Le projet ambitieux d’une caravane pour la liberté de mouvement et un développement juste a déjà été présenté dans le dernier numéro d’Archipel: pendant dix jours, 250 activistes, pour la plupart du Mali, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche de France et des Pays-Bas vont voyager de Bamako à Dakar. La caravane s’arrêtera dans différents lieux tant pour mener des discussions sur les perspectives de la résistance et la constitution d’un réseau international, que pour nouer de nouvelles amitiés. Elle arrivera à Dakar pour le Forum Social Mondial où elle participera à de nombreux ateliers. L’article suivant se propose de rappeler quelques informations sur la réalité politique du Mali et de quelques pays voisins.
Depuis le début de l’année 2008, les manifestations, grèves et autres révoltes à répétition dans les pays du Sud ont attiré l’attention des médias au niveau mondial sur le problème de l’augmentation des prix et des crises de l’alimentation. Les gouvernements des pays industrialisés ainsi que le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque Mondiale exprimaient leur inquiétude sur la montée des «risques d’insécurité» causées par les «révoltes de la faim» – - entre autres en Afrique de l’Ouest.
Les élites au pouvoir manifestaient ainsi leur peur et leur ignorance des besoins urgents exprimés par ces luttes. Fin 2007 – début 2008, un grand nombre de pays ont été confrontés à une augmentation énorme du prix des denrées alimentaires de base, du carburant et d’autres biens de consommation. Au Burkina Faso, comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, le prix du riz augmente alors de 51%, celui des pâtes de 74%, le lait de 118% et l’huile alimentaire de 142%. Là où la majorité de la population vit avec moins d’un dollar par jour, un tel développement a des conséquences dramatiques. La plupart des habitant-e-s d’Afrique de l’Ouest sont forcé-e-s de réduire le nombre de repas quotidiens et à en simplifier le menu. Ce développement s’explique entre autres par l’intensification de l’utilisation des terrains agricoles pour la production d'agrocarburants. En outre, les crises des marchés financiers accroissent la spéculation sur les denrées alimentaires. Si les prix de la nourriture en Afrique de l’Ouest sont alignés sur le marché mondial, c’est que beaucoup d’aliments de base, tels que maïs et riz, ne sont pas cultivés sur place mais importés. Historiquement, il s’agit d’un héritage de l’économie coloniale dans laquelle les différentes colonies étaient conditionnées pour la production exclusive de certains produits spécifiques pour l’exportation. De plus, la politique du commerce et des subventions des Etats de l’Union Européenne renforce l’élimination des producteurs/trices africain-e-s.
La vie chère
Depuis l’explosion des prix de 2008, «la vie chère» est devenue l’expression du mécontentement et de la rage contre les conditions d’existence de plus en plus précaires de nombreux Africain-e-s de l’Ouest. Des milliers de personnes au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Togo, au Cameroun, au Burkina Faso et ailleurs sont déjà descendus dans la rue.
Sénégal: les premiers à réagir contre l’augmentation des coûts de la vie au début de l’année 2008 sont les associations de consommateurs/trices. Le prix du lait a doublé, le prix d’un sac de riz est monté de 150%. Des affrontements intenses avec les forces de sécurité se produisent après l’arrestation de deux fonctionnaires responsables d’associations. La protestation contre «la vie chère» est le thème principal des manifestations syndicalistes du 1er Mai. Le gouvernement n’a pas d’autre choix que de continuer à subventionner les denrées alimentaires de base et d’autres biens de consommation, ainsi que d’adopter des sanctions plus sévères contre les opérations spéculatives. En 2010, des milliers de gens manifestent dans de nombreuses villes contre les coupures de courant arbitraires effectuées par la compagnie d’électricité Sénélec. Un manifestant de 29 ans est tabassé à mort par les forces de sécurité. Les gens sont en colère à cause d’une situation sociale générée par l’augmentation des prix des denrées alimentaires, des mauvais soins médicaux de base et l’accès difficile à l’eau et au courant.
Burkina Faso: fin février 2008, lors de manifestations contre l’augmentation drastique du prix des aliments, des magasins, des stations d’essence, des voitures et des bâtiments gouvernementaux sont incendiés. Du 8 au 9 avril 2009, une coordination de syndicats et de mouvements sociaux lancent la grève générale. Malgré des centaines d’arrestations, le régime de Blaise Compaoré doit faire des concessions: une baisse des prix et des nouvelles tarifications sont annoncées; les frais de douane pour les denrées alimentaires sont réduits et une partie des provisions d’urgence stratégiques sont distribuées. La privatisation de la compagnie d’eau, ONEA, et de la compagnie d’électricité Sonabel est stoppée.
Togo: le 2 juillet 2010, une grève générale contre l’augmentation du prix du carburant est massivement suivie, bien que les directions des syndicats se soient retirées. L’appel est lancé par une coalition de syndicats et de «l’Association Togolaise des Consommateurs» (ATC), qui revendiquent: «Non à la vie chère au Togo, non à la précarité, non à la pauvreté et non à l’injustice sociale!». Les premiers à s’engager dans la bagarre sont les chauffeurs de taxi ainsi que d’autres employés des transports. Quand ceux-ci sont plus chers, la répercussion sur le prix des biens de consommation est automatique. De plus, comme il n’y a pas de transports publics au Togo, l’augmentation du prix du carburant touche directement tout le monde.
Cameroun: en février 2008, une grève de chauffeurs de taxi et de motos-taxis contre l’augmentation du prix du carburant se mue en révolte au niveau national contre «la vie chère» et contre le régime autocrate de Paul Biya. Le soulèvement est brutalement réprimé par l’armée: 200 personnes sont tuées, plus de 1500 arrêtées.
