Après 4 mois de projections en plein air dans les villages du sud de la France avec son cinéma mobile, pour discuter semences paysannes, soulèvement populaire en Syrie et enjeux de l’autonomie alimentaire dans ce pays, Graines et Cinéma* continue et, encore une fois, des semences sont en route pour les jardins de la révolution.
Cette fois-ci, j’embarque pour l’aventure! Le plan de l’équipe est ambitieux et s’étend sur le long terme: il s’agit de démarrer le printemps, à la fois en acheminant des graines qui iront voir le jour dans différentes zones de la Syrie, mais également de participer à la création d’un réseau de semenciers au Liban, afin de pouvoir adapter nos semences françaises à un climat plus local. Pour démarrer, il nous faut avoir des semences, disons de bonne qualité. La solution la plus simple est d’établir le contact avec les artisans de semences paysannes en France et de chercher un soutien de semenciers effectif pour les jardins en Syrie. Pour nous, c’est important que les semences qui pousseront ne soient pas des F1 (hybrides): on parle ici d’autonomie et de souveraineté alimentaires! Ce travail de distribution des F1 en Syrie est déjà fait par des ONG et par les grandes entreprises semencières en collaboration avec le régime syrien.
En février
Durant la collecte de semences de ce mois de février, nous avons fait de belles rencontres et nous avons obtenu le soutien rêvé. Il faut quand même avouer que, sur la route, nous avons croisé quelques pro-Bashar al-Assad, et, qu’évidemment, ce genre de rencontres a été difficile. Au-delà des enjeux géopolitiques, des théories du complot, de la supposée légitimité russe, des vaines rencontres à Genève, etc., nous soutenons le peuple syrien en révolution. Personnellement, je pense que les informations des mass médias sont tellement filtrées que le conflit syrien est souvent réduit à un conflit entre trois grandes forces. Après avoir rencontré des Syrien-ne-s et avoir entendu leur témoignage, je dirais qu’on oublie intentionnellement l’existence et le rôle des forces populaires révolutionnaires qui se battent pour une Syrie libre qui, péniblement, subit une dictature depuis plus de quarante ans.
Maintenant que nous avons beaucoup de semences, l’objectif est de les faire voyager en camion à travers l’Italie, la Grèce et la Turquie jusqu’au Liban. Pour réussir à confier les semences aux copains syriens, il faut aller le plus près possible de la frontière syrienne, à Gaziantep (Turquie) et au Liban. Il y a beaucoup à raconter de ce voyage, tous les petits détails qui font la différence à la fin… Par exemple, que quelques kilomètres avant d’arriver à la frontière franco-italienne – la route pour Vintimille - la présence policière est de plus en plus visible, certainement pour empêcher le passage de migrant-e-s sur le territoire français. Habituellement, le passage de la frontière italienne est tranquille, mais cette fois-ci, nous nous faisons arrêter par des militaires. Heureusement, rien de bien grave: un coup de lanterne, des regards inquisiteurs et un au revoir presque rieur. Je me suis dit que cela montre le renforcement des frontières expressément pour répondre à un programme Frontex de plus en plus militarisé.
La traversée en Italie a été bien calme! Nous prenons le bateau Ancona-Patras et trois jours plus tard, nous sommes à Exarchia, quartier contestataire d’Athènes, buvant des bières avec les copains de Pelliti, le réseau de semences paysannes en Grèce, et discutant du programme des jours suivants. Trois présentations de ce que nous faisons: à Athènes, au Botanic Garden, à Aegina, dans une école qui a un jardin et fait ses propres semences, et à Drama dans le nord de la Grèce, devant l’association agro-écologique de la ville. Après, nous monterons à Komotini, ville proche de la frontière Turque, où nous allons rencontrer un membre du réseau Pelliti avec qui nous allons nous préparer à passer la frontière.
Je décide de rester à Athènes et de rejoindre le groupe trois jours plus tard par train à Drama pour la dernière présentation que nous faisons dans le nord de la Grèce.
