S’il existe effectivement en Pologne un mouvement anti-mondialiste ou altermondialiste, celui-ci est aussi faible qu’hétéroclite. Il se concentre dans quelques villes universitaires et ne se positionne que très peu face aux problèmes concrets de la société polonaise. Mais le plus important est que la société polonaise dans sa majorité s’en méfie, quand elle n’ignore pas purement et simplement son existence.
Après les événements de Gênes en 2001, les médias en Pologne avaient rapporté l’existence dans le monde entier d’un mouvement anti-mondialisation. Les commentaires des journalistes, à la radio comme à la télévision, constitueraient pour un historien des médias un magnifique exemple d’ignorance et de mauvaise foi. Les opposants à la mondialisation étaient présentés comme des ennemis du progrès scientifique et technique, comme des jeunes instrumentalisés et manipulés par les communistes et l’extrême gauche, et comme de dangereux vandales qui ne pensent qu’à perturber à tout prix les débats sérieux des hommes politiques. Il s’agirait d’un ramassis d’organisations, aux objectifs totalement incompatibles, intéressées seulement par le mauvais côté des choses et incapables d’élaborer un programme positif.
Apparition d’opposants à la mondialisation
Quelques douzaines d’activistes polonais ayant manifesté à Gênes, même si les organisations qui seront décrites plus loin existaient déjà auparavant, elles furent désormais considérées comme partie prenante du mouvement anti-mondialisation. C’étaient les composantes polonaises d’un phénomène mondial, et de plus en plus souvent les médias polonais les présentaient comme une curiosité ou comme des dinosaures se réclamant des expériences compromettantes du «socialisme réel».
L’appellation «alter-mondialiste», venue de l’Ouest, a surgi en Pologne environ un an après les événements de Gênes, et elle a été adoptée par nombre de militants anti-mondialistes désireux de signifier leur engagement pour une autre mondialisation. Ce terme est néanmoins resté très minoritaire, il n’a été repris ni par la société ni par les médias, et pour la majorité des gens son sens est resté vague. C’est pourquoi dans cet article nous utiliserons pour simplifier les termes «anti-mondialiste» et «mouvement anti-mondialisation». Il faut également se rappeler que la scission anti-mondialistes/alter-mondialistes au sein du mouvement en Pologne est déjà plus ou moins consommée, et qu’elle ira en se creusant davantage les prochains temps.
L’importance du mouvement anti-mondialisation
Quelle est l’importance de ce mouvement en Pologne? C’est une question difficile. Un des critères d’estimation, bien que très insuffisant, pourrait être les résultats des élections présidentielles et législatives. En 2000, 38.000 électeurs (soit 0,22%) avaient voté pour le candidat Piotr Ikonowicz (né en 1956), leader du parti socialiste polonais (PPS), considéré comme la gauche de la social-démocratie (SLD) au pouvoir. Aux élections législatives de 2001, le PPS obtenait 13.000 voix. Naturellement, seule une minorité de ces électeurs peuvent véritablement être qualifiés d’opposants à la mondialisation. Néanmoins, quand les anti-mondialistes ont voté, c’était pour Piotr Ikonowicz et le PPS. Le PPS, alors un jeune parti turbulent et radical, s’était fait remarquer dans les médias et l’opinion publique par quelques actions spectaculaires. Ikonowicz lui-même était considéré comme une personnalité complexe, plutôt ambiguë, qui s’identifiait avec les opposants à la mondialisation et la gauche radicale du reste du monde, mais sans le moindre contact avec les travailleurs polonais.
