Lors de la commission «Criminalisation et répression des migrant-e-s/exilé-e-s/réfugié-e-s» au cours de laquelle nous avons décliné les différentes formes prises par celles-ci, il m’a paru évident que cette question était traversée par presque toutes les problématiques que nous avons proposé d’aborder pendant ces rencontres.
De la crise et des idéologies
Ils/elles sont quelques millions de personnes à se déplacer pour des raisons climatiques, politiques, économiques; par obligation ou par désir, elles vivent ailleurs que là où elles sont nées et sont qualifiées de «personnes déplacées», et elles génèrent une économie non négligeable.
Celle des camps par exemple; des emplois à la clé, des structures d’accueils pensées et mises en œuvre par des «spécialistes» des pays dits riches auxquels on accole, et ça c’est nouveau, des supermarchés…
C’est une population qui pourrait composer un nouvel Etat, un nouveau pays, sans espace géographique, sans droit ni loi, sans existence protégée mais qui, avec le temps, prend sa place au sein du système capitaliste. Tout y est réduit à l’état de marchandise, et l’objectivation des êtres humains dont nous parlaient Robert Trenkle et Ernst Lohoff dans l’exposé du premier jour, y trouve une de ses formes les plus abouties.
Tout un chacun se doit d’être rentable; il faut survivre et la concurrence au quotidien joue son rôle morbide de sélectionneur. La perte de sens et de repères collectifs et individuels rend le sujet moderne, quel qu’il soit, fragile et perméable à toutes formes de dérives idéologiques.
Par contre la forme néolibérale du capitalisme ne voit pas ça d’un mauvais œil et le contrôle des frontières n’est pas essentiel à ce projet pour lequel les migrants constituent une main-d’œuvre abondante et bon marché, contribuant à diminuer les coûts du travail et ainsi accroissant la compétitivité.
D’un côté, on se retrouve avec un projet protectionniste, néocolonial conservateur déjà bien ancré, de l’autre, celui d’une gauche libérale s’appuyant sur les Droits humains avec de nouvelles alliances de «gauche» allant des associations humanitaires les plus légalistes aux groupes abolitionnistes plus radicaux. La friction entre les politiques nationales de gestion des migrations et la construction d’une politique européenne (qui titille l’idéologie de la souveraineté nationale) risque bien de radicaliser l’esprit conservateur de la vieille Europe et, comme on peut le constater d’ores et déjà, entraîne une cacophonie gestionnaire dont les exilé-e-s font violemment les frais.
L’Orient «compliqué»
Le deuxième jour on a parlé de la question de l’Orient et du Moyen Orient. Comment ne pas y rattacher la question migratoire? La Syrie, l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, la Turquie, etc. Autant de guerres inacceptables qui jettent des populations entières sur les routes. Je ne m’étendrai pas sur les évidences.
Il ne faut quand même pas oublier l’Afrique qui, d’un pays à l’autre, a vu les formes coloniales se transformer, rebondir, telles une hydre dont la tête réapparaît là où, encore une fois, l’économie y trouve de nouveaux ressorts.
Mais que nous veulent ces gens que nous sommes allés secourir, éclairer de nos lumières civilisatrices, protéger contre des dictateurs féroces et qui nous réclament aujourd’hui d’être accueillis parce qu’ils n’ont pas su imposer leur «nature» démocratique et républicaine…
L’Intersectionnalité
Le troisième jour était consacré à l’intersectionnalité, et la commission «femme et migration» a été non seulement porteuse d’informations précieuses mais aussi riche de propositions.
Elles sont quasiment la moitié de la population migrante. Mais si leur invisibilité, due à la nécessité que ces femmes ont de se cacher, est une des solutions que celles- ci trouvent pour survivre, elle est aussi une des raisons pour lesquelles elles partent de chez elles. La double peine, voilà ce qu’encore une fois les femmes subissent.
Une évidence nous est apparue: il va falloir construire des réseaux d’accueil non mixtes pour qu’elles aient les moyens de se protéger et pour leur donner la possibilité de se reconstruire.
La fuite en avant sécuritaire
Le contrôle des frontières: la mise en place effective de mesures telle l’externalisation des frontières (à grand renforts de subventions attribuées à des dictateurs tortionnaires avérés; ce printemps c’est 100 millions d’euros qui ont été négociés avec El-Bachir au Soudan alors qu’il est recherché par le TPI de la Haye pour génocide et crime de guerre, la mise en place de hotspots de tri, d’enceintes, de grillages, de barbelés et des dispositifs de surveillance, ainsi que des déplacements anarchiques et sans logique, etc.) conduit à repousser les exilé-e-s/migrant-e-s vers des portes de sortie inhumaines et inacceptables. Les technologies utilisées et les organisations «d’encampement» sont de véritables laboratoires pour tester des techniques de répressions dont d’autres feront les frais un jour ou l’autre.
Lutte et auto-organisation
Malgré tout cela les frontières physiques sont aussi des lieux où se développent des espaces sociaux et économiques réels, devenant des lieux de luttes et d’auto-organisation pour celles et ceux qui ne se soumettent pas à ces logiques absurdes et se révoltent contre la répression croissante.
A Calais, Vintimille, Idomeni… des groupes se sont soutenus et essaient d’inventer un langage commun de lutte. En Europe des groupes d’exilé-e-s/migrant-e-s voient le jour pour mettre en commun leurs forces et leur idée du monde en affirmant leur volonté migratoire.
Les alliances que nous devons créer pour que nos libertés soient défendues dans le respect de chacun ne sont pas acquises. Les relents de postures dominant-e-s/dominé-e-s sont loin d’être effacés et il nous faut prendre le temps de les identifier pour mieux les dépasser.
Quelles seront les «nouvelles frontières» à détruire et comment devons-nous nous organiser pour le faire?