Un article de Georges Lapierre sur les nouvelles du contexte politique et des luttes contre les parcs éoliens transnationaux dans l’Isthme de Tehuantepec (Oaxaca-Mexique). 1ère partie La résistance dans l’Isthme de Tehuantepec, dans l’Etat de Oaxaca au Mexique, nous dévoile une illustration de la faillite du «développement durable». C’est aussi le renforcement sur place de la résistance, du contrôle des villages sur leur territoire, et le rejet des partis politiques, des leaders corrompus et des processus électoraux tronqués, au profit d’une démocratie exercée depuis les assemblées de lutte, souvent sous des formes vastes d’assemblées autodéterminées «communautaires». Elles se coordonnent à un niveau régional pour se prêter main-forte, et s’appuient sur leurs propres radios et leurs propres médias. Face à la corruption du système politique, différents quartiers et villages en résistance de l’Isthme prévoient d’organiser le boycott des élections locales en juillet prochain. Démarches à suivre…
La reproduction des informations ci-dessous ne vise pas seulement à alimenter abstraitement la discussion sur les mensonges du «développement durable», mais aussi à rappeler que derrière les mots et les opérations marketing autour de «l’énergie propre», ce sont de véritables batailles qui sont en cours. Des villages et des populations entières tentent de résister à l’écrasement de leurs modes de vie et à la corruption, la terreur et la spoliation de leurs territoires par des multinationales espagnoles, françaises (EDF) ou italiennes venues investir sur place des milliards d’euros dans la création de gigantesques parcs éoliens.
Entre Cervantès et Shakespeare, les images ne manquent pas pour décrire l’invasion en marche des éoliennes, si bien que les habitants de l’isthme de Tehuantepec, ikoot et binniza, ont le sentiment, justifié, d’être cernés et pris à la gorge par une armée monstrueuse d’acier et d’hélices s’avançant inexorablement.
Cela pourrait être un film de science-fiction, ou d’horreur, cette avancée de l’industrialisation, cette machinerie de fer et de ciment, piétinant aveuglément, sans le moindre sentiment de compassion, la vie délicate et fragile, et avec elle toute une culture, qui s’était développée dans cet habitat singulier.
L’armée des tours et des moulins à vent s’avance implacablement vers le Pacifique selon un plan bien précis. Habitants de leurs terres communales, d’Unión Hidalgo à San Mateo del Mar, de la plaine aux lagunes, un grand nombre de personnes résistent, elles montent la garde, elles s’arment de bâtons et de pierres pour empêcher l’entrée des bulldozers, des pelleteuses gigantesques, des camions et autres machineries à défoncer le sol, comme à Álvaro Obregón, dont les habitants sont en alerte depuis des mois pour défendre les terres de Santa Teresa. Ils ont déjà eu affaire à la police d’Etat, qui a cherché à les déloger, ils ont tenu bon. Les représentants du gouverneur de l’Etat ont bien tenté de négocier et d’acheter des leaders, en vain. On a cherché à les ménager, on leur a fait la promesse que le projet sera abandonné, ils sont restés vigilants. C’est que les habitants d’Álvaro Obregón, héritiers du général zapatiste Charis, ne s’en laissent pas conter facilement. Ils forment une communauté unie et solidaire et le sentiment d’appartenance à la communauté y est fort développé, il n’est pas facile de les diviser. Pourtant le consortium d’entreprises «Mareña Renovable», intéressé par la construction d’un parc de 102 éoliennes sur Santa Teresa, n’a ménagé ni sa peine ni son argent. Les habitants d’Álvaro Obregón, ne permettront pas la tenue des prochaines élections municipales.
