RETROSPECTIVE: Maintenir et créer des oasis de paix

de Raymond Gétaz, FCE - Suisse, 11 avr. 2025, publié à Archipel 346

En hommage à Milo Petrovic, partenaire yougoslave de Causes Communes Suisse. En 1992, lors de l’éclatement de la Yougoslavie, des guerres ont débuté en Europe, alors que cette éventualité semblait dépassée voire impossible dans l’imaginaire de la construction européenne. L’Europe se présentait comme un espace «civilisé».

Les nombreuses conventions et accords internationaux signés après la fin de la deuxième guerre mondiale, telles la création des Nations unies en 1945, les Conventions de Genève, la Convention européenne des droits humains, la Déclaration universelle des droits humains, la Convention de 1951 relative au statut des réfugié·es, laissaient croire qu’en Europe de l’Ouest du moins, nous sortions de la barbarie et que les chemins vers une période de paix durable étaient tracés.

Chimère pourtant, car les comportements barbares ont continué tout au long du 20e siècle, exportés dans les pays «colonisés»et dans les guerres au Vietnam, au Moyen-Orient, en Algérie et j’en passe. L’avènement de Gorbatchev en URSS et, par la suite, la «chute du mur» suscitaient l’espoir d’une fin de la guerre froide grevant les relations entre les mondes dits «capitalistes et communistes».

La guerre à nos portes nous avait alors pris à froid. Comment réagir face à ce cauchemar pour éviter de sombrer dans la dépression? Le FCE avait, bien avant la guerre, de nombreuses amitiés avec des personnes de Yougoslavie, notamment à travers la participation de la coopérative Longo maï à plusieurs camps de jeunes dans les années quatre-vingt et les rencontres internationales du FCE.

Le FCE avait alors entamé plusieurs initiatives pour soutenir les mouvements citoyens pour la paix en ex-Yougoslavie: création d’une «Conférence yougoslave», délégations auprès des représentant·es des différentes églises, création d’un réseau de journalistes entre les différentes républiques (AIM), appel au soutien et à l’accueil des déserteurs de la guerre dans les pays européens.

En Suisse, le FCE avait invité à une journée de réflexion à Delémont, dans le Jura suisse, sous l’auspice de son maire, Jacques Stadelmann. Une intervention majeure fut celle de Paul Hermant, représentant de «Causes Communes Belgique» qui venait d’être créé par un grand nombre de communes pour mettre en place des partenariats entre communes belges et ex-yougoslaves. En Belgique, comme dans de nombreux pays européens, de simples citoyen·nes voulaient réagir face aux désastres de la guerre, mais il n’y avait pas de structure appropriée pour intégrer ces bonnes volontés. L’idée était alors que ces citoyen·nes mobilisent les communes, l’instance qui leur était la plus proche, pour rassembler leurs volontés. Cette idée a aussi séduit l’assemblée du FCE et un comité d’initiative pour la création de Causes Communes Suisse a été mis en place. Celui-ci a invité les communes suisses à des «États généraux des Communes sur la question de l’ex-Yougoslavie». En décembre 1992, Causes Communes Suisse était officiellement créé par les représentant·es d’une quarantaine de communes suisses. Une délégation, accompagnée de Milo Petrovic, s’est alors rendue dans différentes républiques ex-yougoslaves pour identifier des com-munes engagées dans la défense des droits humains et contre la guerre. Par la suite, plus de 150 communes suisses, regroupées dans 19 comités régionaux, ont pu établir des partenariats avec des communes ex-yougoslaves. Des dizaines de délégations «communales», financées souvent par les bénévoles qui y participaient, ont alors mis en pratique leur volonté d’échanger et d’aider la société civile dans les communes partenaires. Et c’est le plus souvent Milo, avec ses talents de traducteur, qui les a accompagnées, autant en ex-Yougoslavie qu’en Suisse, lors des rencontres réciproques.

À côté d’une aide humanitaire immédiate pour les réfugié·es dans les communes, les partenariats ont mis l’accent essentiellement sur des échanges éducatifs, culturels, sportifs, de santé, etc. Animés par des bénévoles de part et d’autre, ces partenariats ont conduit parfois à des amitiés et des liens qui ont subsisté jusqu’à maintenant.

Aujourd’hui, de nouveau, la guerre est à nos portes en Ukraine, au Liban, en Palestine…

Les accords signés après la deuxième guerre mondiale sont bafoués les uns après les autres. Des États-nations font des guerres au nom des peuples. Mais, comme en ex-Yougoslavie, la population n’a rien demandé. Le plus souvent ce sont des intérêts économiques ou politiques de dirigeants ambitieux qui sont à l’origine des conflits.

Que pouvons-nous faire alors en tant que citoyen·nes? En appeler au respect des conventions des années d’après-guerre? Ou réfléchir comment recréer des oasis de paix?

Nous ne pouvons en tout cas pas rester les bras ballants!

Raymond Gétaz, FCE – Suisse

Milo Petrovic , 1944-2025

«Comment dirais-je?»[1]. Cette phrase de Milo régulièrement entendue dit bien le souci qu’il avait de se faire comprendre, de trouver le mot juste et, lorsqu’il ne le trouvait pas, il l’inventait, transformant les adjectifs en adverbes «approximativement»!

Milo était plus qu’un traducteur, il était notre ami! Dans nos échanges avec nos interlocuteurs et interlocutrices du Monténégro, il avait le souci que la communication se passe bien. Combien de fois, il nous reprenait: «cela je ne peux pas le traduire tel que vous l’exprimez». Et il nous proposait une autre formule: «êtes-vous d’accord?».

Milo, nous avons fait sa connaissance il y a près de 30 ans, au début de la guerre d’ex-Yougoslavie. Lancé par le Forum Civique Européen dont il faisait partie, par l’intermédiaire de Longo maï, le mouvement Causes Communes Suisse avait prospecté en compagnie de Milo certains lieux d’ex-Yougoslavie (Kosovo, Monténégro, Serbie, Bosnie) qui pouvaient entrer dans un partenariat avec des associations ou communes suisses. La commune de Plav, au Montenegro, fut attribuée à nos Montagnes neuchâteloises, au vu de notre proximité par l’altitude[2].

Milo a eu la gentillesse de devenir le garant de nos contacts. Pendant 25 ans, le bal des voyages de soutien, d’abord matériel puis de participations démocratiques, d’échanges d’enseignant·es, d’apprenti·es, accompagnement de classes d’élèves et finalement des rencontres amicales se succédèrent, tant à Plav que dans les Montagnes neuchâteloises. Milo était toujours de la partie, nous conseillant, nous proposant ses points de vue et parfois même nous poussant à en faire plus.

Nous sommes reconnaissant·es d’avoir connu Milo; sa richesse de cœur et son humanisme nous ont permis de grandir et de nous ouvrir à d’autres cultures. Pour tout ce qu’il a été pour nous, pour ses gestes d’amitié, nous lui disons merci.

Comment dirais-je? Son humour et son sens de l’engagement vont nous manquer!

Mariette Mumenthaler, Causes Communes des Montagnes neuchâteloises

  1. Voir «Milo, un homme combatif et plein d’humour» de Raymond Gétaz, Archipel 345, mars 2025.
  2. Voir https://www.arcinfo.ch/neuchatel-canton/montagnes/la-chaux-de-fonds/la-fin-dune-belle-histoire-entre-plav-et-les-montagnes-neuchateloises-857273