C’est sous ce titre que Benito Perez a présenté, dans Le Courrier de Genève du 25.1.2014, la publication de l’ouvrage La Coupe est pleine par le Centre Europe Tiers Monde
(CETIM) de Genève1.
La Coupe est pleine détaille les conséquences désastreuses de ces grands événements planétaires, qui exaltent la compétition sans le moindre fair-play. On connaît, depuis les Jeux de Munich en 1936, le sport-propagandiste qui, de la Chine de Huau Qatar des Al-Thani, fait toujours révérence devant les potentats du moment. De plus en plus, on documente le sport-vitrine, avec ses centres-villes expurgés de pauvres, ses stades bâtis sur les décombres des quartiers populaires, et leurs cohortes d’exclus, expulsés des lieux où ils bataillaient pour survivre. On découvre désormais l’exploitation qui accompagne ces exploits économiques, où il faut bâtir mille et une infrastructures en un temps record et pour un prix imbattable.
Tout cela, l’ouvrage édité par le CETIM le décrit à son tour. Mais le grand intérêt de cette publication est d’en révéler l’extrême cohérence, le fil rouge idéologique, qui fait du CIO et de la FIFA les fers de lance de la modernité capitaliste.
«Le sport de haut niveau (...), devenu spectacle, s’inscrit dans l’étroit maillage du néolibéralisme (...). Son mode de fonctionnement, ses excès et scandales reflètent l’essence de nos sociétés», résume la directrice de la publication, Julie Duchatel.
Dans un chapitre clé – malheureusement non exempt de verbiage –, Fabien Ollier, directeur de la revue Quel Sport?2, fait un portrait au vitriol des deux fédérations, «à la fois appareils hégémoniques qui distillent la vision sportive du monde», «empires planétaires à l’influence tentaculaire» et «coffres-forts opaques où s’accumulent des richesses supérieures à certains Etats». Bénéficiant de «statuts dignes d’une amicale de boulistes», elles se tiennent bien à l’abri du fisc comme de la loi suisse anticorruption. Une «impunité» que la multiplication des scandales ces dernières années n’a pas entamée.
Le système FIFA/CIO repose en fait sur les liens tissés avec une série de grosses sociétés commerciales. Ces dernières apportent les fonds, les fédérations ouvrant des opportunités de profit maximales. Pour cela, les fédérations font miroiter aux villes et Etats candidats un saut économique – un «doping développemental», selon M. Ollier – et de notoriété. En retour, elles exigent des privilèges insensés. Exonérations fiscales, entorses aux lois sur le commerce ou le travail, instauration de monopoles privés, mise à disposition d’infrastructures, de services, rien n’est trop généreux si l’on veut héberger la «grande fête du sport». Bâtisseurs, hôteliers, sponsors, prestataires de services applaudissent des deux mains. Pour les collectivités, en revanche, c’est souvent le début des ennuis financiers; demandez aux Grecs, Sud-Africains ou Londoniens, pour ne citer que les dernières victimes.
Avec leurs juridictions d’exception et des politiciens à genoux, les grands raouts sportifs apparaissent surtout comme de formidables opportunités d’imposer les normes du néolibéralisme, de conquérir de nouveaux territoires – Chine, Corée du Sud, Afrique du Sud, Brésil, Qatar. Un expansionnisme capitaliste qui trouve son expression dans des budgets sans cesse augmentés. Sotchi, avec 50 milliards pour faire d’une cité tropicale une station de ski, bat un nouveau record. Altius, altius, altius.
Comme sur un plateau de télévision ou dans une banlieue floridienne, l’espace public est transformé, dénaturé pour répondre à ce succédané d’humanité. «Une bulle chimérique réservée et protégée», test grandeur nature pour les pires fantasmes sécuritaires et ségrégationnistes. Mendiants et vendeurs à la sauvette ont disparu, caméras et forces de l’ordre modernisées leur ont succédé.
Loin d’être un «effet secondaire», cette métamorphose «participe à la motivation» des candidatures, «stratégie complète et insidieuse» visant à «reconfigurer le paysage pour permettre l’accumulation du capital», décrit l’écrivain et géographe Ashok Kumar. Pour l’urbaniste Stephen Graham, ces grands événements offrent en particulier une vitrine privilégiée et un point d’ancrage aux entreprises de sécurité et à leurs technologies (biométrie, radars, drones, etc.). A Londres, GS4, partenaire officiel de la sécurité des Jeux, a même pu s’appuyer sur une loi ad hoc qui élargissait son champ d’action. Test semble-t-il réussi, puisque la transnationale britannique s’est vu confier la gestion de postes de police...
On l’a compris, pas besoin d’être anti-sport primaire pour saluer La Coupe est pleine, lecture fortement conseillée en cette année de grande fraternisation sportive!
- La Coupe est pleine!, 140 pages, 12 CHF, 10 euros.
A commander auprès du CETIM, 6 rue Amat, CH-1202 Genève
<www.cetim.ch>; +41 (0)22 731 59 63. - <www.quelsport.org>.