Autrefois le terme de matières premières désignait l’ensemble des produits de base non encore transformés par le travail, par la machine. Aujourd’hui on parle de «commodités»* et on regroupe sous ce vocable aussi bien des produits que des services: textile, mémoires d’ordinateur, pétrole, aciers, bois tropicaux, assurances ou le premier d’entre eux en valeur, le tourisme international.
Le critère essentiel est celui de la standardisation du produit et de sa structuration autour d’un commerce électronique en temps réel, au rythme duquel se trouvent soumis les producteurs comme les consommateurs. Le prodigieux développement de ces marchés se fondant sur la volatilité des cours, l’instabilité devient la règle. Et, d’après certains experts – toujours formels – il paraîtrait qu’au fond, la «richesse en matières premières» est une véritable drogue... car elle donnerait à ses détenteurs l’illusion de pouvoir prendre le pouvoir au détriment des pays industrialisés.
Lorsque ces matières premières avaient une valeur d’utilité et non pas seulement monétaire, des structures avaient été mises en place pour que les producteurs maîtrisent le plus possible la commercialisation et la transformation de leurs produits, en créant des filières, parfois avec le soutien des Etats.
Aujourd’hui, néo-libéralisme et mondialisation obligent, toute structure ou soutien étatique sont considérés comme des entraves à la loi du marché. Ils seraient même – selon les déclarations les plus récentes du directeur de l’OMC à Monterrey à la Conférence sur le financement du développement – «l’obstacle principal à la lutte contre la pauvreté dans le monde… La libéralisation totale du commerce mondial par l’abolition de toutes ces barrières permettrait d’élever radicalement le revenu des pays “en développement” et de sortir 320 millions de personnes de la pauvreté en 2015". Les chiffres sont précis et les «responsables» clairement désignés dans quatre domaines clés dont l’agriculture et le textile. L’Europe qui subventionne son agriculture; l’UE, les Etats-Unis et le Japon avec leurs protections douanières face aux importations de textiles venus des pays à bas coût de main-d’œuvre.
Un bon exemple du non-sens de l’application de ces règles vient de se révéler en Suisse, bon élève de l’OMC. En effet, dans le cadre de la politique agricole, la Confédération a décidé, depuis plusieurs années déjà, de se conformer aux règles de l’OMC et de supprimer progressivement toutes les aides directes aux produits agricoles.
Depuis le début de la dernière guerre mondiale, la collecte, le tri, le stockage et la mise à disposition de la laine produite par les moutons suisses sont subventionnés par la Confédération Helvétique qui voulait assurer à l’époque son approvisionnement lainier.
Les conditions particulières de l’élevage ovin en Suisse – très petits troupeaux, diversités des races, éloignement – nécessitent, pour satisfaire aux besoins de l’industrie, des frais de collecte et de classement de laine qui sont plus élevés que dans d’autres pays moins montagneux et où les troupeaux sont plus grands et plus homogènes.
La Fédération suisse d’élevage ovin, chargée de la gérance de la Centrale suisse de la laine indigène, est tenue d’acheter aux producteurs la laine de leurs moutons puis de la trier et de la vendre aux meilleures conditions. La laine ne bénéficie d’aucune protection douanière et son prix de vente est celui du marché mondial. La Confédération Helvétique a décidé de réduire progressivement sa subvention pour l’arrêter complètement en avril 2004. Une dernière collecte de laine aura lieu en 2002, puis cette activité s’arrêtera.
Or, sans compter sa nécessité physique, la tonte des moutons est obligatoire d’après la loi suisse sur la protection des animaux. Mais, sans collecte organisée, la laine ne sera plus qu’un déchet indésirable dont les éleveurs tenteront de se débarrasser. Le problème est que la laine se décompose très lentement et sa combustion est difficile (c’est même une de ses qualités) et d’après la loi suisse sur l’environnement, il s’agit d’un déchet difficile à éliminer.
Les éleveurs ne sauront donc plus à quelle loi se vouer…Et pour ajouter à l’incohérence, en raison du petit nombre de traitements antiparasitaires des moutons et de très faibles traces d’insecticides, cette laine est même considérée, en comparaison avec celle des autres pays européens, comme un produit biologique et trouverait preneur…
Les lois du marché mondial condamnent cette ressource à devenir un déchet.
Leur pouvoir est-il si fort que nous ne soyons plus capables de gérer nous-mêmes nos propres ressources et matières premières?
Pour ne pas se résigner devant une telle absurdité, la Coopérative Longo maï en Suisse tente de faire connaître le problème et de mobiliser ses amis par différents moyens: stands d’informations, articles dans différents journaux, réunions ainsi que par la diffusion d’une pétition.
Nos lecteurs suisses trouveront donc dans ce numéro d’Archipel une pétition adressée au Conseil Fédéral et au Parlement Fédéral pour protester contre cette décision et proposer des alternatives.
* «commodities» dans le langage des économistes internationaux