En pleine guerre, des ennemi·es déposent leurs armes et s’engagent pour la paix. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle les Combattant·es pour la paix sont uniques au monde. Iels créent un espace de rencontre entre des personnes qui se détestent profondément. Cela peut rendre la paix à nouveau pos-sible et prévenir de nouvelles violences.
Combattant·es pour la paix est un mouvement de paix binational créé en 2006 par d’ancien·nes soldat·es israélien·nes et des résistant·es palestinien·nes. Il s’agit de la seule organisation au monde dans laquelle des combattant·es armé·es ont déposé les armes dans le cadre d’un conflit qui perdure afin de s’engager ensemble pour la paix. C’est aujourd’hui la plus grande organisation binationale en Israël et dans les territoires palestiniens – avec neuf groupes régionaux, qui ont tous des membres israéliens et palestiniens. Iels militent de manière constructive pour la fin de l’occupation israélienne, pour la non-violence, pour la justice et le dialogue entre les popula-tions israélienne et palestinienne.
En février et mars, plusieurs membres de Combatants for Peace ont entrepris des tournées de conférences suivies de discussions en Allemagne, en Suisse et en Autriche. En Allemagne, l’ancien combattant de l’Intifada Osama Elewat et l’ancien soldat israélien Rotem Levin étaient de la partie. En Suisse, c’était Rana Salman, codirectrice palestinienne de Combattant·es pour la paix de Bethléem et de Yair Bunzel, Israélien et membre actif de Combattant·es pour la paix de Haïfa. Il s’agissait avant tout de présenter le mouvement qui s’engage de manière non-violente pour la paix et l’égalité des droits pour les Israélien·nes et les Palestinien·nes. Et de se demander comment maintenir cet idéal, face à la violence actuelle.
«Je ne sais pas à quoi ressemblera une solution pacifique: un État, deux États, trois États. Mais je sais qu’elle nous ressemblera: des gens d’Israël et de Palestine qui s’engagent ensemble et de manière non-violente pour la justice. Nous savons que nous ne pouvons atteindre une véritable paix qu’en reconnaissant l’humanité de l’autre.» Chen Alon, metteur en scène de théâtre israélien, cofondateur des Combattant·es pour la paix.
Voir ce qui nous unit
Les Combattant·es pour la paix s’appuient sur les rencontres personnelles. Lors des réunions internes, d’ancien·nes combattant·es des deux camps se rencontrent dans des appartements privés et se racontent leur histoire. La Memorial Day Ceremony annuelle des Combattant·es pour la paix rassemble désormais plusieurs milliers de personnes pour commémorer ensemble les victimes du conflit. L’expérience le montre: celui ou celle qui accepte de connaître l’autre partie remet en question sa propre vision de la situation. Entrer dans un véritable dialogue permet de découvrir ce qui nous unit et de chercher ensemble des solutions.
Grâce à des actions communes, dont des représentations théâtrales, des lectures, des soirées d’information et des visites guidées dans les territoires occupés, les Combattant·es pour la paix mettent en contact des personnes qui ne se rencontrent habituellement qu’aux checkpoints militaires. Iels attirent l’attention sur leurs préoccupations par des marches de protestation. Depuis leur création, les Combattant·es pour la paix sont profondément attaché·es à la non-violence et ont mené plusieurs centaines d’actions.
Une décision
Chaque membre de CPP a sa propre histoire de transformation intérieure à raconter. Chacune de ces histoires témoigne du fait que la spirale de la haine et de la violence peut être brisée. La guerre n’est pas une fatalité, mais une décision – il existe une issue, aussi bloquée que puisse paraître la situation, telle est la ferme conviction des Combattant·es pour la paix. Ainsi, la collaboration au sein d’équipes mixtes est également un exemple vécu de la possibilité d’une cohabitation pacifique.
«Je ne me suis pas battu contre des personnes de confession juive ou contre Israël, mais contre les soldat·es qui ont attaqué ma famille.» Osama Elewat, membre du comité directeur de Combattant·es pour la paix et fondateur de l’organisation Visit Palestine. Dans sa jeunesse, il a donc ressenti de la colère contre ce qu’il considérait comme un ennemi. Sa colère n’était pas idéologique, mais plutôt une réaction aux conditions de vie. Enfant déjà, il a connu l’intimidation et la violence. «Tous les jours, des soldat·es se présentaient à notre porte. Nous en avions peur.» Le Palestinien raconte des expériences qui l’ont marqué. Par exemple, lorsque des gaz lacrymogènes ont été lancés dans son école ou lorsque des soldat·es ont frappé son père. «J’ai résisté à ces soldat·es qui contrôlaient mes professeurs, mon père et moi. Ma peur s’est transformée en haine».
