AGRICULTURE: Disparition des abeilles, l’UE peut-elle les sauver?

de Astrid Österreicher, 22 déc. 2013, publié à Archipel 221

Au sujet de la disparition des abeilles, on attribue souvent à la commission de l’UE un rôle de sauveur pour avoir imposé l’interdiction de trois pesticides dangereux pour l’environnement. Personne ne semble se demander pourquoi et comment des produits aussi toxiques ont pu arriver sur le marché. N’y a-t-il pas, dans l’UE des institutions qui se chargent de veiller à ce que les produits utilisés dans l’environnement ne soient pas aussi nocifs?

En théorie oui. L’EFSA, le bureau européen pour la sécurité alimentaire basé à Parme (Italie), joue un rôle important quand il est question d’autoriser l’usage de milliers de pesticides que nous finirons par retrouver dans nos assiettes: insecticides, additifs alimentaires, produits nano-technologiques et modifiés génétiquement. L’UE a créé cet office en 2002 à la suite de plusieurs scandales relatifs à l’alimentation ayant déclenché une peur gigantesque dans la population.
Les pesticides venant de la famille chimique des néonicotinoïdes ont été autorisés dès la moitié des années 1990, sur la base d’un rapport d’expertise de la commission européenne. Depuis, de nombreux apiculteurs et apicultrices se sont révoltés contre l’usage de ces pesticides dont une foule d’études scientifiques ont montré le danger. Malgré tout, il a d’abord fallu que des myriades d’abeilles meurent et que les preuves scientifiques s’accumulent avant que l’EFSA, connu pour son attitude favorable à l’industrie, ne soit plus en mesure de nier les faits.
Il est absurde de débattre des critères d’autorisation pour des semences inoffensives alors que la réglementation des herbicides, fongicides et pesticides reste insuffisante. En théorie, il existe des règles sur les études auxquelles ces produits doivent être soumis avant d’arriver sur le marché, mais en réalité, l’EFSA peut agir selon son bon vouloir.
Des autorisations distribuées sans réflexion Quelles sont en effet les études actuellement appliquées pour identifier si un produit est dangereux ou pas? Quand une entreprise veut lancer un nouveau produit, elle doit d’abord réaliser des études scientifiques qui prouvent que celui-ci n’est pas dangereux pour l’environnement, ni pour la santé. Fatalement, les résultats des tests sont en général largement atténués: les entreprises veulent vendre leurs produits. L’EFSA effectue elle-aussi des études, mais elle juge en s’appuyant sur celles que les entreprises lui présentent.
L’irresponsabilité institutionnelle qui consiste à s’appuyer sur des études financées par les entreprises elles mêmes est encore accentuée par le fait que la majorité de ces tests ne peuvent jamais être rendus publics en vertu de la «protection des secrets industriels et commerciaux». La vérification scientifique indépendante des résultats est donc impossible, alors que celle-ci devrait être incontournable. Et même si on réussit à rendre publiques des études indépendantes qui montrent le danger d’un certain produit, l’EFSA ne bouge pas.
Mais on ne délègue pas seulement aux entreprises la réalisation des études scientifiques requises pour leur propre compte et leur non-publication, on leur permet aussi de participer au vote des lois concernées. En réécrivant, par exemple, la loi européene 91/414 qui règle le déroulement du processus d’autorisation des insecticides, un groupe d’expertise financé par l’industrie avait proposé avec succès d’établir qu’un test de toxicité pour abeilles ne serait nécessaire qu’en cas de symptômes sévères observés parmi celles-ci. Or les abeilles, soumises régulièrement aux substances polluées (fleurs et eaux souillées par les pesticides) sont déjà malades de manière chronique et contaminent les populations à venir. Même si ces doses minimales ne tuent pas les abeilles tout de suite, elles représentent tout de même à long terme un danger sérieux et irréparable pour leur santé.
Il est devenu de plus en plus difficile de nier la relation entre pesticides et état sanitaire des abeilles. La commission européenne et même l’EFSA ont finalement été obligées d’agir. L’évaluation des méthodes d’autorisation d’admission des pesticides montrait de sérieux défauts: il n’existait même pas de règlementation pour estimer le risque que causent ces produits pour les abeilles. Leur utilisation était pourtant permise depuis des dizaines d’années. Le lobby industriel tient maintenant, grâce à ses études douteuses, à ce qu’on ne renforce pas les règlements dans l’avenir. C’est pour cette raison que le code proposé par l’EFSA n’a pas encore pu être imposé.
Comme ces autorisations de mise sur le marché de produits utilisés dans l’agriculture sont faites à l’aveugle, ce sont nous, les citoyens, qui devons faire la preuve de leur danger, mais hélas, après qu’ils aient déjà causé des dommages non négligeables pendant plusieurs années. L’industrie du tabac qui, pendant longtemps avait réussi, en finançant elle même les études scientifiques requises, à n’être touchée par aucune loi limitative, est un exemple typique. Aujourd’hui, la disparition des abeilles en est un autre. Si on avait soigneusement suivi le règlement, les néonicotinoïdes n’auraient jamais pu être autorisés légalement, car on peut facilement faire la preuve qu’ils présentent un niveau de toxicité 7000 fois plus grand que celui défini pour le DDT (Bonmatin 2009). Il est temps que nous, les citoyens de l’Europe, reconnaissions cela, si nous voulons cesser de subir des dommages de santé et d’environnement évitables.
Pour cela il est également important de réorienter l’agriculture conventionnelle. Mais en définitive, ce sont les institutions politiques de l’UE qui auront le dernier mot, en se basant sur les expertises de l’EFSA: en ce qui concerne l’autorisation d’utilisation d’un pesticide, il y a aussi d’autres éléments qui influent sur la décision, entre autres la nécessité du produit. Tant que les représentants politiques ne favoriseront pas un modèle d’agriculture moderne différent, on continuera de remplacer un produit toxique devenu inefficace par un autre encore plus agressif. De nombreux agriculteurs ont déjà prouvé qu’il existe une alternative biologique. Il est temps de prendre en compte ces nouvelles données.

Sources: - Bonmatin, J.M. (2009) Conclusions de la table-ronde sur l’intoxication des abeilles due aux pesticides: résultats scientifiques, présentation au 41ème Congrès d’Apimondia, 15-20 Septembre 2009, Montpellier.

  • Corporate Europe Observatory & Earth Open Source (2012) Conflicts on the menu.
    A decade of industry influence at the European Food Safety Authority (EFSA). <http://corporateeurope.org/publications/conflicts-menu>
  • EFSA Panel on Plant Protection Products and their Residues (2012) Scientific Opinion on the science behind the development of a risk assessment of Plant Protection Products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees). EFSA Journal 2012, 10(5) 2668.