Tchérina von Moos revient de Jénine, en Cisjordanie, après avoir participé à une délégation internationale du 10 au 24 février 2003, organisée par le GSSA (Groupe pour une Suisse Sans Armée).
Alors que le monde entier a les yeux tournés vers l’Irak, et qu’il ne se passe pas un seul jour sans une manifestation contre la guerre, quelque part dans le monde, la déportation et l’extermination du peuple palestinien se poursuivent sans attirer l’attention. En Palestine aussi, il n’y a pas un seul jour sans mort, destruction, désolation. Si Bush sait comment utiliser d’une manière efficace le mot «terrorisme», personne ne sait mieux que Sharon comment l’appliquer.
Presque un an après l’effroyable attaque de l’armée israélienne (IDF: Israel Defence Force) du quartier Hawashin de Jénine, nous y avons passé une semaine, bien trop courte. Invités chez une famille dont le cabinet dentaire du fils a été complètement détruit par les bombes, simplement parce qu’en tant que médecin il avait dispensé les premiers soins parmi les décombres.«Vous savez, pour eux, nous sommes tous des terroristes» , dit-il aujourd’hui, légèrement sarcastique mais sans amertume.
Pour mémoire, le 3 avril 2002, l’armée israélienne attaquait le quartier d’Hawashin, fortement peuplé et construit autrefois par les déportés de 1948. Plus de 140 maisons, pour la plupart occupées par plusieurs familles, étaient complètement détruites, environ 200 gravement endommagées. Le but de l’IDF était d’arrêter ou de tuer des militants palestiniens soupçonnés d’être responsables d’attentats-suicides, ce qui toutefois ne l’autorise pas à bafouer les lois humanitaires internationales lors de ses opérations. Même l’armée israélienne a le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection des civils. Plus de 4000 personnes se sont retrouvées sans abri, 50 hommes et femmes palestiniens ont été tués. Et pour finir le quartier a été soigneusement rasé à coups de bulldozer*.
Aujourd’hui il y règne toujours un calme étrange. Ceux qui ont survécu au massacre, munis de pelles et de pioches, réparent les escaliers et essaient de colmater les brèches.
Le marché regorge de légumes frais des jardins. Des fruits, des épices, de la quincaillerie, des fripes, le «dernier» CD est diffusé à plein tube dans les haut-parleurs. Le muezzin appelle depuis la mosquée, à cinq heures tout ferme. On se dépêche vers la maison, on s’enferme à double tour. Couvre-feu imposé. Jénine, ville fantôme. Et là, c’est le début de la terreur psychologique. Ils viennent seulement la nuit, les visages noircis. Ils sont jeunes, 18 à 20 ans, à l’abri dans la tourelle de leur blindé. Quand ils prennent un virage, ils font toujours en sorte que le fût du canon esquinte la maison qui fait l’angle. Dans la ville, ils circulent toujours avec une chenille sur le trottoir, s’arrangeant pour détruire tout ce qu’ils rencontrent en chemin: les lampadaires, les bouches d’incendie, les voitures garées. Ils écrasent tout.
A Jénine on ne les voit pas. On les entend seulement. Quand ils viennent «tôt», entre dix et onze heures du soir, ils sont souvent escortés par des hélicoptères. Les habitants en ont peur. C’est l’angoisse sans cesse répétée d’un deuxième assaut. Les soldats tirent ensuite sur les murs des maisons et par-dessus les toits. Autrement ils viennent à l’aube, vers quatre heures. Leurs tanks tournent dans le quartier, défoncent l’asphalte des rues, saccagent les jardins, les oliviers, les amandiers, les orangers. Puis ils enfoncent à coups de bottes la porte du voisin, l’arme en joue, ils tirent du lit la mère malade et arrêtent le fils.«Terroriste» . Il a dix-sept ans, pas de travail, pas de perspective d’avenir. Ni dehors, ni dedans. Il n’a que lui-même, sa famille et la Palestine. Pas de fusil, pas de pistolet. Même plus de pierres.
La ville est tranquille. Pas de manifestations, pas d’agressions. Seuls les enfants jouent à la guerre. Le plus gros souci de Jénine, à côté d’un quotidien chaque jour à reconstruire, c’est le traumatisme de guerre qui touche les écoliers et les jeunes. Les éducateurs de rue s’efforcent de décriminaliser les parents de demain.
Bons baisers de Jénine. «S’il vous plaît, parlez de nous à l’extérieur. Nous n’avons pas besoin d’argent, ni de vivres. Racontez-leur, pour qu’on ne nous oublie pas! Merci, merci beaucoup!» , et une dernière fois, juste avant de fermer la porte du taxi: «Vous êtes les bienvenus. Salem aleïkoum. Tous vos amis, tous sont les bienvenus! Dites-leur bien» .
* sources: www.hrw.org