Même si les motivations et les acteurs/trices de tous ces mouvements sont très différents, ils sont unis par la lutte contre de nouvelles aggravations de leurs conditions d’existence déjà précaires. Tout cela ne correspond pas au cliché des «révoltes de la faim», un soulèvement sans conscience et sans raisons de gens uniquement poussés par le désespoir. C’est plutôt la manifestation d’une population politiquement consciente qui n’est pas prête à sacrifier ses besoins à l’enrichissement des élites au pouvoir corrompues et autocrates, et qui ne veut pas accepter non plus d’être la victime d’une logique de marché mondial du profit et de la crise.
Radios locales contre marché mondial
Le Mali est sans conteste une des sociétés des plus diverses, voire paradoxales d’Afrique de Ouest. D’un côté, ce pays sahélien se caractérise par un climat politique ouvert avec des organisations de base nombreuses, des structures autogérées et des médias indépendants: le nombre des radios locales s’élève à 150, elles sont plus nombreuses que dans n’importe quel autre pays africain. De l’autre, selon l’indicateur du développement humain des Nations Unies, le Mali occupe le 178ème rang mondial, c’est-à-dire la 5ème en partant du bas: 33% des enfants de moins de 5 ans sont sous-alimentés, 50% seulement des habitants ont accès à l’eau potable, la moyenne de vie est de 53 ans, et 75% des personnes de plus de 15 ans ne savent ni lire ni écrire. (…)
1991 représente une année charnière pour le Mali: après 23 années de dictature, le général président Traoré est destitué par une révolte populaire, en grande partie portée par les lycéen-ne-s et les étudiant-e-s. Dès 1989, on sentait monter la grogne due aux difficultés pour participer à la vie politique, au pillage clientéliste des deniers publics ainsi qu’au programme d’ajustement structurel imposé par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. (…) Depuis, les droits politiques sont un bien reconnu de toutes et de tous: les élections se déroulent librement, on ne compte aucun prisonnier politique, la liberté de parole et de rassemblement – à quelques exceptions près – est garantie.
«Bonjour, vous les politiciens corrompus! Bonjour, vous les pilleurs des deniers publics! Bonjour, vous les fainéants!» C’est ce genre de propos détonants que le présentateur vedette de radio Amidu Diarra utilise dans son émission matinale quotidienne en guise de salutations pour stigmatiser l’élite politique. Il remue ainsi le couteau dans la plaie, car la démocratie au Mali est une affaire fragile, la plupart des Malien-e-s se sentant comme des figurants: au parlement on parle français, une langue qui n’est parlée que par 40% de la population, alors que le bambara est utilisé par la population toute entière du pays. Le plus grave encore, c’est la corruption. Le Mali ne se distingue pas des autres pays africains: un tiers de l’argent du développement tombe dans les poches de particuliers, les entreprises d’Etat sont bradées au privé, celles du secteur très lucratif de l’or bénéficient de généreuses réductions de taxes.
Il ne faut donc pas s’étonner si le parlement n’a pas été consulté en 2003 lorsque le Dakar-Niger-Express a été vendu, sous l’égide de la Banque Mondiale, au consortium franco-canadien Canac-Getma. Les conséquences de la privatisation des 1.259 kilomètres du tronçon ferroviaire entre Dakar et Bamako sont néanmoins dramatiques: en contradiction avec les accords négociés, le transport des personnes est massivement réduit au profit des marchandises. 632 cheminots syndiqués ont perdu leur emploi. En outre 26 des 36 gares ont été fermées, provoquant la faillite de l’économie des villages longeant la ligne de chemin de fer. Des cheminots du Mali et du Sénégal, en relation avec des cultivatrices et cultivateurs, des commerçantes et commerçants et d’autres personnes concernées, avaient été à l’initiative d’un regroupement pour la rétrocession et le développement de la ligne de chemin de fer, Cocidirai. De nombreuses actions de protestation ont porté ce thème au centre de la politique intérieure du Mali, jusqu’ici sans succès.
Les évolution du secteur du coton ont été non moins problématiques. Au Mali pas moins de 3,4 millions de personnes dépendent des revenus de l’exportation du coton. Dans le même temps, ces revenus sont devenus précaires. En effet, les Etats-Unis soutiennent leurs 25.000 entreprises du coton en leur apportant une aide financière à hauteur de 4,8 milliards de dollars par an, entraînant une baisse du prix mondial de 26%. En conséquence, la société d’exportation malienne CMDT n’arrive pas à dégager de bénéfices et de plus en plus de paysan-ne-s se tournent vers la culture du maïs ou de millet. Cette situation a des conséquences extrêmement néfastes dans l’industrie de transformation (en particulier pour la production d’huiles végétales issues des semences de coton).
Un simple calcul révèle le grotesque du déséquilibre mondial: alors que chaque fermier producteur de coton américain est subventionné à hauteur de 100.000 dollars par an, un cultivateur malien aura besoin de travailler environ 1000 ans pour gagner une pareille somme. Un autre conflit récent, lui aussi ancré dans le secteur agricole, concerne les terres. Celles-ci sont vendues à des investisseurs opérant globalement, qu’il s’agisse de cultures céréalières destinées à l’exportation ou aux agrocarburants, soi-disant pour lutter contre le changement climatique! Les entreprises libyennes, par exemple, font de très bonnes affaires au Mali. Les petites organisations de cultivateurs parlent déjà de pratiques d’expulsion. Dans ce contexte, l’émigration malienne prend toute son importance: près du quart de la population, c’est-à-dire 4 millions de personnes se trouvent en situation d’exode et/ou de migration, la plupart dans les pays voisins d’Afrique de l’Ouest, certains en Europ
* Ce texte a été écrit avant le départ de la caravane, fin janvier.
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