Rien d’autre n’était à espérer. Que ce soit la protection du climat, la politique africaine, la paix mondiale ou le commerce global, la rencontre du G20 à Hambourg n’aura pas apporté la moindre avancée pour la justice sociale ou pour un tournant écologique. Plus que jamais, les intérêts propres des Etats, qui se livrent un âpre combat pour les ressources globales, semblent dominer.
Il y a peu, Nick Sinakusch l’exprimait ainsi dans le journal Analyse & Kritik: «Les Etats du G20 sont concurrents et les problèmes qu’ils rencontrent sont issus de leurs intérêts contradictoires.» Plus un Etat est fort et plus ses alliances – temporaires le plus souvent– sont stratégiquement judicieuses, plus il peut imposer ses propres intérêts.
A Hambourg, les vingt Etats les plus puissants se sont rencontrés, les autres en étaient exclus. Clairement, le libre jeu de la concurrence étatique et du bloc de pouvoir n’est pas seulement mené par les leaders autoritaires tels qu’Erdogan, Poutine ou Trump, mais aussi par les «libéraux» de ce monde comme Merkel, Trudeau et Macron. Le capitalisme dominé par la finance et basé essentiellement sur la combustion d’énergie fossile est un cul-de-sac, que ce soit sous une direction capitaliste-libérale ou nationaliste-autoritaire.
Le fait que seul Trump se retire de l’engagement pour le climat pris à Paris n’est qu’une maigre consolation. L’engagement d’Erdogan était vacillant jusqu’au bout, et ce alors même que l’accord de Paris n’est pas réellement contraignant pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est une contradiction grotesque que Merkel soit intervenue à Hambourg pour les accords sur la protection du climat en étant d’un autre côté le fer de lance des adeptes du libre-échange. La croissance économique et le commerce mondial néo-libéral continueront de participer à la destruction écologique et à la surexploitation des ressources naturelles, même si le passage à la soi-disant économie verte réussit. Le «mode de vie impérial» (Ulrich Brand), c’est-à-dire la disponibilité à bas prix de toujours plus de voitures, de voyages en avion, de viande pas chère, de smartphones et de textiles pour la classe moyenne du Nord et la classe moyenne en pleine croissance des pays émergents, va ainsi s’ancrer et s’intensifier. Les besoins énergétiques du système économique actuel ne vont pas diminuer. Les subventions pour l’extraction du charbon sont maintenues, pas seulement en Chine et en Inde mais aussi en Allemagne.
Le refus des Etats du G20 de négocier sur un pied d’égalité avec la totalité des 193 pays membres de l’ONU les problèmes globaux extrêmement urgents montre que ce n’est rien d’autre que la loi du plus fort qui domine. Les conditions d’adhésion au G20 ne sont pas toujours transparentes: ainsi le Nigeria, non-invité, possède actuellement de meilleures performances économiques que l’Afrique du Sud, membre du G20.
Malgré l’annonce d’un accord entre les Etats-Unis et la Russie pour un cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie, le pays et toute la région vont demeurer le théâtre d’une guerre sanglante par procuration dans un avenir prévisible. En ce qui concerne la politique africaine, qui était un des thèmes centraux du sommet du G20, rien de plus que le statu quo actuel: les pays riches sont comme d’habitude en mesure de dicter leur volonté sur les accords de libre-échange et d’imposer leur politique brutale contre les réfugié·e·s. Le 6 juin, lors d’une rencontre à Tallinn, la capitale estonienne, les 28 ministres de l’Intérieur de l’Union européenne ont posé les bases à ce sujet: les ministres ont convenu d’élaborer un «code de conduite» pour les ONG qui luttent pour le sauvetage d’urgence des réfu-gié·e·s en mer Méditerranée. En outre, ils planifient une consolidation considérable du rôle de la Libye pour retenir et «reprendre» les réfugiés qui sont en mer. Le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, a plaidé à Tallinn de manière offensive pour un renforcement de la garde côtière libyenne. Les ONG qui s’occupent du sauvetage d’urgence des réfugié·e·s en mer Méditerranée, présentes lors des manifestations contre le sommet du G20, contestent fortement ces projets. Ruben Neugebauer de l’association Sea-Watch a déclaré à l’agence de presse française AFP qu’un code de conduite existe depuis longtemps: le droit maritime reconnu internationalement.
Néocolonialisme et questions migratoires
Il ne faut pas oublier dans ce débat que les pays du G20 sont souvent à l’origine de l’exode (ou de son aggravation), conduisant à de nombreux drames en mer Méditerranée. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), une organisation qui n’est pas vraiment connue pour ses actions subversives révolutionnaires, les Etats africains sont privés d’environ 175 millions d’euros de recettes fiscales – c’est environ trois fois plus que l’aide au développement des pays de ce continent. Ces pertes fiscales sont en grande partie le fait des entreprises internationales. Ces chiffres illustrent le plaidoyer souvent cité de Jean Ziegler, qui souligne sans cesse qu’il ne s’agit pas de donner plus mais de voler moins. Ce rapport extrêmement injuste restera en place grâce au plan Marshall pour l’Afrique, incité par le gouvernement fédéral allemand.
