L’industrialisation de l’agriculture dans les secteurs de fruits et légumes s’appuie sur l’exploitation systématique de la main-d’œuvre, souvent immigrée. Les conventions sociales nationales ou communautaires sont contournées en embauchant des personnes sans statut de séjour ou avec des statuts très précaires. En Suisse, le FCE et le CEDRI sont engagés avec des organisations paysannes, les fédérations des consommateurs et des syndicats pour contrer la dégradation de la situation des travailleurs agricoles et se sont regroupés dans une «Plateforme pour une agriculture socialement durable» . Ce manifeste, publié fin novembre 2004, est leur première déclaration publique.
Souvenez-vous, en février 2000, la population de la ville andalouse d’El Ejido s’attaque aux travailleurs agricoles immigrés: une chasse à l’étranger qui provoquera une soixantaine de blessés, des logements saccagés, des organisations de défense des droits civiques attaquées. La nouvelle de ces émeutes racistes fait le tour du monde et met en lumière des conditions de travail insoutenables dans les milliers de petites exploitations maraîchères de la région: sous quelque 35.000 ha de serres de plastique, des dizaines de milliers de travailleurs étrangers, pour la plupart en situation irrégulière, produisent 80% des légumes frais consommés par les pays du nord de l’Europe en période hivernale. Marocains pour la plupart, leur salaire est dérisoire, leur «logement» misérable, en bordure ou au milieu des serres de plastiques, sans eau potable, ni sanitaires, leur santé mise à mal en raison de l’usage massif de produits chimiques nécessaires à la production hors-sol hyper intensive des fruits et des légumes.
Aujourd’hui, la situation est toujours aussi dramatique. Les discriminations et les agressions contre les ouvriers marocains se poursuivent. L’«or vert» continue à attirer de nombreux immigrés en provenance d’Afrique, d’Amérique latine, et de plus en plus souvent des pays de l’Est. Leur régularisation ne se fait qu’au compte-gouttes, ce qui permet aux patrons des exploitations de payer ces personnes bien en-dessous du salaire minimum légal, pourtant dérisoire! Malgré le choc des émeutes racistes et la catastrophe écologique en cours – pollution massive des sols et raréfaction des ressources en eau – El Ejido reste un miracle économique pour les adeptes de la logique dominante du productivisme et de l’ouverture des marchés agricoles.
Qui sème la misère… Depuis une quinzaine d’années, les pressions internationales à la libéralisation des marchés agricoles sont constantes. L’abaissement des coûts de transport des marchandises et la politique d’ouverture des marchés agricoles ont eu et continuent d’avoir pour conséquence l’élimination massive de tous les producteurs n’étant pas à même de faire face à un afflux de produits à bas prix. Pour l’Espagne: malgré l’optimisme affiché des autorités politiques de la région d’El Ejido, le Maroc et sa production légumière à des coûts encore plus bas deviendra sans doute un concurrent redoutable! Dans certains pays du Sud, cette politique d’ouverture et de dérégulation des marchés agricoles, imposée par la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), a pour conséquence la quasi disparition des productions vivrières, au profit de produits d’exportation, pourtant dépendants de cours très fluctuants. En Suisse, plus d’un quart des exploitations ont disparu depuis une dizaine d’années, les revenus agricoles des paysans restants stagnent, les heures de travail sont à la hausse, les investissements et amortissements ne sont plus assurés et la relève est problématique.
Les grands gagnants de cette politique sont les groupes agroalimentaires et agrochimiques (production de produits phytosanitaires, d’OGM, volonté de mainmise sur le vivant par le biais de brevets, etc.). La grande distribution n’est pas en reste: face à une myriade de producteurs en concurrence les uns avec les autres, elle dicte ses prix. Dès lors, tout est fait pour baisser les coûts de production et, par effet de cascade, ce sont ouvrières et ouvriers agricoles qui subissent les conséquences néfastes de cette politique: horaires de travail interminables, salaires très bas, non respect des législations du travail, etc.
