Depuis fin mai, la fermeture de la frontière franco-italienne, interdisant la circulation, s’enlise dans une situation inextricable. Le nombre de personnes cherchant refuge en Europe augmente depuis le printemps. Début mai, plusieurs centaines de personnes sont déjà bloquées à Vintimille. La visite du ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano, le 7 mai, annonce le durcissement de la situation avec la volonté d’expulser les migrant-e-s de la ville.
La politique répressive, enfreignant les droits humains les plus élémentaires, devient le quotidien de la frontière.
Chasse aux migrants
En réaction à cette répression tous azimuts, un camp informel se constitue aux abords de la ville, sous un pont, dans la vallée frontalière de la Roya. Les occupant-e-s s’organisent comme ils peuvent, avec quelques soutiens extérieurs. Après de nombreuses menaces d’expulsions, ils l’évacuent le 29 mai et après une assemblée sur la plage, plus d’une centaine de personnes décide d’occuper l’église San Nicola, située dans le centre ville, avec «l’accord» du corps religieux.
Le 30 mai, un déploiement énorme de policiers, carabiniers, chasseurs alpins se met en place pour mener un quadrillage systématique, multipliant les contrôles raciaux et les arrestations, en vue de déportations vers le sud de l’Italie. Ce même jour, la police pénètre dans l’église et appréhende tous les Européens présents, leur délivrant des interdictions du territoire de Vintimille, et pour certains de toute la province d’Impéria.
Le lendemain, les personnes occupant l’église décident d’arrêter de se cacher et organisent une marche vers la frontière. Bloquées par les forces de l’ordre pendant des heures, elles finissent par accepter la médiation de Caritas et reviennent en ville.
Répression, violence et racisme
Tout au long du mois de juin, la police, omniprésente dans la ville et à la gare, multiplie les contrôles raciaux et les arrestations. Sur les quais de la gare, à l’arrivée de trains en provenance de différentes villes d’Italie, policiers et chasseurs alpins arrêtent les personnes au faciès. Certaines sont immédiatement interpellées et renvoyées dans la journée vers le sud du pays. Au quotidien, 30 à 50 personnes sont expulsées soit vers les aéroports de Gênes, Florence et Milan à destination de la Sicile, soit directement en bus vers différe nts camps aux environs de Rome.
En parallèle, la police italienne opère des rafles systématiques dans les gares précédentes, comme celles de Turin, Milan, Gênes et Savone. De Menton à Cannes, la police contrôle également de façon massive et renvoie de nombreuses personnes vers l’Italie.
Camp d’hébergement d’urgence
Le 1er juin, un camp est installé dans l’église San Antonio, suffisamment à l’écart du centre-ville pour déplacer la situation. L’association Caritas est chargée d’organiser le fonctionnement de cet espace. Même si ce dispositif répond aux besoins humanitaires les plus basiques (nourriture, espace de repos), la situation est très précaire. Des tentes sont installées sur le terrain de sport derrière l’église, deux salles abritent femmes et enfants, le nombre de douches disponibles est dérisoire.
La plupart des personnes présentes sont en état de choc, ne comprennent pas pourquoi l’Europe leur refuse l’accès à son territoire. Nombre d’entre elles ont subi des violences policières, les obligeant à demander l’asile en Italie, alors qu’elles souhaitent continuer leur route vers la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne.
Le 10 juin, la préfecture demande la fermeture de ce camp pour raisons d’hygiène. Un autre camp d’accueil temporaire doit être installé dans un quartier encore plus excentré. Depuis le 12 juillet, ce nouveau camp de la Croix-Rouge, qui comprend en tout 30 containers et peut héberger tout au plus 180 personnes, est toujours très précaire, de telle sorte que devant l’entrée, un autre camp s’est formé de façon totalement autonome.
Plus de 600 personnes se trouvent actuellement à Vintimille, ce camp n’apporte en aucun cas une solution acceptable. De plus il est prévu que les personnes puissent y accéder de façon libre pendant seulement sept jours, et qu’après ce délai elles aient l’obligation de demander l’asile en Italie et donc de se retrouver dans le piège du «dublinage».
Vélorution, occupation, rétention
La pression est mise sur les personnes solidaires, qui voient leur champ d’action se réduire. A Vintimille comme dans d’autres villes d’Italie, les personnes apportant soutien et écoute de façon informelle sont contrôlées et parfois appréhendées.
Un appel à la Vélorution est lancé le 18 juin dans la vallée de La Roya, en France. Deux motivations se rejoignent pour traverser la vallée en vélo: la mobilisation contre le doublement du Tunnel de Tende, menace pour l’environnement naturel de la vallée, et la dénonciation de la fermeture des frontières. Cette manifestation est bloquée à la frontière franco-italienne, à une dizaine de kilomètres de son point de départ. Les cyclistes passent toute l’après-midi face aux policiers italiens, qui leur refusent l’accès au territoire.
Suite à cette journée, un ancien poste de douanes, à l’abandon depuis de nombreuses années, est occupé pour recréer un espace de solidarité et de dénonciation des politiques liberticides et capitalistes. Français-e-s et Italien-ne-s s’organisent pour réhabiliter ce lieu stratégique.
Le 23 juin, alors que 5 Italien-ne-s et 3 Françai-se-s sont présent-e-s dans le lieu, près d’une quarantaine de policiers procèdent à leur expulsion. Les Français-e-s sont relâché-e-s assez rapidement, tandis que les Italien-ne-s sont emmené-e-s au commissariat de la PAF (Police Aux Frontières) à Menton. Après avoir été retenus pendant dix heures, interrogés et fouillés, quatre d’entre eux sont amenés au CRA (Centre de Rétention Administrative) de Nice pendant qu’une personne est expulsée directement en Italie. Tous ont reçu une interdiction de territoire français pendant un an. La volonté des autorités est claire: empêcher la rencontre et la contagion des luttes.
Le 2 juillet, plus de 400 personnes, dans le ras-le-bol de l’attente sans fin au camp, partent en manifestation spontanée vers la frontière. Ils sont bloqués dans la ville haute et restent sur place, refusant les tentatives de médiation, qu’elles viennent de Caritas ou du maire. Les slogans fusent, les actes de solidarités sont là. Après plus de 24 heures de résistance, sous la menace des déportations, les personnes reviennent en ville trouver refuge à l’église.
Même si cette résolution à continuer la route a été encore une fois réprimée, les personnes en voyage restent déterminées. Alors que les évacuations vers le sud se multiplient, les migrant-e-s reviennent sans cesse vers Vintimille, faisant parfois jusqu’à six allers-retours.
La situation est grotesque: expulsions, avancée d’une économie de la misère via la multiplication des camps, flux migratoire grandissant. Tant que la forteresse Europe n’accueillera pas réellement ces personnes, pas de solution possible. A ce jour, plus de 35 personnes aidant de façon autonome ont une interdiction de territoire italien de 5 ans pour les Français, et diverses interdictions et poursuites pour les Italiens. Le «free spot», endroit de repli pour s’organiser et s’informer, a été perquisitionné et une ordonnance d’évacuation prononcée, le but étant clairement de nous faire comprendre que toute forme de solidarité sera réprimée.