MALI: Une conférence mémorable...... et puis un coup d’Etat

de Hannes Lämmler FCE - France, 20 mai 2012, publié à Archipel 204

La conférence sur l’Uranium, la santé et l’environnement à Bamako du 16 au 18 mars 2012 avait la particularité d’avoir été organisée par un collectif citoyen, l’ARACF (Association des Ressortissants et Amis de la Commune de Faléa), en partenariat avec l’IPPNW1 (Médecins internationaux pour la prévention de la guerre nucléaire), l’Uranium network, l’Alliance Africaine de l’Uranium AUA et avec la participation de membres du FCE.

Le centre international de conférence a été pendant trois jours le point de rencontre entre experts du nucléaire, médecins et activistes curieux de la société civile ainsi qu’une grande délégation d’habitants de la petite commune de Falea qui s’opposent au projet de la première mine d’uranium du Mali. Après les mots d’accueil exprimés par le Professeur Many Camara, de l’ARACF (Falea), le Professeur Andi Nidecker, président de l’IPPNW Suisse, a insisté sur l’urgence de la mise à disposition d’une information scientifique pour la protection des populations confrontées aux travaux d’exploration de l’uranium et aux possibles montagnes de déchets de la mine en projet. Il concluait, face aux dangers incalculables de cette technologie de «laisser ce minerai, sans le toucher, reposer là où il est: dans le sous-sol».
Quant à lui, le ministre des Mines du Mali, Amadou Cissé, a salué l’importance de cette rencontre scientifique et exprimé le souhait que ces connaissances soient respectées lors d’une mise en place de l’extraction du minerai. Il poursuivit : «La lutte contre la pauvreté n’est que trop souvent accompagnée d’un manque d’information. Il va falloir inclure la population locale et éviter les fautes qui ont été commises ailleurs.»
Puis Gunter Wippel, de l’uranium Network, donna un aperçu des techniques et des dangers de l’uranium, une intervention complétée par l’ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad en France, Bruno Chareyron. Connaissant la situation à Falea, il dressa en outre une liste des méfaits commis par la société qui explore le terrain, la canadienne Rockgate Capital Corp2. «Même la phase d’exploration est souvent accompagnée par des incidents provoqués par le radon3, un gaz hautement toxique.» Partout où l’uranium est extrait, des montagnes de poussières radioactives continuent à contaminer les populations des alentours et empoisonner les nappes phréatiques.
Cette introduction fut suivie par les récits de personnes venues du Gabon, de la Namibie, du Niger, du Congo, de l’Etat du Nouveau-Mexique aux USA, de Jadugoda en Inde, de l’Afrique du Sud et du Canada pour témoigner sur les effets de l’extraction de l’uranium dans leurs pays. Esther Yazzie, une Navajo, raconta, pleine d’émotions, la situation désastreuse dans son pays natal après 60 ans d’extraction de ce minerai. Elle rappela les liens qui nous lient à la terre et la nécessaire vigilance de la société civile. Chez les Navajo, une génération tout entière a été sacrifiée, morte du cancer des poumons suite à l’inhalation du gaz radon dans les mines et leurs environs.