Pour connaître l’importance et la force du mouvement anti-mondialisation polonais, on pourrait aussi analyser les chiffres de participation aux manifestations anti-mondialistes les plus importantes. La plus grande manifestation contre la guerre en Irak, le 15 février 2003 à Varsovie, a rassemblé entre 2.000 et 5.000 participants (surtout des jeunes, ainsi que des représentants d’organisations d’Arabes résidant en Pologne), la plus grande manifestation dans l’histoire de la gauche radicale en Pologne depuis celle de 89 contre la politique impérialiste des Etats-Unis. Les manifestations de 1999, contre l’entrée de la Pologne dans l’OTAN et contre l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie, ou celle de 2001 contre l’intervention américaine en Afghanistan, avaient connu une participation beaucoup plus faible. (…)
Même si les mots d’ordre des manifestations organisées par les anti-mondialistes correspondent à l’attitude de quelque 10% de la société polonaise, ceci ne se répercute pas sur le nombre de manifestants. Bien que, dès le début, seule une infime minorité de la population ait approuvé la participation de la Pologne à l’intervention en Irak, la manifestation nationale du 27 septembre 2003 contre la guerre n’a rassemblé que 300 à 500 personnes. Il semble bien que, dans la culture politique de la Pologne d’après 1989, la manifestation comme forme de protestation ne soit pas considérée comme un moyen sérieux et efficace, d’ailleurs la majorité des gens ne manifeste jamais – pour quoi que ce soit. Toutefois les anti-mondialistes polonais n’ont pas encore développé d’autres formes de protestation contre le système.
D’une façon générale, on peut estimer que si les organisations anti-mondialistes en Pologne mobilisent quelques milliers de personnes, les membres d’organisations dites anti-mondialistes sont beaucoup moins nombreux. Parmi les plus importantes, on trouve la Nouvelle Gauche, qui se définit comme le parti de la gauche anticapitaliste. Il a été fondé cette année par Piotr Ikonowicz après sa sortie du PPS. Ensuite deux organisations trotskistes qui existent depuis le début des années 90: la Démocratie des Travailleurs, liée à la tendance Socialisme International, et le courant de la gauche révolutionnaire, qui n’a jamais fait partie de la IVème Internationale, soit 30 à 40 membres chacune. Enfin l’Union Anarchiste, avec 150 militants, active localement plutôt qu’au niveau national.
Composition et groupes
Une des caractéristiques de la plupart des anarchistes polonais est leur répugnance à collaborer (surtout de façon directe) avec des cercles qui se revendiquent de gauche. Presque tous les anarchistes se définissent comme indépendants politiquement de la gauche comme de la droite et prônent la liberté (…). Parmi les initiatives notables du mouvement anarchiste, on peut citer les camps de jeunes contre les frontières (no border camps), organisés chaque année début juillet à Krynki sur la frontière avec la Biélorussie.
Avec le temps, la perception du mouvement anti-mondialisation par les médias officiels polonais s’est nuancée. Ils ont commencé à distinguer deux courants: l’un de la gauche radicale, irresponsable et destructrice, l’autre constructif, réformateur et digne de dialogue dans sa critique des aspects négatifs du capitalisme actuel et de l’inégale répartition des richesses. Cette distinction a également été exprimée dans le livre «la terre n’est pas à vendre» écrit par un journaliste du grand quotidien polonais néo-libéral «Gazeta Wyborcza», Artur Domolawski (Varsovie 2002). Il s’agit essentiellement du récit de son séjour au Forum Social Mondial de Porto Alegre. (…)
A l’automne 2003, alors qu’était fondé le parti des «Verts 2004», la Gazeta Wyborcza tenta d’intégrer ce parti dans le courant «constructif» du mouvement anti-mondialisation. Parti né à l’initiative de féministes, homosexuels et militants écologistes, ainsi que de quelques personnes de gauche de l’Union pour la Liberté, formation néo-libérale, on retrouve dans son programme la défense de tous les aspects de la liberté individuelle des personnes, et la critique d’exemples flagrants de l’injustice sociale du capitalisme. La décision de créer le parti des «Verts 2004» ayant été prise en septembre dernier à l’issue d’une réunion d’une centaine de militants, il est encore difficile d’estimer quelles sont ses relations avec le mouvement anti-mondialisation. Il semble néanmoins qu’elles soient compromises, d’une part à cause des liens du parti avec l’Union pour la Liberté néo-libérale, et d’autre part du fait qu’il ambitionne de devenir une copie fidèle des Verts allemands et français qui participent au gouvernement de leur pays sans s’opposer au système. Les «Verts 2004» essaient cependant de se donner l’éclat spécifique d’une élite aux yeux des jeunes des grandes villes sensibles au phénomène de l’anti-mondialisme.
