J’ai participé aux deux premières journées du festival international de la semence, qui a eu lieu du 1er au 4 mai 2014 sur le nouveau lieu d’implantation de l’association Kokopelli, au mas d’Azil en Ariège. Pour rappel, l’association Kokopelli œuvre pour «la libération de la semence et de l’humus»: elle répertorie et diffuse largement, partout où c’est nécessaire, des semences rustiques librement reproductibles, transmet le savoir faire de sa reproduction ainsi que des techniques de culture en agro-écologie.
La plupart des semences diffusées étant considérées comme illégales par la législation française, Kokopelli foait face depuis de longues années à différents procès. Ces procès, bien qu’extrêmement fragilisants pour l’association, sont autant de tribunes qui permettent de dénoncer et de faire connaître auprès d’un large public les multiples dangers pour la chaîne alimentaire (en terme de biodiversité, d’autonomie alimentaire, de pollutions environnementales, d’érosion de savoirs-faire...) que représentent ces législations sur la semence. Ces lois, qui sévissent déjà à l’échelle française, sont actuellement en cours d’élaboration à l’échelle européenne.
L’organisation de ce festival par Kokopelli était une réponse positive faite à une proposition de l’association grecque Peliti, qui souhaitait montrer par cette rencontre qu’une force internationale soutient Kokopelli dans son choix de diffuser des semences illégales, tout en récusant cette appellation. Peliti est en quelque sorte la cousine complice de Kokopelli, bien que ces deux associations aient été créées dans l’ignorance complète et réciproque l’une de l’autre. Les Grecs de Peliti avaient déjà organisé des journées de rencontre internationale chez eux, en 2012 puis en 2013, dans le cadre du festival panhellénique de la semence qu’ils organisent annuellement. Cette idée leur était venue suite aux fructueux échanges réalisés lors de la rencontre internationale Free our seeds, organisée entre autre par le Forum civique européen à Bruxelles en 2011, pour protester contre les législations européennes sur la semence. Pour se rendre à la rencontre Kokopelli, les Peliti ont choisi de se déplacer sous la forme d’une «caravane» constituée d’une quarantaine de personnes (bon nombre de Grecs mais aussi des Italiens, des Portugais, des Roumains et Vandana Shiva d’Inde). Le voyage a duré 5 jours et chaque étape était fortement médiatisée pour encore et encore communiquer sur les dangers que représentent les législations européennes sur les semences qui sont en train de se structurer. Chants et danses étaient à l’honneur puisque les grecs ne se déplacent jamais sans musiciens et que toute rencontre fait l’objet d’une fête...
Les deux premières journées de la rencontre Kokopelli étaient des journées d’échanges et de réflexion entre membres de différents groupes internationaux qui militent tous activement sur le thème de la semence: Kokopelli (France et Suisse), Peliti (Grèce), Navdania (Inde et Italie), Arch de Noah (Autriche), Campanha das Sementes Livres (Portugal), Tierra Humana (Colombie), etc. Les deux journées suivantes étaient destinées à un large public avec divers ateliers pédagogiques (production de semences, techniques agroécologiques, apiculture) et une grande bourse aux graines. Vandana Shiva a également donné une conférence qui a attirée plus de 500 personnes.
Lors des journées de travail, nous avons cherché les moyens d’accroître la portée des actions de protestation et de résistance aux législations semencières que chacun porte déjà localement, en se coordonnant mieux et en créant des moments d’actions communes à l’échelle européenne. Ceci entre autres parce que, dans bon nombre de pays européens (comme en Grèce par exemple), les entraves faites à la libre reproduction et diffusion de la semence sont quasi inconnues du grand public. L’idée était aussi de chercher une manière de faire contrepoids au lobbying féroce des multinationales de l’agro-industrie qui dictent une bonne partie du contenu des lois européennes. Il est évident que la disproportion entre les énormes moyens financiers déployés par les professionnels de l’industrie chimique agricole, surreprésentés à Bruxelles, et les convictions – certes solides mais non lucratives – des militants associatifs rend la lutte bien inégale. Mais, comme l’a rappelé Vandana Shiva, ce n’est pas parce que l’on est petit que l’on est forcément inefficace, comme en témoigne le vrombissement tapageur du moustique qui vient irriter le système nerveux et maintenir en éveil celui qui cherche à dormir... L’idée a donc été lancée et concrétisée par certaines des personnes présentes, de se regrouper en une alliance nommée «Seed freedom Europe» qui va, entre autres, permettre de faire connaître nos points de vue et idées aux parlementaires européens en chantant un peu plus fort et à l’unisson.
Mais au fait, quelles sont les convictions que nous portons? Chacun des groupes présents à cette rencontre a une pensée et des modes d’actions qui sont variés et qui peuvent différer les uns des autres. Une idée est néanmoins commune: nous refusons que les variétés issues du domaine public1 et librement reproductibles2 relèvent de quelque législation que ce soit, nous exigeons de pouvoir les reproduire et les échanger à notre guise sans aucune restriction. Pour ce faire, une idée se développe actuellement qui est de transposer le modèle des logiciels informatique libres «open source» (type Linux) aux semences: les semences «open pollinated» peuvent être librement utilisées et améliorées par quiconque le souhaite, ceci toujours gratuitement et sans dépôt de titre de propriété. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pendant des centaines d’années avec les variétés traditionnelles sans que cela ne pose problème ou question à qui que ce soit... La semence étant le premier maillon de la chaîne alimentaire, la libre utilisation des semences par les paysans et les jardiniers est fondamentale et incontournable pour préserver la sécurité alimentaire de tous (avec l’accès au foncier et à l’eau). Laisser être et circuler librement la semence c’est aussi se mettre en accord avec la prodigieuse prodigalité de la nature qui diffuse à tous les vents, généreusement et sans compter, une infinité de graines pour que se perpétue la vie sous toutes ses formes.
- C'est à dire libres de droits, elles ne sont la propriété de personne: elles n’ont pas de brevet ou de COV (Certificat d’Obtention Végétale).
- Appelées parfois «pollinisation ouverte», «open pollinated», leur reproduction n’est pas verrouillée agronomiquement ou juridiquement.