L’industrie nucléaire française empoisonne

Le rapport de Madame Salli Ramatou du Niger4 devrait être connu partout. Malgré les promesses données il y a 40 ans, au début de l’extraction dans les 159 mines d’uranium de ce pays, les droits humains y sont toujours bafoués, le développement et le bien-être inexistants.
Le principal responsable de cette situation est Areva. Cette société française, numéro un mondial du nucléaire, a méticuleusement veillé à ce que le taux de pauvreté reste fixé au niveau de 1996. Le Niger souffre d’une contamination radioactive quasi généralisée: des montagnes de poussières radioactives de l’ordre de 35 millions de tonnes sont constamment érodées par les vents. Mme Ramatou conclut ainsi son récit: « En France, deux ampoules sur trois brillent grâce au combustible nucléaire du Niger qui est aujourd’hui un des pays les plus pauvres de la terre».
Trois scientifiques et médecins, Doug Brugge, Professeur à la Tufts Medical School de Boston aux Etats-Unis, le Docteur Dale Dewar du Canada et le Docteur Shri Prakash de Jadugoda en Inde5 ont chacun présenté leur analyse des effets de l’uranium et de sa radioactivité sur la santé de la population: des leucémies, des cancers de poumons, des dysfonctionnements rénaux, des déformations congénitales héréditaires en constante hausse.
Marc Ona Essangui rappela que la société Areva avait aussi sévi au Gabon. Aujourd’hui, après la fermeture en 1999 du site Mounana, des milliers d’habitants n’ont pas d’autre choix que de préparer leurs repas quotidiens avec une eau contaminée par la radioactivité. «Et Areva planifierait la réouverture des mines au Gabon.»
Golden Misabiko, venu à Bamako de la République démocratique du Congo, s’étonna du nom que porte son pays. Les mots république et démocratique le fâchent. Après avoir publié une enquête sur AREVA chez lui, il a été incarcéré le lendemain. Il a dû s’exiler. L’exploitation des mines est la plus rentable là où les multinationales ne sont pas contraintes de respecter les droits humains, les lois environnementales, l’Etat de droit ou la démocratie.
Nouhoum Keita, responsable de communication de l’ARACF expliqua que grâce à la mobilisation locale et au réseau international de solidarité, l’ARACF était devenue un acteur incontournable dans la procédure «de bonne gouvernance» de l’Etude d’impact environnemental et social. Pourtant, il devait reprocher au gouvernement et aux ministères concernés un manque de suivi et des promesses non tenues quant à la mise à disposition d’informations. Les élus, des habitants et le chef du village traditionnel appuyèrent l’intervention de Nouhoum avec leurs commentaires: «On veut et on va dire non à ce projet d’extraction d’uranium». On sentait une certaine fierté qui s’exprimait. Une détermination à ne rien lâcher.
Finalement, des Faleois remercièrent les hôtes venus de loin pour les soutenir...

L’arrogance du pouvoir

C’est alors que le représentant du ministère des Mines, Seydou Keita, fit l’éloge de la richesse minière du Mali, qui exporterait annuellement environ 50 tonnes d’or, en omettant d’indiquer la valeur de ce pactole et la part qui reste dans le pays annuellement6. Le Mali est le troisième producteur d’or du continent africain, ce qui est ici assez invisible. Le porte-parole du ministère présenta – tableau powerpoint à l’appui – un schéma de répartition exemplaire. Une sorte de transparence de façade où l’information essentielle reste cachée. Une certaine grogne se fit sentir. Il poursuivit en affirmant que le Mali serait capable de réaliser l’extraction de l’uranium sans dégâts pour les populations «grâce à Dieu, qui a donné l’intelligence aux Maliens. Tant qu’il y aura des multinationales pour s’intéresser à nos matières premières, nous les accueillerons, vous pouvez discuter ici ce que vous voulez». Dans sa lancée il reprocha aux invités d’être venus uniquement pour faire des vacances au Mali. Ceci était le mot de trop. Un débat houleux s’instaura mais assez rapidement, les organisateurs réussirent à remettre une ambiance d’écoute dans la salle. Le Professeur Many Camara exigea des excuses publiques du représentant du ministère des Mines avant que la parole puisse être donnée aux intervenants suivants. Ses excuses, après de longues phrases insignifiantes, furent acceptées par acclamation.
Madame Ramatou rappela la situation au Niger et la chance du Mali, où il est encore temps et possible d’éviter l’extraction d’uranium. Une longue liste de doléances et critiques face à la société canadienne Rockgate Capital Corp (RCT) fut dressée par une série d’intervenants de Falea: les forages avaient provoqué une pollution des puits d’eau mais les livraisons d’eau potable par RCT avaient cessé après quelques jours; des foreuses 24h sur 24 à proximité des huttes habitées; des vaches, mortes de manière inexplicable après avoir bu de l’eau des trous de forage mal sécurisés...
La possibilité de dire non au projet de la mine sera l’objet d’une consultation populaire. C’est une mesure qui fait partie de l’Etude d’impact environnemental et social. Mais est-ce que seule une petite délégation des habitants aura le droit de vote ou est-ce que chacun et chacune des 17.000 habitants auront leur mot à dire? Est-ce qu’une décision négative pour la multinationale sera respectée? Et est-ce que la population pourra compter sur le gouvernement?
La rencontre à Bamako confirme l’importance de ces échanges d’informations, la nécessité de la mise en réseau d’acteurs les plus divers et l’exigence du respect des principes démocratiques, qu’il faut arracher de leur utilisation purement décorative. Les habitants du village de Falea veulent être pris au sérieux. Les habitants de l’ensemble du continent africain ne pourront pas se satisfaire de ce que le PDG de la société Paladin Energy avait exprimé en 2006: «Les Australiens et les Canadiens sont devenus trop sophistiqués avec leurs accords environnementaux et sociaux au sujet de l’extraction de l’uranium. L’avenir (pour nous) est en Afrique.»