On peut ici aborder le thème des relations entre le mouvement féministe et les anti-mondialistes. (…) Les organisations féministes en tant que telles sont très nombreuses dans les grands centres urbains, mais n’apparaissent pratiquement jamais ailleurs. Dans leur majorité, ce sont des groupes qui ne s’intéressent pas à d’autres problèmes de société hormis ceux des femmes, qui reçoivent un soutien financier d’organismes occidentaux, et qui sont politiquement liés soit à l’Union pour la Liberté néo-libérale, soit dans le meilleur des cas aux sociaux-démocrates officiels du SLD, lui aussi en réalité néo-libéral. Les comités anti-mondialisation récemment créés en Pologne, le Forum Social Européen et le Forum Social Polonais (voir plus loin) essaient de mobiliser les organisations féministes pour un travail en commun, y réussissant parfois. Pourtant, pour la première fois, la manifestation féministe traditionnelle du 8 mars cette année à Varsovie portait un message allant au-delà de la protection des droits des femmes, un message contre la guerre.
Même si le pourcentage de femmes dans le mouvement anti-mondialisation est petit, on constate par contre une augmentation du nombre de femmes engagées non pas tant dans le mouvement féministe que dans celui plus large de l’anti-mondialisation. En partant du problème de la discrimination des femmes, elles tentent d’en faire une question concernant les deux sexes – une question universelle. Malheureusement il faut dire que souvent le droit des femmes est pris à la légère au sein du mouvement. Il arrive que des militants se déclarent officiellement en faveur du combat, juste en théorie, pour le droit des femmes, tout en les discriminant. Le pire est que leur attitude est considérée avec indulgence et expliquée par leur origine prolétarienne. En tant qu’ouvriers ou militants syndicaux, ils auraient des problèmes «réels» (c’est-à-dire le combat pour améliorer la situation matérielle des travailleurs). En comparaison, les problèmes des femmes devraient être considérés comme secondaires. Il faut souligner ici que le parti «Verts 2004» s’est doté d’une direction double, avec une représentation égale des deux sexes, et garantit des places pour les femmes sur ses listes électorales. C’est peut-être un pas important au sein du mouvement anti-mondialisation sur le chemin de l’égalité des droits pour les femmes, égalité de fait et non plus seulement déclarée.
Conflits internes
La position marginale du mouvement anti-mondialisation en Pologne par rapport à la vie sociale et politique du pays s’explique par plusieurs raisons. La première est son éparpillement et le manque d’un forum d’intégration, quel qu’il soit. Pendant un court moment, il a semblé que la section polonaise du mouvement international ATTAC serait l’organisatrice d’un forum de rencontres (…). A sa création, en automne 2001, elle a reçu l’adhésion de 200 militants de provenances diverses, essentiellement de la gauche et des écologistes. Aujourd’hui cependant ATTAC Pologne est au bord de l’effondrement complet, effondrement provoqué par les méthodes de gestion non démocratiques de sa direction centrale, infiltrée par la droite nationaliste, ceci étant lié à la personnalité de Maciej Muskat, un jeune écologiste devenu président d’ATTAC Pologne tout en ayant – comme il s’est avéré depuis – des liens avec l’extrême droite aujourd’hui encore non élucidés.
