Rien ne peut mieux démontrer la puissance du mouvement actuel de réfugié·e·s et la peur que leur lutte inspire aux gouvernements que les événements surréalistes qui se sont déroulés en septembre dernier dans la petite gare de Botovo, en Croatie où plus de 1600 réfugiés ont été transportés.
L’histoire se déroule aux abords du petit village croate, à proximité de la frontière hongroise. 150 activistes de la caravane Frontières Ouvertes, ainsi que des pompiers volontaires et une forte présence policière étaient là pour attendre les réfugiés.
Des centaines de jeunes, originaires principalement de Syrie et d’Afghanistan, mais aussi des familles réunissant des centaines d’enfants, des personnes très âgées et même des personnes handicapées en fauteuil roulant quittèrent le train spécial qui avait été affrété par le gouvernement croate. La plupart de ces réfugié·e·s provenaient du camp croate d’Opatovac, près de la frontière serbe, où ils avaient été retenus après avoir traversé en bateau, de la côte turque jusqu’aux îles grecques, puis du nord de la Grèce vers la Macédoine pour arriver en Serbie.
Et maintenant, illes allaient vivre un passage de frontière très étrange. Mais d’abord, illes ont été accueilli·e·s par des soutiens locaux et des activistes de la caravane Frontières Ouvertes qui ont distribué boissons, nourriture et vêtements (et des informations comme par exemple les cartes de visiteurs «Bienvenue en Europe») en pleine rue, qui prenait des allures de bazar nocturne. Puis, escorté·e·s par la police croate, ces quelque 1650 réfugiés traversèrent un petit bois sombre en direction de la frontière hongroise.
C’est alors que les soldats hongrois en arme ouvrirent un petit passage dans les barbelés qui matérialisaient la frontière et demandèrent aux réfugié·e·s de traverser, mais pas à plus de trois de front. Puis les soldats les escortèrent à travers champs à un autre train de 20 wagons qui attendait à proximité. Un petit groupe de soutien hongrois distribua des vivres aux réfugié·e·s déjà installé·e·s.
Cela pris quelques heures avant que le train ne démarre en direction de Hegyeshalom, près de la frontière autrichienne, mais toute la procédure avait un certain parfum de routine, vu qu’il s’agissait de la 19ème «traversée illégale organisée» de la frontière en quelques jours. Il semble que 30.000 réfugié·e·s environ avaient déjà suivi cette route.
Les activistes de la caravane Frontières Ouvertes n’en croyaient pas leurs yeux. Illes étaient venu·e·s pour aider les réfugié·e·s à passer la frontière, illégalement si ça s’avérait nécessaire, et force était de constater que deux Etats s’étaient coordonnés pour atteindre cet objectif de la manière la plus bizarre.
Il fut donc décidé en assemblée générale d’être très prudent·e·s et de ne rien faire qui pourrait perturber cet exploit! Nous étions venu·e·s pour une action de visibilisation de la liberté de mouvement, mais nous avons décidé de rester «politiquement invisible» et de n’apparaître que dans un rôle d’aides humanitaires.
Un des pompiers locaux a fourni une explication tout à fait logique de cette procédure pour le moins inhabituelle: si les réfugié·e·s traversaient aux postes de douane officiels, il fallait les garder là, le temps de les enregistrer, et, dans le cas de la Hongrie, de relever leurs empreintes digitales, en accord avec les Accords de Dublin, mais s’illes traversaient «illégalement», plus besoin de quelconque procédure, illes pouvaient tout simplement continuer leur route.
Personne n’aurait pu imaginer que des Etats bureaucratiques puissent faire preuve d’assez de créativité pour organiser la traversée de leur propre «frontière verte», pour éviter les luttes de réfugié·e·s.
Ils avaient tenu compte de deux expériences précédentes: d’abord en Macédoine, à la frontière grecque, où les militaires avaient dû se retirer face à des réfugié·e·s déterminé·e·s qui avaient pris d’assaut les clôtures provisoires. Les photos des soldats en train de matraquer des familles de réfugié·e·s avec enfants avaient alors fait le tour de la presse internationale.
La deuxième expérience s’était déroulée à la frontière serbo-hongroise, au moment où le premier ministre hongrois Orban avait fait fermer le dernier passage au travers de la toute nouvelle frontière barbelée. De nouveau des images de l’usage de gaz lacrymogène pour défendre la «Forteresse Europe» contre des requérant·e·s d’asile firent le tour du monde.
A l’évidence, les gouvernements hongrois et croate avaient décidé de ne pas prendre le risque de faire de nouveau la une de la presse internationale.
Ils étaient bien conscients du fait qu’il y avait des dizaines de milliers de réfugié·e·s en route et qu’en cas de tentative de blocage, illes constitueraient une redoutable force.
C’est cette peur qui les a poussés à trouver une solution en organisant des traversées illégales de la frontière verte.
Il est difficile d’imaginer que les gouvernements, aussi bien autrichien qu’allemand, n’étaient pas au courant du passage en contrebande organisé par les Etats entre Croatie et Hongrie. Ce qui montre bien que le régime européen des frontières est aujourd’hui encore plus démuni et chaotique que jamais.
D’après l’expérience des années précédentes, la traversée de la mer Egée par des réfugié·e·s et des migrant·e·s va se poursuivre au moins jusqu’au mois d’octobre. On peut donc s’attendre à quelques semaines surprenantes le long de cette route des Balkans, et plus loin, avec des conséquences imprévisibles pour la lutte actuelle pour la liberté de mouvement.
Et dans tous les pays de transit et de destination nous devons continuer quotidiennement notre soutien et notre coopération avec les nouveaux arrivé·e·s.