IRAN: Lettre ouverte: Ne pas oublier et faire pression!

de Mani, aus "das Lamm", Zürich, 12 févr. 2023, publié à Archipel 322

Mani a grandi au sein de la diaspora iranienne à Zurich. Par peur des conséquences, elle ne s’était pas encore exprimée sur les protestations. Elle nous propose une réflexion sur la révolution iranienne et sur ce que nous pouvons faire pour la soutenir.

Jîna Amini a été assassinée le 16 septembre 2022. C’était une jeune femme originaire de la ville de Saqqez, dans l’ouest de l’Iran, en visite à Téhéran lorsque la police des mœurs lui a fait remarquer qu’elle ne portait pas son foulard de manière appropriée. Pour cette raison, elle a été emmenée au poste de police, où elle s’est effondrée peu de temps après et est décédée subitement(1).

Officiellement, on a dit qu’elle souffrait de maladies préexistantes qui auraient entraîné sa mort. Il est toutefois beaucoup plus probable qu’elle ait été tuée par des coups à la tête pendant sa garde à vue. Cet incident a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et a déclenché une vague de protestation comme la République islamique n’en avait jamais connue depuis sa création.

J’ai longtemps gardé le silence sur la situation en Iran. Pour être précise, toute ma vie. J’avais peur de ne plus pouvoir entrer au pays. Mais j’avais encore plus peur de ne plus pouvoir le quitter ensuite. Quand on grandit dans la diaspora iranienne comme moi, on grandit avec des histoires de double-nationaux qui ont fini en prison parce qu’iels ont osé écrire sur les abus en Iran. Ce faisant, on ne met pas seulement sa propre personne en danger, mais aussi sa propre famille qui vit là-bas. Celle-ci pourrait être interrogée à tout moment et contrainte de prendre ses distances avec les «traîtres à la patrie». C’est la raison pour laquelle j’ai évité jusqu’à présent de m’exprimer publiquement sur le gouvernement et la situation politique en Iran.

Mais face aux excès de violence actuels, je ne peux plus me taire. Je ne veux plus être prison-nière de mon impuissance et regarder sans agir, car je dois constamment m’inquiéter pour ma fa-mille.

Il ne s’agit pas seulement du foulard

La première question que les gens me posent ici en Suisse, lorsque nous parlons de l’Iran, est de savoir si je dois porter un foulard lorsque je rends visite à ma famille. La plupart du temps, c’est la seule question.

Dans ma famille, beaucoup de femmes portent le foulard volontairement. Mais toutes sont d’avis – comme la plupart des Iranien·nes – que les femmes ne doivent pas se voir imposer la manière dont elles s’habillent. Les protestations actuelles sont donc bien entendu des protestations féministes contre les codes vestimentaires. Mais l’oppression patriarcale des femmes et des personnes queer va bien au-delà de l’obligation de porter le foulard et concerne tous les domaines de la vie. Par exemple, la voix d’une femme au tribunal compte deux fois moins que celle d’un homme.

Les protestations sont également dirigées contre la répression des minorités(2) religieuses et ethniques qui dure depuis des années, contre la persécution des activistes politiques, contre leur torture et leur assassinat. La mauvaise gestion et le cloisonnement ainsi que les conditions de travail indignes contribuent également à ce que les manifestations(3) continuent depuis plus de trois mois.

Je me suis certainement simplifié la tâche dans une certaine mesure en n’écrivant pas sur la situation en Iran et en ne prenant pas position sur les médias sociaux. Bien que je défende bien en-tendu une position claire.

Si je n’ai pas pris position jusqu’à présent, c’est aussi parce qu’il n’est pas facile d’obtenir des informations fiables. Le gouvernement iranien veille à ce que l’accès à Internet(4) soit limité ou complètement coupé dans les moments critiques. Les pires atrocités sont ainsi dissimulées, en particulier dans les régions peuplées de minorités, comme le Kurdistan, le Baloutchistan ou le Khuzestan. Jîna Amini était elle aussi originaire du Kurdistan. En raison de ce manque d’information, nous n’apprenons en Suisse qu’après coup que des tirs ont été effectués lors de manifestations(5) en Iran ou même que des régions entières ont été bombardées. Outre l’utilisation de munitions, les viols(6) sont utilisés comme tactique de dissuasion, de préférence contre les femmes et les enfants. Jusqu’à présent, on dénombre plus de 400 morts, dont plus de 50 enfants et adolescent·es. Beaucoup plus ont été blessé·es. Chaque fois que je pense que la violence a atteint un niveau qui ne peut plus être dépassé, des nouvelles encore plus choquantes me parviennent.

Manifestations étudiantes et grèves de travailleur·euses

Il n’est pas difficile d’imaginer que le soutien dont bénéficie encore le régime dans la société est infime. Le mécontentement est grand dans toutes les couches de la société. Les élèves et les étudiant·es protestent et font grève, tout comme les ouvrier·es des entreprises pétrolières. Alors qu’il y a toujours des moments de calme à Téhéran, certaines régions périphériques, réprimées depuis longtemps, ne connaissent que l’état d’urgence depuis trois mois. C’est le cas de Saqqez, la ville d’origine de Jîna Amini, où vivent principalement des personnes issues de la classe ouvrière.

