La plupart des gouvernements dans le monde sont d’accord sur le fait que les mouvements migratoires représentent un problème et même un risque de sécurité. De même ils pensent que les migrations internationales nécessitent une politique et un contrôle internationaux. L’Union Européenne donne le ton en imposant un régime européen des migrations mais l’objectif visé va cependant plus loin: la création d’un régime international des migrations.
En décembre 2000, les 93 Etats membres de la – jusque là peu remarquée – Organisation Internationale des Migrations (OIM) demandaient à cette dernière de prendre la tête de ce processus. Similaire dans son fonctionnement au Fonds Monétaire International (FMI) pour les finances et à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour le commerce, l’OIM doit réguler les mouvements des personnes.
L’OIM, c’est qui, c’est quoi?
L’OIM a été fondée, au temps de la Guerre Froide, par les alliés occidentaux en tant qu’organisation intergouvernementale. Elle est basée à Genève mais elle ne fait pas partie de l’ONU. Au départ, elle était même conçue comme contre-organisation face au Haut Commissariat des Réfugiés des Nations Unies (HCR), régulant les migrations d’après-guerre (dans un premier temps surtout européennes) selon des critères économiques et politiques. Actuellement le HCR et l’OIM travaillent souvent main dans la main. L’OIM a été adaptée aux demandes de la mondialisation et son rôle d’organe exécutif s’est transformé en rôle d’acteur politique. Elle agit en dehors de tout contrôle démocratique direct. Ses programmes: rapatriements, contrôle des mouvements migratoires, mise en place dans le monde de régimes migratoires et frontaliers (similaires au régime européen), formation de tireurs d’élite pour les frontières, mise en place de camps de réfugié-e-s et de rétention, ainsi que des campagnes d’incitation ou de dissuasion des migrations. Depuis peu, l’OIM s’occupe de la gestion des programmes pour faire immigrer des personnes pour la main-d’oeuvre recherchée en Europe. Elle propose un bilan de santé gratuit pour les personnes volontaires. Elle joue un rôle dans la mise en place de l’administration civile au Kosovo, dans le désarmement des rebelles de l’Unita en Angola et également dans la réalisation des programmes de dédommagement des victimes non juives du travail forcé par les Nazis.
L’OIM est une organisation qui s’agrandit et se complexifie rapidement. En quelques années, le nombre de ses bureaux a doublé et son champ d’intervention s’est fortement élargi. Aujourd’hui elle compte 93 Etats membres, 19 centres régionaux de coordination et plus de 100 bureaux. Elle est financée par les adhésions des Etats membres. De temps en temps, elle joue à l’entreprise pour la régulation des migrations et nomme les gouvernements dont elle défend les intérêts. Ses "clients", 88 sociétés d’aviation, représentent un autre partenariat important: l’OIM négocie des baisses de tarifs jusqu’à 60%. Elle favorise également la coopération avec les ONG qui reçoivent l’argent directement de l’OIM ou par les différents Etats membres, et qui font le travail de base.
"Gestion ordonnée des migrations" ou refus brutal des personnes indésirables?
Un des exemples les plus extrêmes du travail de l’OIM est celui de Nauru en Australie. Pour éviter que des réfugié-e-s venant surtout d’Afghanistan, d’Iran et d’Irak, pénètrent sur son territoire, le gouvernement australien applique une "solution pacifique" (Ndt: comme dans océan pacifique). Les bateaux de réfugié-e-s sont captés avant d’atteindre la côte et les personnes sont amenées, souvent par la violence, sur l’île de la république de Nauru. L’OIM y a installé et gère deux camps de rétention pour 1.300 personnes dont beaucoup d’enfants. Sous les regards des employé-e-s de l’OIM, les réfugié-e-s du cargo norvégien Tampa ont été poussé-e-s dans ces camps à coups de matraques et de bâtons électrifiés. L’accès à l’île est interdit aux journalistes, avocat-e-s et à Amnesty International. Sous le soleil brûlant d'une île polluée et détruite par l’exploitation du phosphate, les réfugié-e-s sont enfermé-e-s pour une durée indéterminée. En cas de protestation, c’est l’isolement. Un autre camp géré par l’OIM se trouve sur la base militaire de l’île Manus/Papouasie Nouvelle-Guinée. Amnesty International considère cette politique comme "inhumaine" et affirme que la vie dans les camps est un "enfer".
En Ukraine, l’OIM participe également à l’installation de deux camps de réfugié-e-s. Elle y fait pression sur le gouvernement pour qu’il surveille les frontières avec la Russie et la Moldavie, frontières qui jusque là étaient ouvertes. Elle a organisé pour les garde-frontières un voyage à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, démonstration d’un régime frontalier efficace.
La situation en Afrique de l’Ouest est également une épine dans le pied de l’OIM: les "flux libres" doivent cesser. L’OIM intervient à une conférence régionale et propose aux différents gouvernements des lois sur les questions de nationalité et d’immigration, la création de cartes d’identité ainsi que des contrôles frontaliers afin de réguler les migrations.
Tout cela rappelle la continuité des politiques coloniales de création arbitraire de frontières et d’Etats.
Dans la plupart des Etats européens (Ndt: pas encore en France), l’OIM crée des bureaux et coordonne en particulier des programmes de "rapatriements volontaires". Ces programmes sont plus efficaces, moins chers et surtout moins controversés que des expulsions proprement dites. A l’heure actuelle, de plus en plus de doutes sur ces pratiques se font entendre.
