Au début, seuls les apiculteurs étaient sur les barricades. Ils imputaient la mort massive des abeilles à l’emploi d'insecticides enrobant pour semences. Dénommés néonicotinoïdes, ils contiennent des neurotoxiques. L’interdiction promulguée aujourd’hui par l’UE est un succès partiel, sans véritable raison de se réjouir.
Les semences traitées par des néonicotinoïdes des multinationales de la chimie Bayer, BASF et Syngenta sont 7.000 fois plus nocives que le DDT, quelques nanogrammes suffisent à tuer une abeille. Des quantités encore plus infimes causent aux abeilles et autres insectes des difficultés d’orientation. Elles ne retrouvent plus leur ruche et le neurotoxique détruit massivement leurs facultés de communication. L’interdiction de l’UE entre en vigueur le 1er décembre et concerne les trois pesticides clothianidine, imidacloprid et thiamethoxam pour la culture du maïs, du tournesol, du colza, des courges à pépins, du pavot et du coton pour les deux prochaines années. Pour le moment l’utilisation des produits chimiques reste autorisée pour les céréales d’hiver et les plantes qui n’attirent pas les abeilles. L’interdiction est très limitée, car environ 80% des surfaces attribuées aux semences traitées aux néonicotinoïdes ne sont pas touchées.
Lors du conseil des ministres de l’agriculture de l’UE, au printemps dernier, l’actuel ministre autrichien de l’Agriculture et de l’Ecologie, Nikolaus Berlakovich, avait voté à deux reprises contre l’interdiction partielle des pesticides. Ceci avait provoqué une vague d’indignation dans le pays phare de l’écologie avec 20% de cultures biologiques. Dans les journaux paraissaient chaque jour des articles pour la défense des abeilles et des appels à la démission du ministre. Les employés d’un supermarché ont revêtu des tee-shirts jaunes avec l’inscription «nous aimons les abeilles». Les apiculteurs, avec le soutien de quelques grandes associations pour l’environnement et de la presse ont obligé «Niki poison» à faire des concessions. Une grande partie de la population est désormais au courant de l’effet des néonicotinoïdes. Les abeilles jouissent en Autriche d’une grande popularité. Par exemple, notre commune d’Eisenkappel en Carinthie du Sud compte 80 apiculteurs sur 2.300 habitants.
Sous la pression de l’opinion publique, juste avant la pause de l’été, le parlement autrichien a étendu l’interdiction de ce traitement des semences destructeur d’abeilles aux céréales d’hiver pour une durée de trois ans, la réglementation autrichienne dépassant ainsi le moratoire de l’Union européenne. En même temps, il décidait de limiter l’utilisation du glyphosate, contenu dans l’herbicide absolu roundup. L’aspersion juste avant la récolte a également été interdite, du fait de la présence de plus en plus grande de résidus de ce glyphosate hautement toxique dans les aliments.
Comment les nicotinoïdes agissent-ils sur les abeilles?
Depuis des années, les apiculteurs ont observé l’apparition de troubles chez les abeilles à la floraison du colza et aux semailles du maïs dans les zones d’agriculture intensive. De nombreuses butineuses ne rentraient pas et, sur le plancher de la ruche, on trouvait chaque jour des abeilles incapables de voler ou mourantes.
En Bavière et au Bade-Wurtemberg, des milliers de ruches sont mortes au printemps 2008, sinon fortement affaiblies. En Slovénie, les populations ont été réduites de moitié. Des analyses chimiques d’échantillons d’abeilles et de plantes ont clairement montré que l’agent clothianidine, du groupe des néonicotinoïdes, était la cause des pertes. Cette toxine est présente dans le produit de traitement des semences Poncho de la firme Bayer. Il est employé pour traiter les semences de maïs et de colza, et agit dans la plante en croissance comme un poison de contact ou à ingurgiter. Les néonocotinoïdes sont des insecticides systémiques, absorbés par les racines, transportés dans les tiges et les feuilles avant d’être détruits très lentement. Le poncho est employé contre le taupin et la chrysomèle du maïs. Comme les parcelles de maïs dédiées à la production d’agrocarburants sont de plus en plus grandes, souvent la rotation des cultures n’est plus respectée. Le remplacement annuel des cultures de maïs par d’autres plantations interrompt le cycle pluriannuel de développement de la larve de l’insecte, qui par conséquent n’arrive pas à l’âge de se reproduire. Ces insectes peuvent donc être éliminés sans recours à la chimie.
Que se passe-t-il pour les abeilles? Aux semailles du maïs traité au Poncho ou à l’aide de produits similaires, de la poussière d’insecticide est dispersée par frottement sur le colza, les pissenlits et les arbres fruitiers alors en pleine floraison. Les abeilles récoltent le nectar des fleurs et introduisent l’insecticide dans la ruche, contaminant ainsi d’autres abeilles. Les butineuses meurent souvent déjà en vol. Au printemps, les peuplements sont affaiblis, au lieu d’augmenter. Les abeilles ingurgitent également le poison par l’eau d’évaporation que les jeunes plants de maïs, abondamment arrosés et dans une atmosphère très humide exsudent sous forme de gouttes par des ouvertures à la pointe de leurs feuilles. Les abeilles boivent ce cocktail empoisonné. En outre les néonicotinoïdes se retrouvent dans la ruche avec le pollen récolté par les abeilles et qu’elles stockent pour nourrir le couvain à la fin de l’hiver, quand dehors il n’y a encore rien à butiner. En hiver aussi, des abeilles et du couvain meurent du poison de Bayer.