Le président français Emmanuel Macron en a rajouté une couche à Hambourg, en affirmant à un journaliste de la Côte d’Ivoire: «Le défi de l’Afrique est totalement différent. Il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel aujourd’hui.» Cette déclaration rappelle amèrement le discours tristement célèbre de Nicolas Sarkozy à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar en 2007, où il s’est permis de déclarer que «l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire».
L’arrogance hallucinante d’un ancien pouvoir colonial qui émane du discours de Macron dissimule l’oppression structurelle sur le continent africain, dont la France porte une responsabilité toute particulière. Le public français a d’ailleurs pour cela créé un terme: la poursuite de la politique néo-coloniale de la France en Afrique est désignée par le vocable inventé par Francois-Xavier Verschave: la Françafrique.
Pour ne citer que deux exemples: s’il n’y avait pas d’uranium au Niger, un Etat du Sahel extrêmement pauvre situé à l’avant-dernière place sur l’indice de développement humain, il n’y aurait pas de lumière en France. Les despotes du clan Omar Bongo, à qui le fils Ali Bongo a succédé en tant que président de l’Etat pétrolier gabonais, sont au pouvoir sans interruption depuis 1967. Des partis et représentants politiques français se font aider depuis des années par la famille Bongo.
Le consortium pétrolier français Total participe de manière déterminante à l’histoire du pays. La liste pourrait se poursuivre encore longtemps…
A Hambourg, une ville qui a joué un rôle important dans l’histoire coloniale allemande, l’opposition des mouvements sociaux africains a été visible et bruyante lors de ce sommet du G20. L’exploitation structurelle du continent a été rendue visible et dénoncée, notamment par des membres du réseau Afrique-Europe-Interact, dont l’auteur et activiste Emmanuel Mbolela.
Les médias et la violence
Bien que la ligne hyper répressive du chef des opérations policières Hartmut Dudde ait énormément compliqué les conditions de la résistance au sommet du G20, les mouvements sociaux ont tout de même été visibles, en commençant par un sommet alternatif avec plusieurs milliers de participants jusqu’à de grandes manifestation avec plus de 70.000 participant·e·s.
Face au décret «limitant extrêmement le camping», à mettre bien évidemment sur le dos du trublion Dudde, l’opposition s’est organisée: notamment les églises qui ont improvisé et mis à disposition des manifestant·e·s leurs parvis et des terrains pour camper – un signe formidable de solidarité, mais également des habitant·e·s.
Il est très regrettable que la machine médiatique ait réduit l’événement au débat bien connu sur la violence. La violence à Hambourg doit être mise en rapport avec les guerres, l’exploitation et la destruction de l’environnement dont les pays du G20 portent une grosse part de responsabilité. La polarisation des médias sur les affrontements à Hambourg contribue fortement à ne pas évoquer la violence structurelle du capitalisme de l’énergie fossile, qui est généralement comparée à une force de la nature immuable. Beaucoup de rédacteurs et de rédactrices doivent accepter le reproche qui leur est fait d’avoir préféré faire un article sur une poubelle en feu dans la rue du port plutôt que sur le scandale du manque d’aide alimentaire en Afrique de l’Est.
Il est de plus en plus important de s’organiser en grandes alliances et avec des formes d’actions diverses contre la politique du G20. Il sera pour cela décisif de se détacher des fausses alternatives: les variantes libérales du capitalisme, symbolisées par les politiques de Merkel, Macron ou des Clinton, ne sont pas, à bien des points de vue, des alternatives à celles de Trump, Poutine ou Erdogan. Par l’aggravation des inégalités, ils préparent le terreau qui permettra la montée de politiques autoritaires nationalistes. Nous avons besoin de mobilisations mondiales solidaires qui respectent la force régénérative de l’écosystème global et qui mettent en place une justice climatique. Cela implique tout d’abord la reconnaissance de la situation actuelle: celles et ceux qui sont le moins à l’origine du changement climatique sont ceux qui en souffrent le plus.
Pour cela, il est nécessaire de renoncer à la logique de croissance capitaliste et à la concurrence des Etats. C’est seulement lorsque nous aurons résolu cet enjeu sur le long terme que cela fera sens de mettre en place une liste d’objectifs sur le moyen terme. La rencontre du G20 doit par conséquent être abolie. Les problèmes qui étaient sur l’agenda du sommet de Hambourg doivent être négociés au niveau de l’ONU avec tous les Etats membres. Pour la paix mondiale, il va être nécessaire d’effectuer une série de réformes, en commençant par l’abolition du droit de veto au Conseil de sécurité. Le droit de veto empêche aujourd’hui des missions pour la paix en Syrie, au Yémen ou au Soudan. Une des prochaines étapes importantes sera d’obliger tous les pays à respecter l’accord international sur le climat. Une autre revendication essentielle est l’annulation totale de la dette des pays du Sud.
C’est notre responsabilité de nous battre pour une justice globale au sein des frontières écologiques de cette planète – allons-y.