Parallèlement, Démocratie Ouvrière s’est efforcée dès le début de prendre le contrôle de l’organisation par différents moyens; faute d’y réussir, elle a lancé une campagne de diffamation contre ATTAC Pologne. Suite à cela, refusant de s’expliquer sur ses liens avec l’extrême droite, la direction d’ATTAC s’est sentie obligée de partir en croisade contre la gauche «totalitaire» (la gauche marxiste), au lieu de s’occuper du développement de l’organisation. Dans le cadre de cette croisade, elle a exclu le groupe ATTAC de Varsovie, très dynamique et bien ancré à gauche, qui s’était engagé de manière conséquente pour que l’organisation se démocratise et élucide ses liens avec l’extrême droite. Aujourd’hui ATTAC Pologne ne compte plus que des vestiges, une vingtaine de personnes environ, autant que l’association indépendante ATTAC Masowien, créée par d’ex-membres d’ATTAC Pologne.
S’il manque une organisation capable de tenir un forum pour l’ensemble du mouvement anti-mondialisation en Pologne, il n’a pas non plus de porte-parole. Un temps il a semblé que les politiciens de gauche du PPS et le parti de la Nouvelle Gauche joueraient ce rôle. Les Trotskistes polonais, en particulier le courant de la gauche révolutionnaire, avaient proposé d’élaborer le programme de ce parti sur les mêmes bases que le Parti socialiste écossais – un parti pluraliste comportant tous les courants de la gauche anticapitaliste. Après plusieurs mois de débats, Piotr Ikonowicz s’est finalement décidé pour une structure fortement centralisée, à la direction toute-puissante, dotée en principe de pouvoirs illimités pour exclure ses membres, et ne leur accordant aucun droit d’instaurer des courants dans leurs rangs. Bien que Piotr Ikonowicz ait rejeté la conception pluraliste pour son parti, il est très intéressé par le soutien financier des organisations occidentales concentrées dans la Conférence Européenne de la Gauche Anticapitaliste afin de financer la campagne pour les élections européennes de 2004. La Nouvelle Gauche, qui comptait au départ 200 membres, n’en a plus que 100 aujourd’hui.
Les comités du Forum Social Polonais et du Forum Social Européen, en préparant la délégation polonaise à St-Denis, ont exercé une certaine fonction d’intégration pour le mouvement anti-mondialisation polonais. L’émergence du comité FSE remonte à 2002, quand un militant d’ATTAC, membre de Démocratie Ouvrière, s’est présenté à la rencontre préparatoire du FSE à Florence comme représentant le comité FSE polonais, totalement inconnu, tout en ayant fait le voyage comme représentant d’ATTAC. Tout une série de magouilles bureaucratiques, alliées à la désinformation des organisateurs du forum à Florence et des militants d’ATTAC Pologne, ont fait que ce comité FSE (au fond un rejeton de Démocratie Ouvrière) a constitué la grande majorité de la délégation polonaise au FSE à Florence (120-150 personnes). Même si en 2003 quelques organisations (dont Amnesty International Pologne ou le groupe féministe Pro Femina) avaient déclaré adhérer au comité, son caractère de fer de lance de Démocratie Ouvrière est resté inchangé. L’intense activité de Démocratie Ouvrière est le résultat du soutien financier important (pour la Pologne) de sa centrale à Londres, soutien qui fait défaut aux autres composantes du mouvement anti-mondialisation polonais.
Faiblesses du mouvement
Le Forum Social Polonais a une base sociale bien plus large, c’est une coalition de plusieurs organisations sociales et politiques (Nouvelle Gauche, organisation de la jeunesse de l’Union ouvrière, courant de la gauche révolutionnaire, syndicat Confédération du Travail, Union Polonaise des Chômeurs, Centre du Droit des femmes ainsi que l’édition écologiste «Brigade verte»). Il faut souligner que l’appellation «opposants à la mondialisation» est délicate pour ce qui est des deux organisations comptant le plus de membres – la Confédération du Travail et l’Union des Chômeurs – dans la mesure où seule une partie des dirigeants se solidarise consciemment avec le mouvement anti-mondialisation international. Après des mois de rivalités, le Forum social polonais et le FSE ont trouvé une entente sous le nom de «coalition sociale», au sein de laquelle furent choisis les porte-parole et les représentants au FSE de St-Denis. Dans les deux cas, l’activité du comité ne dépasse pas la préparation des voyages, et c’est là sa principale faiblesse – il manque un réel travail en commun pour des activités en cours dans le pays.
