Cet article est le fruit de rencontres et d’entretiens que j’ai pu faire en Italie au lendemain des élec-tions. On peut y trouver la déception, les craintes et le désenchantement des électeurs et électrices face à une politique incapable de donner des réponses aux problématiques urgentes d’un pays en crise, proie facile du populisme «post»-fasciste. Il faut rappeler qu’en 1996, la jeune Giorgia Meloni affirmait: «Je crois que Mussolini était un bon politicien. C’est-à-dire que tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie. Et on ne retrouve pas ça chez les politiciens qu’on a eus au cours des 50 dernières années.»
Les résultats des élections italiennes ont pratiquement honoré les pronostics de la veille. On a assisté à la victoire indiscutable de Fratelli d’Italia, parti d’extrême droite, qui a obtenu 26% des voix, un score qui marque la victoire écrasante de la coalition de centre-droit, (dont fai-saient aussi partie Forza Italia de Berlusconi et la Lega de Salvini), qui arrive à 44%. Par la même occasion, on a assisté à la défaite de la gauche, notamment du Parti Démocratique, qui a réussi à grignoter tant bien que mal 19% des suffrages. Face à un tel résultat, il est urgent de mieux comprendre les raisons derrière ces chiffres.
Il est certainement impressionnant de voir le parti le plus à droite de l’hémicycle devenir pre-mier parti en Italie, mais il ne faut pas oublier que Fratelli d’Italia (FI), Giorgia Meloni en tête, était le seul parti d’opposition dans le gouvernement précédent présidé par Mario Draghi. Ce fait a certainement joué en sa faveur car, aux yeux des électeurs et électrices, FI incarne aujourd’hui le parti de la «rupture» par rapport à l’establishment.
Les derniers temps, l’exécutif du gouvernement Draghi n’a pas été populaire: il a dû gérer la problématique délicate de la pandémie. Mais le fait encore plus grave aux yeux de l’électorat a été celui de la crise énergétique qui a amené une incroyable augmentation des factures de gaz et d’électricité pour les foyers et les activités commerciales. On peut dire que la population italienne s’est sentie abandonnée, puisqu’aucune mesure n’a été envisagée pour soulager cette crise. G. Meloni, qui s’est toujours tenue tranquille dans son coin à l’opposition, est perçue aujourd’hui comme le seul élément de discontinuité avec le gouvernement précédent. Cela récompense certainement Fratelli d’Italia, mais punit en partie les deux autres partis de la coalition de centre-droite, Forza italia et la Lega qui eux, par contre, faisaient partie du gouvernement Draghi et ont donc obtenu des scores en dessous de toute attente.
Dans la relecture des résultats électoraux, il ne faut pas oublier une donnée fondamentale: le premier parti italien est en réalité celui de l’abstention (64%). Depuis une cinquantaine d’années, le rapport entre l’électorat et la classe politique italienne n’a pas cessé de se détériorer, car la grande majorité de la population ne se sent plus représentée par quelque parti politique que ce soit. Cet éloignement porte à un taux d’abstentionnisme très élevé qui, cette année, a encore aug-menté de 10%.
Il ne faut pas oublier non plus les erreurs stratégiques de la gauche, du Parti Démocratique en particulier qui, lors de ces dernières élections, s’est trompé sur toute la ligne. La loi électorale italienne, une loi complexe et assez tordue, récompense la coalition gagnante. Il est donc évident qu’il faut arriver aux élections en faisant partie d’une coalition forte, chose que le PD n’a pas su faire. Il aurait dû créer une coalition avec le Mouvement 5 étoiles mais, puisque ce dernier avait provoqué la chute du gouvernement Draghi, il était impossible de l’envisager. La fracture entre le PD et le M5E paraissait impossible à ressouder. Le PD s’est donc présenté aux élections non pas tout seul mais avec deux autres petits partis, tandis que le M5E s’est présenté tout seul (en devenant, contre toute attente, la troisième force politique du pays).
Le Parti Démocratique a aussi mené une très mauvaise campagne électorale qui tournait autour de la peur du retour du fascisme et des risques d’une dérive dictatoriale. Certes, il ne s’agit pas d’une peur sans fondement, mais il y a eu un manque total de propositions en réponse aux problèmes pratiques et urgents de la population, qui ont été complètement ignorés.