Les activistes politiques et les grévistes en Iran nous incitent à ne pas relâcher notre attention. La pression de l’extérieur – de la rue et des réseaux sociaux – peut contribuer à influencer le régime iranien. Il est donc important que les Iranien·nes ne tombent pas dans l’oubli, même si la marge d’attention des médias est généralement très faible, en dépit des circonstances qui mettent des vies en danger et du caractère révolutionnaire des protestations.

Des milliers de prisonnier·es politiques sont actuellement menacé·es d’exécution. Il y a une crainte justifiée que ça arrive dès que le monde détournera à nouveau le regard. Parmi les prisonnier·es menacés de mort figurent les deux journalistes qui ont rendu public l’assassinat de Jîna Amini.

Contre l’impuissance et l’oubli

Que pouvons-nous donc faire en tant qu’individus pour aider les Iranien·nes? Le trafic financier vers l’Iran est extrêmement limité, voire complètement bloqué, ce qui complique considérablement le soutien aux personnes sur place. C’est la conséquence d’années de sanctions. Malgré tout, il existe quelques organisations qui ne sont pas basées en Iran et auxquelles on peut donner de l’argent: Freeiran.ch(7) en Suisse ou Feminista Berlin(8) en Allemagne, par exemple.

Il est également possible d’acheter un VPN aux personnes politiquement actives en Iran afin de leur permettre un accès indépendant à Internet. Disco Teheran(9), par exemple gère un tel projet.

Pour les personnes ayant des connaissances techniques, il est également possible de devenir soi-même fournisseur de proxy, afin que les personnes sur place puissent communiquer de manière cryptée et ne courent pas le risque d’être prises pour cible par les forces de sécurité. Les proxies sont des programmes qui peuvent aider à contourner les blocages d’Internet.

Alors que je suis très critique à l’égard des sanctions générales, car elles touchent généralement la population civile et donc les mauvaises personnes, je considère que les sanctions ciblées sont utiles et permettent d’atteindre les objectifs. Cela signifie que les politicien·nes doivent s’engager à geler les comptes des personnes qui jouent un rôle important dans le régime iranien et à leur interdire l’accès au pays. Cela permettrait d’exercer une pression ciblée sur le pouvoir en place. Et pour cela, il faut faire pression sur nos politicien·nes.

Celles et ceux qui le peuvent devraient donc absolument participer à des rassemblements de so-lidarité et à des manifestations, là où iels sont. D’une part, cela permet d’attirer l’attention des gens sur la situation en Iran, et d’autre part, il est incroyablement important pour les Iranien·nes de voir qu’iels ne sont pas oublié·es et que leur révolution est également soutenue à l’étranger.

Celles et eux qui sont actif/ves sur les réseaux sociaux peuvent partager des contenus pour que la révolution ne tombe pas dans l’oubli. Depuis Berlin, Ozi Ozar(10) informe sur la situation ac-tuelle aussi bien sur Instagram que sur Tiktok. Ozi est arrivé de Téhéran en Allemagne il y a quelques années. La journaliste Daniela Sepehri11 informe également de manière approfondie sur des thèmes tels que la Garde révolutionnaire ou la prison pour femmes de Qarchak. Le Collectif pour les Iranien·nes noir·es 12 attire l’attention sur les grèves et les protestations ainsi que sur les personnes menacées de peine de mort, Niloofar Hamedi et Elham Mohammadi par exemple, qui ont été les premières à rapporter l’assassinat de Jîna Amini. Pour faire pression également dans l’espace numérique, il est possible de taguer les politiciens dans les contributions afin d’attirer leur attention sur des posts spécifiques.

Je ne souhaite rien de plus que le succès des personnes courageuses qui risquent actuellement leur vie pour protester contre un régime inhumain, et qu’un jour je puisse entrer dans un pays libre pour pouvoir serrer à nouveau ma famille dans mes bras.

Mani (nom d’emprunt), le 4.1.2023

  1. https://www.republik.ch/2022/10/07/frauen-gegen-das-mullah-regime
  2. https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/08/iran-stop-ruthless-attacks-on-persecuted-bahai-religious-minority/
  3. https://www.bbc.com/news/world-middle-east-63240911
  4. https://www.dw.com/de/internet-dient-noch-als-beschleuniger-der-proteste-im-iran/a-63767578
  5. https://www.srf.ch/news/international/unterstuetzungsvorwuerfe-iran-bombardiert-erneut-stuetzpunkte-im-nordirak
  6. https://www.aljazeera.com/news/2009/8/10/inquiry-urged-into-iran-rape-claims
  7. https://freeiran.ch/
  8. https://www.instagram.com/feminista.berlin/?hl=de
  9. https://discotehran.nyc/
  10. https://www.instagram.com/ozi_ozar/
  11. https://www.instagram.com/danielasepehri/ https://www.instagram.com/collectiveforblackiranians/