processus démocratique. Pour le résumer avec les mots de Thomas Gröbly: «La Souveraineté alimentaire est un concept global qui aspire certes à l’approvisionnement matériel de proximité mais qui cherche à atteindre une conscience globale à un niveau beaucoup plus idéel. Il ne s’agit pas d’un cloisonnement nationaliste mais bien d’un renforcement des relations locales pour pouvoir résoudre des enjeux globaux.»1
En Autriche, ce terme est déjà repris par une grosse chaîne de supermarché à des fins de marketing – ce qui est énervant – mais ne semble pas bien dangereux. Nous devons cependant tous faire attention à ne pas laisser tomber ce concept aux mains d’idéologies fascistes ou nationalistes.
Je souhaite en tout cas à cette initiative plein de force pour accomplir les nombreuses tâches qui s’annoncent dans les années à venir. Il reste à espérer que ce projet formidable ait mis la machine en marche et que beaucoup d’autres suivront. De ce côté des Alpes en tout cas, on se penche déjà sur la question.
David Jelinek*
* L’auteur vit et travaille dans la ferme col-lective Nikitsch et est engagé dans le conseil d’administration de la Via Campesina Autriche.

  1. <https://www.woz.ch/-1267>