Avec tous ces discours imprégnés d’histoire et d’idéologie, il ne s’est certainement pas rappro-ché des électeurs et électrices et de leurs inquiétudes. Depuis longtemps déjà, il y a cette crise dans les rapports entre le PD et la population: celle du rapport d’un parti avec sa propre base. Le PD est désormais perçu comme un parti lié aux grands systèmes bancaires, à la grande industrie. Il parle de moins en moins des problèmes des travailleur·euses, du marché du travail, des pro-blèmes quotidiens de la population italienne. Entre parenthèses, il faut dire que cette erreur macroscopique du PD a été, au contraire, la clé du succès du M5E lors de ces élections. Le M5E a proposé un programme avec des points très simples mais très concrets, très «de gauche», pour ainsi dire. Il a proposé de maintenir le revenu universel, l’introduction d’un salaire minimum, la lutte contre la précarisation du travail, et même la réduction des heures de travail. Mais ça c’est une autre histoire.
Il est plus urgent de se demander quels seront les premiers pas du nouveau gouvernement. Tout au début, il voudra certainement donner la preuve qu’il est réellement un élément de discontinuité par rapport à tous les gouvernements précédents. Il voudra marquer son identité en faisant quelque chose de «vraiment de droite». Comme le dit Gianfranco Schiavone, vice-président de l’Association d’Études Juridiques sur l’Immigration en Italie, il est certain qu’il voudra, comme par le passé, créer un climat de division, d’hostilité sociale envers les migrant·es en général. Il agira sur deux fronts: le premier sera d’empêcher les opérations de secours en mer. Il s’acharnera contre les ONG, bien qu’à ce propos, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) soit déjà intervenue pour clarifier le fait que les opérations de secours sont parfaitement légales, même quand il s’agit de sauvetages par des bateaux commerciaux ou de plaisance dont ce n’est pas la vocation.
La deuxième ligne d’intervention sera de réduire, voire de supprimer, «la protection spéciale» celle qui a remplacé la «protection humanitaire». Cette protection pourrait être l’objet d’une ten-tative de démolition par ce gouvernement dont la politique est constamment à la recherche de nouveaux sujets à «clandestiniser». Le programme électoral de la coalition de droite sur le thème de la migration était d’ailleurs un bric-à-brac de propositions assez violentes comme par exemple la tentative d’empêcher l’accès au territoire italien, la limitation des droits, la protection des frontières. Le langage utilisé était, comme d’habitude, un langage guerrier. Il s’agit des effets d’une politique qui se nourrit d’insécurité sous couvert de lutter pour la sécurité.
Parallèlement à cette volonté de s’identifier comme étant un gouvernement de droite, il y aura aussi une volonté de tranquilliser l’Europe, car Fratelli d’Italia sait très bien être mal vu de nom-breuses chancelleries. Il faudra donc tenter de normaliser les rapports avec l’Europe, la France et l’Allemagne notamment, pour ne pas risquer d’être poussé en marge avec la Pologne et la Hongrie qui sont désormais les pays dont la forme de gouvernement s’apparente le plus à celle qui vient de s’affirmer en Italie.
Le parti d’extrême droite proposera aussi une réforme constitutionnelle qui pourrait transfor-mer l’Italie en République présidentielle, un débat qui sera certainement houleux puisque les Italien·nes sont très attaché·es à leur Constitution, fruit de la Résistance. Mais ce thème mérite un article à part entière. Pour l’instant, il nous reste à espérer que ce gouvernement ne fera pas long feu.
Un vent hostile depuis l’Europe et des relations internes tendues comme celle entre Giorgia Meloni et Matteo Salvini pourraient bien l’empêcher d’arriver à la fin de son mandat de 5 ans, une constante italienne qui pourrait limiter les dégâts d’une politique odieuse. Qui interviendra en cas de chute, et comment, reste malheureusement une question sans réponse. L’horizon est noir et ce n’est pas, hélas, une simple métaphore.
Barbara Vecchio Membre FCE - France