Une autre faiblesse du mouvement anti-mondialisation polonais, c’est le manque de prise de position face aux problèmes sociaux et politiques du pays. On le voit bien en feuilletant ses revues. Les journaux semestriels «Du pied gauche» et «Révolution» sont les deux publications les plus significatives. Malgré leur taille importante (environ 400 pages), on y trouve surtout une quantité énorme de textes sur l’histoire des Brigades Rouges, de l’anarchisme en Espagne pendant la guerre civile, de l’Internationale situationniste, du mouvement zapatiste ou des partisans colombiens. Les nombreux articles agressifs anti-sionistes et anti-israéliens des deux journaux sont très controversés dans la Pologne d’aujourd’hui (un pays de forte tradition antisémite et qui fut un des théâtres de l’Holocauste). En même temps le nombre de textes traitant de la situation polonaise ne dépasse pas les 10% (!) du contenu de ces journaux. On ne peut trouver de pire exemple de la dépendance intellectuelle de la gauche anti-mondialiste polonaise vis-à-vis de ses partenaires occidentaux.
Un autre problème lié à ce phénomène est la mauvaise qualité des contacts entre le mouvement anti-mondialisation polonais et ses pendants occidentaux. Dans le cas polonais, il existe malheureusement la tendance de la «représentation» des véritables militants du mouvement dans le pays par des personnes qui, bien que nées en Pologne, résident depuis des dizaines d’années à Paris, par exemple, où elles sont considérées comme les «ambassadeurs» des anti-mondialistes polonais. (…) Il leur arrive souvent de bousculer des accords ou des compromis difficiles (obtenus après des mois de travail entre les différentes organisations dans le pays) en vertu de leurs décisions propres. Ils se justifient en assurant de manière paternaliste aux militants vivant en Pologne que «à l’Ouest, on fait comme ci ou comme ça». En réalité de telles personnes ne sont jamais impartiales, elles représentent exclusivement la partie la plus hétérogène et la plus différenciée du mouvement anti-mondialisation polonais avec laquelle elles ont des relations organisationnelles ou amicales. Cet état des choses pose de sérieuses difficultés au mouvement pour la construction de sa propre identité et d’une démocratie interne.
Les problèmes polonais sont davantage pris en considération dans les pages de la revue «Les ouvriers silésiens» – récemment rebaptisée «Les nouveaux ouvriers» et dans «Le citoyen».
Mouvement anti-mondialisation et mouvement ouvrier
Le mouvement anti-mondialisation en Pologne manque de relations avec le mouvement ouvrier et les problèmes sociaux des salariés. Sociologiquement parlant, le mouvement est dominé par la jeunesse étudiante, mais même cette composante de la société n’a aucune revendication dans le domaine de sa situation sociale, très difficile, du moins en comparaison avec l’Europe de l’Ouest. (…)
En juillet 2002 s’est constitué le comité de protestation polonais (OKP), regroupant des représentants syndicaux du personnel de plusieurs douzaines d’entreprises privées et publiques, en conflit avec leur employeur. Ce comité exigeait l’arrêt des privatisations, l’examen des affaires de privatisation et la sauvegarde de la législation sociale existante. A sa tête se trouvait Slawomir Gzik de l’usine de câbles d’Ozarow, près de Varsovie.
Les organisations anti-mondialistes ont vu avec sympathie et un grand intérêt la création de OKP, et se sont efforcées de collaborer avec. Un an après, on peut dire leurs espérances sont loin d’être comblées. Dans la pratique, certains membres du comité se sont montrés exclusivement intéressés par le maintien de leur entreprise, sans se solidariser avec d’autres, pas même dans le cadre de l’organisation qu’ils avaient eux-mêmes créée.