A la sortie de Juchitán, se dresse une barricade pour empêcher le passage à l’entreprise de construction Unión Fenosa Gaz naturel, qui a obtenu facilement la concession de quelques hectares de terre de la part de la COCEI1, parti politique de gauche, qui s’est vite trouvé corrompu par les enjeux économiques capitalistes. Ce sont les habitants d’un quartier populaire de la ville, habité surtout par les pêcheurs, qui occupent la barricade et veillent jour et nuit depuis bientôt un mois. Quand nous les avons rencontrés, les femmes, comme souvent chez les Zapotèques de l’Isthme, étaient bien présentes et déterminées, elles se préparaient à passer la nuit entre elles assises sur des chaises; tous les âges étaient représentés aussi bien du côté des hommes que du côté des femmes et, comme il fallait s’y attendre, nous avons mangé du poisson avec appétit à la lueur de quelques lampions. Cependant la situation n’est pas facile, les personnes sur les barricades se trouvent dans un endroit retiré, un peu à l’écart de leur quartier, elles sont amenés à organiser des tours de garde car des convois de policiers fortement armés les harcèlent et les provoquent. En outre, les partis politiques, dont la COCEI, le FPR2, le PRI3, sont présents dans le quartier et représentent un facteur de divisions et d’embrouilles non négligeable. Pendant les vacances de la «Semaine Sainte», le passage fut ouvert aux vacanciers qui se rendent à Playa Vicente sur la lagune mais il fut interdit aux camions de la bière Modelo de l’Isthmo (le représentant syndical de cette entreprise ayant menacé de passer en force) et à ceux de Coca-Cola, la transnationale bien connue et engagée aux côtés du groupe «Mareña Renovable».
La mairie de San Dionisio est toujours, quant à elle, occupée depuis janvier 2012. Le président municipal, que l’assemblée ne reconnaissait plus depuis qu’il avait autorisé, contre l’avis de cette même assemblée, le changement de régime du sol, avait bien tenté, il y a environ deux mois, de reprendre en force la mairie avec ses sbires. Il a échoué dans son entreprise. Pourtant il avait l’appui politique et financier du gouverneur et de Mareña Renovable. L’assemblée a décidé de ne pas permettre la tenue des prochaines élections, le 7 juillet. Bien que se dégage une forte majorité à la fois contre le projet de construction des éoliennes sur la barre Santa Teresa et contre les partis politiques, l’unanimité est loin d’être atteinte et la population reste divisée et politiquement hésitante.
Du côté d’Unión Hidalgo, les entreprises de construction des parcs d’éoliennes profitent de la confusion et de la désorganisation concernant les terres communales pour continuer leurs chantiers dévastateurs. Avec la complicité des partis politiques, dont la COCEI, les biens communaux sont tombés en désuétude. Les terres se sont transmises de père en fils, des caciques se sont appropriés de vastes étendues de terres communales, d’anciens paysans se sont regroupés pour continuer une tradition communale et, à l’occasion, défendre les communaux face à la convoitise de certains. Le projet de construction d’éoliennes a pu parfois se présenter comme une aubaine pour quelques petits spéculateurs de bas étage, qui pouvaient se faire reconnaître comme propriétaires de facto puis de jure de quelques arpents de terre, avec la connivence des bureaucrates et des notaires, et obtenir ainsi une rente annuelle. Une grande partie du parc d’éoliennes est construite et continue à se construire en toute illégalité sur des terres communales. Afin de mettre en difficulté les entreprises de construction telles que Preneal ou Mareña Renovable, une assemblée constituée par les anciens «paysans communaux» et leurs fils auxquels se sont ajoutés des «petits propriétaires» prend forme; elle se réunit désormais le dernier dimanche de chaque mois et commence à engager le fer contre les entreprises de construction. Evidemment, cette initiative ne plaît pas aux transnationales, aux politiques et à ceux qui se sont approprié des terres avec l’idée d’en louer une partie pour une rente annuelle; accrochés à leur propriété et à leur ego, ils ont peur de perdre l’un et l’autre. Ils sont devenus agressifs ces derniers temps au point de menacer de mort certains membres de cette assemblée.
- Coalición Obrera, Campesina y Estudiantil del Istmo.
- Le FPR (Front Populaire Révolutionnaire) est un parti qui revendique l’héritage de Staline.
- Parti Révolutionnaire Institutionnel, parti de droite au pouvoir au Mexique, via le président d’Enrique Pena Nieto.