Le trajet du train, c’est Athènes, Larissa, Thessalonique pour un arrêt final à Alexandropolis, juste avant la frontière Turque. A Athènes, la gare est remplie de gens, dont au moins la moitié sont des migrant-e-s réfugié-e-s. Leur objectif, c’est la frontière macédonienne. Dans chaque wagon, le désordre règne et les Grecs peu accueillants râlent à cause des gros sacs de plastique pleins de couvertures qui prennent toute la place. Dehors, une femme crie en grec pour prévenir que la police est là... Je monte, le train démarre et le sommeil engloutit tous les passagers, il est plus de minuit! Mais les yeux tendus des réfugié-e-s ne se reposent pas...
Six heures du matin, on arrive à la gare de Thessalonique et le train se vide de tous les migrant-e-s. Le parcours des rêves, des douleurs, des courageux, continue vers le Nord, vers Idomeni. Alors qu’ils savent bien que la frontière avec la Macédoine est fermée, ils tentent leur chance. Il me reste encore quelques heures de voyage jusqu’à Drama. Là-bas, au-delà de la présentation, nous visitons un camp de réfugié-se syrien-e-s et y faisons de nouvelles rencontres qui continuent à nous enrichir.
En Turquie
Les jours passent vite et nous voilà déjà à la frontière gréco-turque. Le camion roule doucement car trois check-points sont devant nous. Le premier est pour les passeports et visas, tout va bien. Le deuxième est pour les marchandises et c’est là que les problèmes commencent.
Un policier nous ordonne de vider le camion. Trente minutes de discussions avec trois policiers – sans résultats. Pendant qu’ils inspectent nos bagages, un autre policier arrive, voit les semences, et tonne un autoritaire NON! De nouveau trente minutes de discussions… mais le NON est définitif.
Nous retournons vers la Grèce, les cerveaux en ébullition... Comment allons-nous faire pour passer la frontière? Nous élaborons alors une stratégie impressionnante. Nous nous partageons en trois groupes: un qui part vers Istanbul en bus pendant la nuit, un autre qui passe avec le camion par la frontière Nord, et un groupe qui prendra le bus le lendemain. Après manger, nous regardons les nouvelles et nous apprenons que la Turquie souffre de la deuxième attaque terroriste sur son sol en moins de six jours et comprenons mieux les réticences policières à la frontière, leur stress et leur impatience.
Le plan a réussi et le lendemain de l’attentat, nous sommes à Istanbul! L’ambiance est pesante, nos amis nous conseillent d’éviter les grandes rues et nous informent que la plupart des touristes sont partis. En effet, ils sont apparemment visés, comme l’a été le groupe de touristes allemands décimé au mois de janvier dernier. Peut-être que c’est de la paranoïa, mais nous essayons d’éviter les grandes avenues. En me baladant, tous les commerçants que je rencontre se plaignent d’une importante baisse de tourisme à cause des attentats. Dans les quartiers, tout est propre et le manque de street-art (politisé) est pour moi le reflet d’une liberté d’expression politique qui n’existe pas, sauf un «I dont Like Erdogan» en orange dans le centre-ville.
Le chemin jusqu’à Gaziantep se fait aride, l’absence d’arbres et l’implantation de l’agriculture intensive ont transformé le paysage en un immense désert quadrillé. Enfin arrivés, nous retrouvons des amis syriens. Je les trouve doux, simples, ils nous racontent des histoires, des histoires qui pourraient être des livres. Dans chaque histoire, je vois ce qu’ils on fait et ce qu’ils ont perdu et ça me rend triste, mais par respect je le cache et nous partageons des semences.
Nous voilà à Mersin, ville portuaire turque, où nous attendons d’embarquer pour Tripoli, au Liban. Nos cœurs espèrent aller jusqu’au bout de nos rêves, et embrassent la Syrie!
Ricardo
* Voir Des jardins en Syrie de Julia Bar-Tal, Archipel 238, juin 2015.