Quant au profil politique de l’OKP, il faut reconnaître que ses réunions sont devenues un forum où s’épanouissait un nationalisme radical, voire de l’antisémitisme. Même dans le cas de l’usine de câbles d’Ozarow, où les jeunes anti-mondialistes de différentes organisations de Varsovie ont activement soutenu le personnel pendant des mois de manifestations contre la fermeture de l’usine, celui-ci n’a pas adhéré au mouvement anti-mondialisation.
Un des rares exemples d’engagement positif de militants dans le combat ouvrier nous est donné par la campagne menée cette année par la Nouvelle Gauche et le courant de la gauche révolutionnaire pour sauver l’usine d’automobiles de Varsovie, dont 1.500 employés sur un total de 4.000 devraient être licenciés prochainement. Leurs activistes ont organisé une manifestation de rue à Varsovie et quelques actions d’affichage pour le maintien de l’industrie automobile polonaise. Des militants syndicaux du courant de la gauche révolutionnaire de l’usine ont commencé à sortir un journal, «La taupe syndicale», consacré au problème de la corruption permanente de l’appareil syndical et de ses fonctionnaires dont le traitement est de 5 à 7 fois plus important que le salaire d’un ouvrier normal. Pendant l’exercice de leur fonction syndicale, et même plusieurs mois après, leur emploi est légalement garanti. S’y ajoutent de nombreux privilèges (par exemple les voitures de fonction mises à disposition par l’employeur). Cette corruption répandue dans les syndicats explique en grande partie la passivité et le manque de succès du combat de la classe ouvrière.
Conclusions
Bien que l’existence du mouvement anti-mondialisation en Pologne soit indéniable, il continue à rester en marge de la vie politique et sociale. Il en sera ainsi tant que le mouvement ne surmontera pas ses faiblesses de base. Il doit d’abord se doter d’une structure plus grande et plus forte, même de son propre parti politique. Ensuite – ce qui est encore plus important – il doit proposer un programme alternatif pour résoudre les problèmes sociaux actuels de la Pologne, plus particulièrement en ce qui concerne le taux de chômage élevé (17,5% en 2003), le système fiscal favorable aux riches, les sans-logis, la corruption des syndicats et la commercialisation de la santé et de l’enseignement. Il pourrait ainsi s’ouvrir davantage aux milieux étudiants et lycéens, et gagner une plus grande confiance chez les ouvriers, les fonctionnaires, et d’autres générations, ainsi que chez les habitants de province. En conclusion, le mouvement anti-mondialisation polonais a encore un long chemin devant lui jusqu’au succès.
Ursula Lugowska
Docteur à l’université de Varsovie
Présidente d’ATTAC Varsovie
NOTE:
Cet article est repris de la revue Ost-West-Gegeninformation*. En septembre, nous avons reçu une lettre d'ATTAC Pologne contestant les informations de Mme Lugowska concernant leur organisation et menaçant celle-ci de poursuites juridiques. Nos collègues de Ost-West-Gegeninformation nous avaient informé-e-s qu'au moment où ils préparaient ce dossier, ils s'étaient d'abord adressés à Attac Pologne qui n'avait pas répondu à leur demande. C'est seulement par la suite qu'ils se sont adressés à Mme Lugowska. Ils ont donc bien respecté la déontologie journalistique.
Sans vouloir porter de jugement sur le contenu de la polémique, nous en déplorons la forme, cette confrontation interne ne pouvant qu'être néfaste au mouvement en Pologne.
Nous publions dans le numéro 121 le droit de réponse des dirigeants d'Attac Pologne pour que nos lecteurs et lectrices se forment leur propre opinion à ce sujet.
La rédaction
* n°3/2003, décembre 2003, dossier: "Mouvement anti-globalisation"