Le HCR définit le mot "volontaire" par "l’absence de mesures qui poussent le réfugié au retour, (...) l’absence de toute forme de pressions physiques, psychologiques ou matérielles". Il s’agit majoritairement de personnes qui sont obligées de quitter le territoire ou de retourner dans leur pays d’origine, des demandes d’asile refusées à plusieurs reprises. "Volontaire" veut dire à Berlin que les personnes concernées sont forcées au retour par l’interdiction de travailler et l’impossibilité d’obtenir des aides sociales financières ou autres. Quiconque ne s’inscrit pas pour un vol volontaire est expulsé-e du foyer de réfugié-e-s et se retrouve SDF, sans nourriture ni aide médicale. En 2000 et uniquement en Allemagne, elle fait sortir de cette manière 75.000 personnes.
En Belgique, l’OIM est même active à l’intérieur des centres de rétention.
Le Roma National Congress (RNC) accuse l’OIM de retarder de manière irresponsable les dédommagements pour le travail forcé sous le régime nazi et a porté plainte contre elle à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. De plus le RNC reproche à l’OIM de participer activement à l’expulsion des Roms d’Europe de l’Ouest.
D’autres programmes de l’OIM contre le "trafic humain", de femmes en particulier, sont très controversés. Alors que la définition juridique parle clairement de "violences, menaces et abus", l’OIM considère tout mouvement illégal de personnes comme trafic. Il s’agirait donc plutôt d’une volonté de diffamer et de criminaliser les migrations. Le fait est qu’en 2000 seulement 0,16% des rapatrié-e-s étaient victimes de trafic humain.
Cible de critiques
Amnesty International, Human Rights Watch et le conseil international de l’Eglise accusent l’OIM de plusieurs milliers de cas de non-respect des conventions des droits humains et des réfugié-e-s. Tony Bunyan de Statewatch, Londres, considère l’OIM comme "une organisation très dangereuse". Pour les journalistes de la BBC Sarah MacDonald et Kate Durham, elle est "une organisation malfaisante", le conseil des réfugié-e-s en Grande-Bretagne (Refugee council) critique l’OIM pour le rôle quelle a joué dans le rapatriement de réfugié-e-s afghan-e-s. Le RNC l’appelle "un ennemi du peuple rom". A Quito, Equateur, des familles de personnes travaillant dans l’agriculture en Espagne ont manifesté contre un accord sur les migrations et les rapatriements initié par l’OIM. Le réseaux international NoBorder mène une campagne de protestation qui vise principalement l’OIM: "Against the global migration management - for Freedom of Movement". Des participantes à des initiatives d’immigrées et de prostituées ainsi qu’à des campagnes contre le trafic de femmes expriment de plus en plus leur mécontentement. Les victimes de l’OIM quant à elles ne peuvent pas s’exprimer. Elles sont capturées avant d’arriver à leur destination, enfermées dans les camps d’internement de l’OIM, expulsées et rapatriées dans leurs pays d’origine.
Bilan
L’OIM prétend "gérer les migrations au profit de tout le monde" et "respecter la dignité humaine et le bien-être des migrant-e-s" mais l’exemple de Nauru ou les accusations du RNC démentent ces affirmations. Dans le cas de l’OIM, il ne s’agit en aucun cas d’une organisation philanthropique. De fait, cette organisation n’agit que sur demande et pour les intérêts de ses Etats membres. Comme ceux-ci doivent payer pour les services, ce sont surtout les pays riches et puissants de ce monde pour lesquels l’OIM agit. Elle construit un régime international des migrations selon des critères neo-libéraux et participe au sale jeu de différencier les migrant-e-s "utiles" des "inutiles". On rêve déjà d’un General agreement for the movement of people (GAMP) inspiré les accords pour le commerce (GATT). On peut douter que cela participe à créer plus de justice sociale dans le monde ou garantisse le principe de la liberté de circulation, dans le sens de la "Théorie de la Justice" de Rawls. Les Perdant-e-s, ça commence à se dessiner, sont les migrant-e-s non-souhaité-e-s. Celles et ceux qui n’ont ni "la chance" d’être reconnu-e-s comme réfugié-e-s politiques ni ne font partie des personnes dont les connaissances d’expert-e-s ou la main-d’oeuvre sont nécessaires dans les régions en croissance de ce monde.
Franck Düvell*
Sociologue, University of Exeter, Universität Bremen, co-éditeur et co-auteur de "Die Globalisierung des Migrationsregimes" (la mondialisation du régime des migrations), Berlin, Assoziation A, 2002
Contre le régime mondial des migrations, pour la liberté de circulation
Sous ce slogan, le réseau antiraciste européen NoBorder appelle à une campagne visant en particulier l’OIM. Ont déjà eu lieu une journée internationale d’action et de protestation contre l’OIM à Berlin, Prague, Paris, Helsinki, Kiev, Varsovie, en Italie et à Sangatte en octobre 2002 et fin mai 2003 des manifestations devant le siège principal de l’OIM à Genève. D’autres actions suivront en août dans le cadre du 6ème campement antiraciste No-Border devant la centrale de l’OIM à Bonn.
Plus d’infos sur www.noborder.org/iom (anglais)
et sur www.aktivgegenabschiebungen.de (allemand)
contact: iom@noborder.org