Des centaines de personnes se sont noyées au large des côtes grecques à Pylos, sous les yeux des garde-côtes grecs. Ce naufrage n’est pas un accident, c’est un crime. À l’occasion de la manifestation de commémoration et de colère du 20.6.2023 à Zurich, un membre de Watch the Med Alarmphone s’est exprimé ainsi:
Depuis près de neuf ans, nous gérons un numéro d’appel téléphonique pour les migrant·es en détresse en mer. Nous faisons pression pour obtenir des sauvetages. Et nous documentons les crimes commis aux frontières extérieures de l’UE. Avec une solidarité collective et pratique, nous essayons, en tant que réseau avec des activistes du Sénégal à la Suisse, de contrer ensemble la mort le long des routes migratoires. Cette fois, malheureusement, c’était en vain. La semaine dernière, le 13 juin 2023, nous avions alerté les garde-côtes grecs à 16h53 CET au sujet d’un bateau complètement surchargé dans la zone de sauvetage en mer grecque. Nous étions en contact direct avec le bateau et avons transmis son appel à l’aide. Les autorités grecques avaient déjà été alertées quelques heures plus tôt, notamment par Frontex.
Les autorités grecques et d’autres autorités européennes étaient au courant – comme on le sait aujourd’hui – de l’existence de ce bateau surchargé et hors d’état de naviguer depuis au moins 9h47 du matin. Aucune opération de sauvetage n’a été lancée. Au petit matin du 14 juin 2023, le navire a chaviré – des centaines de personnes sont mortes.
Pour détourner l’attention de sa culpabilité, la Grèce a par la suite arrêté neuf prétendus pas-seurs et affirmé que ces personnes ne voulaient pas être sauvées, mais qu’elles avaient l’Italie pour destination. C’est une manœuvre cynique et minable pour détourner l’attention de son propre échec, de sa propre culpabilité.
Poussé·es vers la mort
Les garde-frontières⸱ grecs violent systématiquement les droits des migrant·es depuis des années. Les exilé·es savent que des milliers de migrant·es ont été bombardé·es, battu·es et abandonné·es en mer par des unités grecques. Iels savent que la rencontre avec les garde-côtes grecs, la police grecque ou les garde-frontières grecs est souvent synonyme de violence et de souffrance. En raison du refoulement systématique, les bateaux tentent de contourner la Grèce en empruntant des itinéraires beaucoup plus longs et en risquant leur vie en mer. En tant qu’Alarm-phone, nous avons documenté d’innombrables cas de pushbacks, mais aussi des cas où des bateaux surchargés ont chaviré parce qu’ils ont emprunté des itinéraires plus longs pour éviter les forces de police grecques.
Après le naufrage du bateau de pêche, les autorités grecques ont rapidement justifié publique-ment leur échec en matière de sauvetage. En réalité, elles avaient été alertées de nombreuses heures avant que le bateau ait chaviré. Les autorités européennes auraient pu prendre des mesures de sauvetage appropriées sans délai et à tout moment. Elles ne l’ont pas fait. Leur désir d’empêcher les arrivées a été plus fort que la nécessité de sauver des centaines de vies humaines.
Depuis le naufrage, de plus en plus d’indices sont mis au jour, laissant présager des choses ter-ribles: Les survivant·es racontent que les garde-côtes grecs les ont tirés avec une corde, ce qui a finalement coulé le bateau. D’autres racontent que les garde-côtes grecs ont d’abord longuement observé le naufrage et les personnes qui se noyaient avant de prendre des mesures de sauvetage.
Nommer les crimes
Alors que les garde-côtes grecs s’empêtrent dans les contradictions, les attaques brutales se poursuivent ailleurs: ces derniers jours, nous avons à nouveau reçu des rapports de groupes à la frontière terrestre gréco-turque. Ils ont fait état de pushbacks brutaux et d’attaques par des unités grecques. Celles et ceux qui souffrent sont tou·tes celles et ceux qui sont en route ainsi que les survivant·es et leurs proches. Depuis la semaine dernière, nous sommes en contact avec de nombreuses familles. Iels cherchent tou·tes désespérément des informations sur leurs proches. Et se plaignent de ne recevoir aucune aide de la part des autorités grecques. Et les survivant·es sont encore aujourd’hui quasiment enfermé·es, dans un camp grillagé à Malakasa, en Grèce.
Bon sang, est-il si difficile d’admettre que les personnes qui ont survécu à un tel massacre n’ont pas besoin d’un camp, mais d’un environnement adapté aux traumatismes?
La genèse de ce naufrage, la justification des autorités, l’intervention cynique du chef de Frontex, à qui les journaux de Tamedia ont même offert une tribune, le traitement des survivant·es et des proches, tout montre dans toute sa crudité le régime migratoire raciste de l’Europe: certaines personnes n’ont aucun droit, aucun droit à la vie, aucun droit à un deuil digne, aucun droit à une prise en charge adéquate.
À cela s’ajoute l’absence d’indignation de la part d’une grande partie de la société et des médias: si de tels «accidents» mobilisaient autrefois les gens et les médias, on n’entend et on ne lit presque plus rien, en particulier en Suisse. Les deux grands partis de gauche suisses? Ils sont tout simplement restés silencieux. Et c’est précisément là qu’il est de notre responsabilité de ne jamais, JAMAIS, laisser de tels événements devenir la norme. Même si nous avons l’impression d’être peu nombreux, nous pouvons, même si nous le sommes, rester bruyant·es et nous défendre, nous pou-vons construire des réseaux résistants et puissants – entre les personnes dans les pays de départ, les éxilé·es, les activistes aux points de transit, les proches et les personnes dans les pays d’arrivée tels que la Suisse. Et c’est là que nous continuons à intervenir: nous continuerons à nous battre pour chaque bateau, à dénoncer les crimes commis aux frontières extérieures de l’UE, à rester dérangeant·es – avec beaucoup d’entre vous et avec des compagnon·nes de route souvent invisibles! Cessez de blâmer les migrant·es qui tentent d’échapper à votre violence! Cessez de rendre les personnes en fuite responsables de leur propre mort!
Arrêtez les pushbacks, arrêtez de tuer en mer!
En mémoire des plus de 27.000 personnes tuées aux frontières extérieures de l’UE depuis 2013.
Alarmphone Zurich