Comment faire face à l'épidémie, la contenir voire l'éliminer complètement? Comment ralentir l'économie sans jeter des milliers de personnes dans la précarité? Pourquoi seule la solidarité peut mettre un terme à la pandémie? L'initiative ZeroCovid pose ces questions et tente de trouver des solutions. Entretien avec Bini Adamczak*.
Tu as co-initié la campagne ZeroCovid. Comment cela s'est-il produit?
La pandémie s'éternise depuis un an. Comme beaucoup d'autres, j'ai eu l'impression dès le début que les gouvernements européens faisaient fausse route. Cette impression s'est accentuée lors de la deuxième vague en automne. Une des raisons pour lesquelles nous sommes devenus actifs est que pendant longtemps, on nous a dit que nous attendions le vaccin. Il est désormais clair que la vaccination ne ralentira pas le rythme des infections dans l'immédiat. Le fantasme d'une maîtrise technologique du problème s'est révélé être une illusion. Il est donc important de se concentrer non seulement sur les solutions médicales et techniques, mais aussi sur les solutions sociales et politiques.
L'objectif de zéro nouvelle infection est logique, mais est-il réaliste?
Il est étonnant que l'on prétende encore qu'il s'agit là d'une demande utopique. Près d'un tiers du monde l’a réalisée. C'est précisément dans les pays où la pandémie est apparue en premier qu'il n'y a aujourd'hui pratiquement plus de nouvelles infections. Cet objectif doit être atteint par un shutdown solidaire.
A quoi ressemble la solidarité en période de pandémie?
A ce jour, la lutte contre la pandémie restreint presque exclusivement le temps libre, tandis qu'elle maintient dans une large mesure le temps de travail. Mais si l'on veut mettre fin drastiquement à la dynamique d'expansion du virus, des mesures drastiques sont nécessaires: tous les secteurs professionnels qui ne sont pas absolument nécessaires doivent être suspendus temporairement. Bien entendu, la plupart des gens ne peuvent subsister plusieurs semaines sans revenus. Ils ont besoin d'être soutenus financièrement. Et rester à la maison n'est possible que pour les personnes qui en ont une. Les personnes sans domicile fixe doivent donc s'installer dans des appartements vacants. Là où les gens vivent ensemble dans des espaces restreints, les infections se multiplient rapidement. Par conséquent, l'hébergement collectif doit être supprimé.
Concilier les politiques de santé et des politiques sociales est une nécessité. ZeroCovid est considéré comme une réponse radicale et de gauche à la pandémie. Est-ce le cas?
Il y a deux ans, je n'aurais pas pensé que la lutte contre une pandémie qui touche l'ensemble de la population pourrait devenir une préoccupation spécifiquement de gauche. Que l'extrême droite veuille laisser les personnes malades ou faibles mourir n'est pas surprenant. Mais lorsque le centre libéral décide de mettre en balance la protection de la vie et la protection de la performance économique nationale, donnant la priorité à cette dernière, la lutte contre la pandémie semble devenir une affaire de gauche. Actuellement, l'idée fait l'objet de controverses également au sein la gauche, par exemple lorsqu'il s'agit du pouvoir de l'Etat et de la surveillance dont il use pour mettre en œuvre un shutdown... C'est une bonne chose qu'il y ait un large débat au sein de la gauche sur cette campagne. Mais je pense qu'une grande partie de cette discussion perd de vue la relation de nature de la pandémie et se concentre principalement sur la relation d'Etat. L'action de l'Etat est habituellement remise en question, mais la question de savoir comment arrêter la propagation du virus n'est souvent même pas posée. Les relations sont perdues de vue: un shutdown bref et cohérent, visant un taux d'infection zéro, est-il finalement plus autoritaire que des mesures à long terme qui tolèrent les heures de travail mais restreignent le temps de loisir, sans parvenir pour autant à empêcher que les gens tombent malades et meurent? Pour la politique actuelle, dans un sens, ce n'est pas grave si des gens meurent, il ne faut simplement pas qu'ils deviennent trop nombreux. Les gouvernements occidentaux réagissent à la pandémie sur le mode de la gouvernementalité néolibérale, c'est-à-dire en individualisant la politique: la lutte contre la pandémie est considérée comme une question de responsabilité personnelle. Cela ne peut pas fonctionner. La pandémie, qui révèle notre dépendance radicale les uns par rapport aux autres, ne peut être vaincue individuellement, mais seulement à l'échelle de la société, dans un esprit de solidarité.