En Suisse, la plupart des agriculteurs n’emploient pas de main-d’œuvre extra-familiale. Seuls 20 % ont recours à des ouvrières et ouvriers agricoles. Leur situation varie beaucoup et leurs conditions de travail également, de l’employé isolé sur un alpage aux entreprises maraîchères, fruitières, viticoles ou productrices de tabac qui emploient jusqu’à 200 personnes. Il n’existe, en Suisse, pas de cadre légal contraignant concernant les conditions de travail de la main-d’œuvre salariée de l’agriculture, ce secteur n’étant pas soumis à la Loi sur le travail. Chaque canton édicte des contrats-types agricoles, dont le contenu varie fortement d’un canton à l’autre: l’horaire de travail peut varier de 60 à 66 heures par semaine (selon la saison) pour un salaire mensuel de 2.850 CHF * à Glaris, à 49 heures hebdomadaires pour 3.040 CHF à Genève, soit une différence de plus de 30%.
… récolte la colère! Aujourd’hui, nous, organisations agricoles, syndicales et de défense des consommateurs, nous unissons pour dénoncer les conséquences sociales désastreuses de la course effrénée aux plus bas prix des denrées alimentaires!
Nous intervenons ** Nous intervenons auprès des autorités politiques, des distributeurs, des organisations agricoles, patronales et syndicales pour:
améliorer les conditions de travail des ouvrières et ouvriers agricoles en Suisse en mettant fin à la disparité des réglementations cantonales et en soumettant les conditions de travail dans l’agriculture à un cadre légal contraignant (Loi sur le travail, Convention collective de travail de force obligatoire, socio-conditionnalité des paiements directs);
régulariser la situation des ouvrières et ouvriers agricoles sans papiers;
exiger des entreprises de distribution qu’elles modifient leur politique d’achat des denrées alimentaires, de façon à permettre une rémunération plus équitable des producteurs et de leurs employées et employés tant, en Suisse qu’à l’étranger;
exiger des labels existants qu’ils introduisent dans leurs exigences le respect de conditions de travail décentes et de la législation du travail.
Nous nous engageons Pour une agriculture socialement durable, nous nous engageons à:
rechercher des alternatives à l’actuelle logique de concurrence effrénée (entre producteurs, régions, pays) et à l’inégale répartition des richesses;
faire pression pour que les échanges agroalimentaires soient régulés par une instance internationale qui aurait pour fondement le respect de la souveraineté alimentaire des Etats et le respect des conventions internationales sur les droits humains, l’environnement et la sécurité des aliments;
défendre le principe de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit pour chaque pays de définir sa politique agricole et alimentaire en prenant en compte l’exigence pour les autres pays de faire de même;
favoriser le développement d’une agriculture de proximité.
* 1 CHF = 60 cts d’euro
Signataires du Manifeste Les organisations agricoles:
Uniterre, BIO SUISSE, Bio-Forum Möschberg
Organisation pour la défense des petits et moyens paysans (VKMB)
Kagfreiland, Jardins de Cocagne Genève
Schweizer Bergheimat
Les associations de consommateurs:
Fédération romande des consommateurs (FRC)
Associazione consumatrici della Svizzera italiana (ACSI)
Fondation pour la protection des consommateurs (FPC/SKS)
Les syndicats:
Syndicat industrie et bâtiment SIB (UNIA)
Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs Genève (SIT)
L’autre syndicat La Côte
Organisations de défense des immigré-e-s:
Comité européen pour la défense des réfugié-e-s et immigré-e-s (CEDRI)
Forum civique européen (FCE)
Contact: Plate-forme «pour une agriculture socialement durable»
14, rue Mauverney, CH-1196 Gland
tél. 41 (0)22 362 69 88 ou
079 509 31 10,
fax 41 (0)22 362 69 89, <agrisodu@bluewin.ch>