Le futur est obscur: la Floride et les régions côtières des Etats-Unis ont sombré sous la mer, une nouvelle guerre civile déchire les Etats-Unis, de vastes territoires du continent sont devenus inhabitables à cause du changement climatique…
Le jeune auteur américain Omar El Akkad présente, avec American War*, un roman futuriste dérangeant se déroulant dans la deuxième moitié du XXIe siècle. L’auteur souligne pourtant que tous les phénomènes qu’il décrit existent déjà, seulement ils touchent d’autres personnes dans d’autres lieux.
American War catapulte plusieurs de nos plus grandes craintes et peurs du futur sur la table de chevet. Le niveau de la mer a beaucoup augmenté, les Etats-Unis sont ravagés par une guerre civile. L’origine du conflit est le refus de plusieurs Etats du Sud d’interdire les énergies fossiles, que les gouvernements du Nord veulent leur imposer. Des groupes rebelles du sud insurgé des Etats-Unis commettent des attentats terroristes, les forces armées du Nord dominant contre-attaquent. Un roman vibrant reflétant fortement la réalité.
Changement climatique et guerre
American War de Omar El Akkad ne pouvait pas mieux tomber. Avec l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, de nouvelles lignes de conflit apparaissent dans la société que l’auteur accentue dans son roman et projette dans 50 ans. Au cœur du roman se trouve Sarat Chestnut, née en 2069 dans une famille déclassée de la Louisiane. Elle se radicalise de plus en plus au fil de sa jeunesse et est prête à prendre les armes pour défendre la cause des Etats du Sud et se venger de l’oppression humiliante du Nord.
Pendant son enfance, les «Etats du Sud Libres» dissidents, qui englobent la Louisiane et le Tennessee, l’Alabama et la Géorgie, sont contrôlés par des groupes rebelles. Dans le Texas, les combats font rage. Le réchauffement important de la planète a généré des cyclones dévastateurs. Des territoires entiers sont désertifiés, la faune et la flore sont détruites, le Mississippi a massivement débordé de ses rives. Le Mexique contrôle de grandes parties des Etats-Unis et les administre comme protectorat. Le Sud souffre également économiquement à cause de l’échec de la transition énergétique et de l’isolement imposé par le Nord.
Les régions concernées sont bordées de camps de réfugié·es dans lesquel·les les conditions de vie sont désastreuses. Les Etats du Sud sont dans le même temps devenus les usines des Etats du Nord: de la main-d’œuvre pas chère produit ici dans des serres gigantesques et des ateliers de misère les denrées alimentaires et les textiles qui seront vendus dans le Nord et outre-mer. L’aide, pour les populations en difficulté à l’intérieur du pays, arrive par bateaux gigantesques dans les docks d’Augusta dans l’Etat fédéral de Géorgie. Les Etats du Sud sont dépendants des bonnes grâces d’autrui.
La Chine et les pays arabes loin devant
L’aide est envoyée depuis la Chine et le royaume fictif de Bouazizi, une union de pays arabes, qui a entre-temps largement devancé les Etats-Unis, comme pouvoir hégémonique et économique. Dans le roman, l’Amérique a perdu son rôle de gendarme du monde: la «Pax Americana», qui au demeurant n’a jamais été pacifique, est depuis longtemps dépassée. De nouveaux monstres impériaux sont nés, qui se disputent les ressources sur la scène internationale.
L’intrigue du livre ne s’inspire pas seulement de prévisions futuristes obscures. El Akkad, qui a émigré enfant avec sa famille de l’Egypte vers le Canada a, parallèlement à son activité d’auteur, travaillé en tant que journaliste de guerre et fait état des conflits internationaux présents. C’est de là que viennent ses vastes connaissances et l’exactitude minutieuse de ses descriptions.
Il illustre de façon précise et réaliste le découpage des territoires et les tracés des frontières dans les zones de guerre tout comme les conditions dans les camps de réfugiés, où atterrissent Sarat et sa famille. Les journalistes et les bénévoles du Nord qui visitent les camps de réfugiés en Louisiane produisent cette même musique d’accompagnement civile des conflits armés que nous connaissons aujourd’hui. Dans un de ces camps, Sarat rencontre son futur mentor Albert Gaines, un génie démagogique du terrorisme des Etats du Sud.
Une réalité effrayante
Le Trump du roman n’a pas réussi a protéger le «premier monde» de la misère du Sud par des murs et des barrières. Dans American War, la ligne de ségrégation de l’Apartheid global s’étend le long de la puissance hégémonique disparue. Comme il n’est plus possible de gouverner depuis Washington, situation due au changement climatique, Columbus, dans l’Etat fédéral de l’Ohio, est choisie comme nouvelle capitale du Nord arrogant qui émerge. Pendant ce temps, le Sud dépérit.
L’auteur transpose aux Etats-Unis chaque condition d’existence qui semble apocalyptique, mais qui pour des millions de personnes au Nigeria, au Bangladesh ou en Afghanistan est la réalité amère de chaque jour. La restriction de la liberté de mouvement en raison de l’origine et de l’appartenance nous rappelle la situation actuelle aux frontières sud de l’Union européenne. Des drones, qui sont appelés laconiquement «oiseaux», ainsi que la radicalisation accélérée de Sarat Chestnut ne sont en aucun cas des références cachées aux victimes civiles innombrables des guerres au Pakistan et en Afghanistan.
El Akkad cherche aussi à intervenir dans les débats de la politique intérieure des Etats-Unis: les Etats du Nord «bleus», qui ont pu sécuriser temporairement leur prospérité par la transition vers les énergies renouvelables, se battent contre les Etats récalcitrants du Sud «rouges». En 2070, chez les héritiers des Républicains, on conduit encore avec des voitures à essence – entre-temps interdites – par manque d’alternatives. Sur l’île-prison fictive de Sugarloaf, où se déroule le complot d’un retournement de situation dramatique, les rebelles des Etats du Sud sont torturés avec des méthodes semblables à Guantánamo.
Les tensions éco-impériales
Le roman décrit sur un terrain fictif ce que le chercheur en science politique viennois Ulrich Brand désigne comme les tensions éco-impériales. Le livre réalise de cette manière un double mouvement judicieux: il fait une critique des guerres actuelles de ressources et de zones d’influence géopolitiques et formule en même temps une mise en garde contre les changements sociaux dramatiques qui pourraient accompagner le changement climatique dans les prochaines décennies.
Ce qui devrait faire peur aux lectrices et lecteurs de l’Ouest est le fait que les conséquences des guerres globales ont atteint les îlots de prospérité de la planète. Il n’est pas besoin d’un grand pouvoir d’imagination pour transposer la dystopie des Etats-Unis vers l’Europe. Le noyau prospère économique de l’Europe se distanciera des Etats de l’Europe du Sud et s’isolera non pas au niveau de la mer Méditerranée, mais au niveau des Balkans, du Brenner et des Pyrénées, pendant que non seulement Venise, mais aussi la moitié de la Sicile et les îles grecques sombreront sous la mer.
Bien que les dialogues dans American War ne soient pas toujours très brillants, El Akkad arrive avec bravoure à tenir le suspense jusqu’à la fin. Il ne fait aucun doute que le livre cherche à bousculer, cependant nous n’évoluons pas ici sur un terrain purement fictionnel, beaucoup de personnes subissent aujourd’hui les suites du changement climatique. American War n’est ainsi pas seulement une lecture impressionnante et qui nous tient en haleine, mais c’est aussi un bagage littéraire contre les apologistes du fossile «Business as usual».
*American War de Omar El Akkad, 23 août 2017, Flammarion.