Un shutdown européen n'oublie-t’il pas les personnes en fuite et aux frontières extérieures de l'UE?
Lorsqu'il est question de restrictions de voyage, la majorité absolue des personnes concernées sont de riches Européens et Américains. Ce sont ces personnes qui le plus souvent voyagent autour du monde en avion. Proportionnellement, celles qui se déplacent des pays pauvres vers l'Europe ou les Etats-Unis représentent une minorité. Cela se reflète également dans l'incidence des infections: la souche virale de Wuhan a presque disparu; les souches virales qui dominent aujourd'hui dans le monde proviennent pour la plupart d'Europe. Il ne s'agit pas d'interdire aux gens de voyager, mais d'empêcher le virus de voyager avec eux. Dans les pays qui ont déjà vaincu le Covid, l'entrée est possible: depuis d'autres régions exemptes de Covid de toute façon et depuis des zones à risque telles que l'Europe avec une quarantaine de deux à trois semaines et des tests. Plus la raison du voyage est valable, plus il est important qu'il puisse avoir lieu. La fuite, bien entendu, est l'une des raisons les plus valables pour franchir une frontière – contrairement aux expulsions, qui doivent être suspendues au moins pendant la durée de la pandémie. Quant aux camps situés aux frontières extérieures de l'UE, où les gens sont entassés dans les pires conditions d'hygiène, leur démantèlement est également une nécessité du point de vue de la politique sanitaire.
Environ 100.000 personnes ont signé la pétition #ZeroCovid, l'initiative connaît un grand succès. Que va-t-il se passer ensuite?
Actuellement, divers groupes d'action et de mise en réseau se forment. Nous nous associons à la cam-pagne britannique Zero Covid UK, qui est fortement soutenue par les syndicats, et à l'alliance internatio-nale Zero Covid Alliance. Les personnes issues du secteur des soins et des professions médicales consti-tuent déjà un pilier central de notre initiative, mais nous nous adressons désormais de plus en plus à des personnes issues d'autres secteurs de travail. Ce qu'elles racontent de leur lieu de travail est souvent effa-rant. Nous établissons des liens et offrons un soutien organisationnel. En parallèle, de plus en plus de groupes locaux se forment, que les gens peuvent rejoindre facilement.
Actuellement, le nombre de cas diminue un peu. Cela change-t-il quelque chose à la campagne?
Evidemment, ce serait réjouissant que cela continue. Mais nous avons vu l'année dernière comment cela fonctionne: en Allemagne, la pandémie aurait pu être endiguée en février et mars 2020. Il aurait été possible alors, au début de l'été, lorsque les chiffres étaient vraiment bas, d'arriver à zéro infection ou à une incidence très faible et traçable et d'empêcher une deuxième vague. Au lieu de cela, sous l'impulsion du lobby économique, des "assouplissements" ont été imposés. On peut donc s'attendre à ce que les chiffres baissent lentement maintenant, que les mesures soient levées prématurément et que l'histoire se répète, mais à des niveaux plus élevés, car les variants du virus se propagent plus rapidement ou échappent même à la vaccination. Nous devons empêcher cela.
Comment?
Il est impossible d'attendre que suffisamment de personnes aient été vaccinées, nous devons mettre fin à la pandémie avant. La vaccination peut alors empêcher son retour. Et cela à l'échelle mondiale. Il s'agit ensuite de s'attaquer aux causes écologiques et économiques des épidémies pour éviter qu'elles ne se reproduisent.
Comment cela sera financé?
La dernière crise, la crise financière, a été gérée aux dépens des catégories de la société qui disposent de particulièrement peu de ressources. Quelque chose de très similaire émerge à nouveau aujourd'hui. C'est absurde. En cas de crise, toute société doit puiser dans les réserves constituées en période de vaches grasses. Dans les sociétés capitalistes, ces réserves sont en grande partie entre les mains du secteur privé.
- Bini Adamczak (Berlin) travaille en tant que philosophe et artiste principalement sur les questions de transformation sociale. Vous pouvez la retrouver sur Facebook, Twitter et Instagram. L'entretien a été réalisé par Birthe Berghöfer et publié pour la première fois dans Supernova et ND (Neues Deutschland) <ze-ro-covid.org/zeitung>.