Il a essayé de gagner un peu de liberté par la désobéissance civile, comme en taguant les murs ou en hissant le drapeau palestinien. Lorsqu’il a vu flotter au vent le premier drapeau qu’il avait provisoirement peint avec sa sœur, il était fier. Pour la première fois, il ressentait un sentiment de communauté. Mais quelques jours plus tard seulement, 20 soldat·es israélien·nes se sont présenté·es devant sa maison et l’ont arrêté, encore mineur – car le drapeau palestinien était encore considéré à l’époque comme un symbole illégal et le fait de le hisser en public était puni par la loi. Il s’en est suivi un jugement sans inculpation, ce que l’on appelle la «détention administra-tive». Résultat: il a dû passer trois ans dans une prison israélienne. «Quand je suis sorti de prison, ma première pensée a été: maintenant, je me bats encore plus!» Osama a alors accepté un emploi dans la police palestinienne en Cisjordanie. Mais il ressentait ce travail plutôt comme une légitimation de l’occupation par Israël que comme une protection de la population palestinienne.
Notre adversaire, c’est le système
Alors qu’il était étudiant, en 2010, Osama avait été attiré par une réunion de militant·es pacifistes à Bethléem. Lorsqu’il y a rencontré des personnes juives, il a été choqué. «Je me suis dit: iels ont tué leur propre Premier ministre parce qu’il négociait un accord de paix, pourquoi s’intéresseraient-iels soudainement à la paix?» Mais il se trompait. Il a rencontré des personnes de confession juive qui sont aujourd’hui ses ami·es. Des personnes qui l’ont inspiré. Parmi ces personnes se trouvait un pilote qui refusait de bombarder des maisons à Gaza. Celui-ci a aidé Osama à obtenir son premier visa afin qu’il puisse visiter un ancien camp de concentration. Le Palestinien a réalisé que son ennemi n’était pas le judaïsme, mais autre chose: «Notre adversaire, c’est le système. Il veut que nous nous battions les un·es contre les autres pour que l’occupation se poursuive. Si nous brisons le système, nous pouvons nous réconcilier, et si nous nous réconcilions, nous pouvons devenir ami·es». Mais Osama considère également le processus de réconciliation comme un défi personnel. Pour qu’une cohabitation pacifique soit possible, il faut, selon lui, se mettre à la place de son interlocuteur/trice et comprendre la douleur et les traumatismes de l’autre partie.
Sa réponse à la question de savoir si les activistes se heurtent aussi à des critiques: «Lors d’apparitions publiques en Israël, nous rencontrons régulièrement des extrémistes de droite qui nous menacent ou nous crachent dessus.»
Liberté, dignité et droits
Rana Salman est une chrétienne palestinienne née à Jérusalem et ayant grandi dans la ville de Bethléem. Elle a rejoint Combattant·es pour la paix en 2020 et est actuellement codirectrice palestinienne de l’organisation.
Rana est issue d’une famille de réfugié·es qui a été expulsée de sa maison à Haïfa en 1948. Dès son plus jeune âge, elle a participé à des programmes d’éducation et de dialogue afin d’en ap-prendre davantage sur les «autres». La plupart de ces programmes se sont déroulés à l’étranger. En 2014, elle a participé pour la première fois, avec des femmes palestiniennes et israéliennes, à une expédition dans les montagnes de Velebit en Croatie.
Rana souligne l’importance de défendre la vision de la liberté, de la dignité et de l’égalité des droits pour les Israélien·nes et les Palestinien·nes, et d’unir leurs forces dans les circonstances les plus dramatiques.
Yair Bunzel est né en 1962 à Haïfa, fils de survivant·es hongrois·es de l’Holocauste. Il a grandi dans une famille très sioniste et a toujours voulu protéger son pays et son peuple. Yair s’est porté volontaire à l’âge de 18 ans dans la brigade de parachutistes et est devenu officier. Il a servi quatre ans dans l’armée israélienne et dix-sept autres années comme officier de réserve. Il a combattu en tant que soldat lors de la première guerre du Liban et pendant la première et la deuxième Intifada. En 2017, Yair a participé à une tournée pour les Israélien·nes qui souhaitaient rencontrer personnellement des Palestinien·nes en Cisjordanie. C’était la première fois qu’il pouvait interagir avec des Palestinien·nes en tant que civil. Cela a incité Yair à rejoindre Combattant·es pour la paix en tant qu’activiste anti-occupation. Il a commencé à rendre visite une à deux fois par semaine à des communautés de bergers palestiniens dans la vallée du Jourdain et à les accompagner afin de les protéger des attaques des colons et de la violence militaire.
Osama Elewat a conclu l’événement par un poème du poète palestinien Mahmoud Darwish: Elle demande: «Quand allons-nous nous rencontrer?» Je réponds: «Un an après la fin de la guerre.» Elle demande: «Quand la guerre sera-t-elle terminée?» Je réponds: «Quand nous nous rencontrerons.»
Constanze Warta, Archipel – FCE