Tout ceci est bien connu depuis des années et a fait l’objet de recherches. En France, après la mort massive de leurs abeilles par les produits Poncho et Gaucho, des apiculteurs en colère ont réussi en 2003 à imposer une interdiction de ces pesticides. En Allemagne, Bayer s’est empressé de dédommager les apiculteurs touchés avec plus de 2 millions d’euros, sans attendre qu’ils portent plainte. Depuis lors, l’introduction, la mise en circulation et la culture du maïs traité au clothianidine ou par d’autres produits équivalents ont été interdites. En Italie et en Slovénie l’autorisation des néonicotinoïdes a été également levée.
Bruxelles a fini par entendre les protestations venues de toute l’Europe. En décembre 2012, le Parlement européen a publié un rapport qui confirme que la nocivité pour les abeilles des produits à base de néonicotinoïdes n’est pas seulement provoquée par leur toxicité instantanée. Il est prouvé que c’est davantage les infimes quantités sublétales (des quantités qui ne tuent pas instantanément) de pesticides dans le nectar, le pollen ou l’eau qui peuvent altérer de manière décisive la capacité de survie d’une ruche. Ce n’est pas seulement une menace pour les abeilles, mais aussi pour notre système écologique commun.
80% des plantes cultivées et un tiers de nos aliments dépendent directement de la pollinisation par les abeilles. Les conséquences catastrophiques de leur disparition sur l’agriculture sont déjà observées dans certaines régions du monde où l’arboriculture fruitière dépend désormais de la pollinisation manuelle effectuée par l’homme pour remplacer l’insecte disparu.
Une science qui fait tout pour l’argent
La firme Bayer tente aujourd’hui de redorer son image chez les apiculteurs et dans les médias. Lors de manifestations d’apiculteurs des représentants de la firme distribuent des abeilles en peluche, des sachets de graines pour «des îlots fleuris» et des tracts avec ces mots: «Bayer – we care for bees». Ils veulent ainsi convaincre les apiculteurs sinistrés que la mort des abeilles est causée par l’acarien varroa. Pour lutter contre le varroa, ils recommandent des produits Bayer contenant du Coumaphos extrêmement toxique qui laisse des traces dans la cire et contamine le miel. La majorité des apiculteurs autrichiens se bat depuis trente ans avec succès contre ce parasite importé d’Asie en enlevant le couvain contaminé et par des traitements aux acides formique et oxalique. Ces acides organiques ne laissent aucune trace dans la cire et le miel.
On assiste à une multiplication des articles de journaux qui prétendent que les 30% de pertes hivernales dans les ruches sont une moyenne et qu’il ne s’agit pas de la mort des abeilles. Josef Hoppichler, chercheur au département fédéral des questions de l’agriculture de montagne, s’exprime là-dessus: «Sur un ton pseudo-scientifique, on essaie dans les médias de nous présenter les insecticides accumulés dans l’environnement comme inoffensifs pour les abeilles et une agriculture écologique. Les néonicotinoïdes sont systémiques, ils se répandent dans l’ensemble de la plante, ils restent dans le sol et sont néfastes non seulement pour les abeilles, mais aussi pour les autres insectes et la chaîne alimentaire de la faune sauvage, en particulier les oiseaux et les amphibiens. Que les apiculteurs opiniâtres doivent en permanence reconstituer leurs ruches, et éviter l’agriculture intensive, ne constitue pas une preuve de l’innocuité des insecticides. De par leur conception même, les insecticides systémiques sont un désastre, car ils portent en eux la destruction systématique du système écologique. Pour des raisons bassement matérielles, de nombreux chercheurs lèchent les bottes de l’industrie et minimisent les dégâts sur notre système écologique, au lieu de les dénoncer. Toutefois, la mort des abeilles n’a pas été découverte par le monde des entomologistes et des naturalistes, mais par les apiculteurs qui ont constaté dans leur pratique sur des années des dégâts évidents et ont tiré la sonnette d’alarme. Autrefois, les catastrophes étaient naturelles, aujourd’hui – du moins depuis l’ère de l’atome – elles sont le fait de l’homme. El le pire c’est une science qui fait tout cela pour de l’argent.»
BAYER: histoire d’un groupe au service de la mort* Le nom de Bayer évoque tout de suite l’aspirine. Ce que beaucoup ignorent, c’est que Bayer est le deuxième producteur mondial de pesticides et le troisième fournisseur de semences génétiquement modifiées. Le groupe dont le siège est à Leverkusen (Allemagne), compte 120.000 employés et un chiffre d’affaires annuel de 28 milliards d’euros. Au cours de son histoire, Bayer a toujours fait ses profits au détriment des droits humains et de la protection de l’environnement. Pendant la première guerre mondiale, l’entreprise a inventé le gaz moutarde utilisé dans les combats. Bayer était une filiale de IG Farben qui travaillait en étroite collaboration avec les nazis. C’est une filiale de IG Farben, Degesch, qui a produit le Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz. Après la deuxième guerre mondiale, l’entreprise chimique a dû se trouver d’autres débouchés. Elle les a trouvés dans l’agriculture industrielle naissante. Depuis, les intrants chimiques agricoles empoisonnent les nappes phréatiques, les sols, les insectes et l’homme. Selon les données de l’OMS, près de 3 millions de personnes souffrent chaque année d’empoisonnement par des intrants chimiques, dont 200.000 cas mortels.
* Sources: coordination contre les dangers de Bayer <www.CBGnetwork.com>