Epilogue

Quelques participants de la conférence se rendaient à Falea. Cinq heures sur la nouvelle route vers Keniéba, à la frontière vers le Sénégal et ensuite un chemin de terre rocailleux sur 80 km. Encore quatre heures. La route asphaltée a été construite d’ailleurs par une coalition de sociétés chinoise, japonaise et française. Les travaux ont été financés par divers fonds étatiques de développement en vue des nombreux projets d’extraction minière dans cette région.
Au retour à Bamako: coup d’Etat. Le président Amadou Toumani Touré (ATT) et un certain nombre de ses ministres7, des généraux et des colonels ont été arrêtés, l’aéroport et les frontières fermés. On parle de très peu de morts. La population est restée très calme et retenue. Quelques pillages et confiscations de véhicules ont eu lieu. Trois jours après déjà, on a l’impression d’une certaine normalisation. Les soldats sont appelés à retourner dans leurs casernes. La junte a ordonné la reprise des activités pour mardi 27 mars à partir de sept heures trente du matin. Elle a déclaré avoir pris le pouvoir pour redresser la démocratie et restaurer l’Etat.
L’arrogance du ministre et surtout de son représentant lors de la rencontre «Uranium Santé et environnement» avait été rejetée très vivement par les habitants de Falea. La grogne s’était manifestée au Palais du Congrès. Nous venons d’apprendre que de nombreux Faleois espèrent que les jeunes capitaines du Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE) mettront fin aux habitudes prises par les sociétés minières: dessous-de-table qui se transforment en villas ministérielles, miettes pour la population et transfert des bénéfices dans des paradis fiscaux.

  1. ONG qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1985.
  2. Cotée à la bourse de Toronto, ce qui permet de laisser les financeurs dans l’opacité.
  3. C’est un gaz radioactif, incolore, inodore. Le radon est spontanément présent surtout dans les régions granitiques, volcaniques et uranifères.
  4. Du Groupe de Réflexion et d’action sur les Industries Extractives au Niger.
  5. Black Magic of Uranium at Jadugoda <www.idpd.org>.
  6. Environ 600 millions d’euros (393 milliards de Francs CFA), au cours du jour, soit 12 euros/gr d’or de 333 carats non raffiné.
  7. A l’heure où j’ai écrit cet article, on ne savait toujours pas si le ministre des Mines avait été également arrêté.

Sources

  • Dossier de préparation de la conférence de Bamako: à commander auprès de <Uranium Network.org>.
  • AREVA en Afrique, Raphaël Granvaud, Edition Agon et Survie ISBN 978-2-7489 -0156-6.
  • L’avenir radieux, Nicolas LAMBERT <www.unpasdecote.org>.
  • Le scandale de la France contaminée: DVD Pièces à conviction, FR3.
    Pour plus d’infos: <www.falea21.org>