Dans cet extrait de son ouvrage, Diaboliser en comparant: la RDA et le Troisième Reich*, l’historien Wolfgang Wippermann, connu entre autres pour sa critique du Livre noir du Communisme, s’interroge sur ce qu’est, au juste, un «extrémiste»? (suite)
Comment se fait-il que ce dysfonctionnement n’ait pas encore été démasqué? Pour quelle raison les antifascistes s’opposent-ils encore aujourd’hui aux extrémistes de droite, attirant ainsi sur eux le soupçon d’être des extrémistes de gauche, se différenciant peu de la variante fasciste de l’extrémisme?
Le pouvoir des mots
La réponse est évidente. C’est justement du fait qu’il est flou que le terme d’extrémisme est une arme performante dans les mains des gens de droite. Il leur suffit de déclarer appartenir au centre pour se démarquer formellement de leurs amis politiques et détourner le regard des dangers véritables qui émanent justement du centre de la société. Cela leur permet d’un même coup de dissimuler leurs idées et actions antidémocratiques, puisque les dangers menaçant la démocratie ne peuvent venir que de l’extrême droite et encore plus de l’extrême gauche, tout comme le prévoit le modèle de l’hémicycle. Inversement, on peut en conclure que les soi-disant objectifs antidémocratiques des extrémistes de gauche ne nécessitent pas de preuves – il suffit de les renvoyer à l’extrême bord à gauche.
D’un autre côté, les dangers qui émanent concrètement de l’«extrémité droite» sont sous-estimés de manière irresponsable. En fin de compte, ce qui est qualifié d’«extrémisme de droite» n’est pas seulement antidémocratique. Le fascisme classique et le néo-fascisme, également antiféministe, anticommuniste, antisémite et généralement raciste, défendent des idéologies que l’on retrouve également au centre de la société, mais justement un peu moins dans la gauche. Ainsi, pour citer un seul exemple, on ne rencontre pas seulement les idées antisémites, qu’on estime portées par 20% de la population actuellement, chez des gens considérés pour une raison ou pour une autre comme étant d’extrême droite. L’antisémitisme existe partout et, hélas, également dans une partie de la gauche qui tente de le camoufler en antisionisme, sous prétexte que leur critique porte sur les sionistes ou l’Etat d’Israël.
Que les chercheurs sur l’extrémisme et d’autres politologues fidèles à l’Etat évitent le terme «fascisme» comme le diable l’eau bénite s’explique aussi par sa dangerosité politique. Parler de fascisme plutôt que d’extrémisme renvoie également à ses structures et liens avec le capitalisme ainsi qu’à l’alliance avec le conservatisme. Les premiers existent toujours, la coalition avec les conservateurs peut se répéter. Vu sous cet angle, les termes de fascisme ou d’antifascisme représentent réellement une arme politique, que l’on cherche à parer avec celle de l’extrémisme.
C’est pourquoi les antifascistes ne devraient pas parler d’extrémisme (de droite). Cependant il y a une autre raison pour laquelle ils le font néanmoins et qu’en public le terme de fascisme est généralement remplacé par celui d’extrémisme. Le débat sur l’extrémisme (et le totalitarisme) ne concerne pas seulement la recherche, même pas la politique. Il s’agit plutôt d’une chose décisive, rarement remarquée: l’idéologie d’Etat de la vieille République de Bonn, qui est devenue à nouveau celle de la nouvelle République de Berlin, ou pour le moins est censée le devenir.
Wehrhafte Demokratie1
Contrairement à la République de Weimar, la République fédérale se voulait une démocratie capable de se défendre. Se défendre contre qui ou quoi? Contre les forces conservatrices du centre de la société qui avaient combattu la démocratie dès ses débuts pour la briser finalement en s’alliant avec les fascistes? Loin de là! Etaient visées les forces antidémocratiques des extrémités gauche et droite du spectre des partis politiques qui, séparément et en partie ensemble, auraient détruit la démocratie de Weimar.
Comme je l’ai mentionné plus haut, cette thèse est fausse. Les forces qui détruisirent la République de Weimar ne venaient pas de la gauche ni de la droite mais du haut et du centre. Dès 1930, elle n’était plus une démocratie fonctionnelle, car depuis Brüning, tous les chanceliers gouvernaient sans l’accord du parlement et s’appuyaient de plus en plus sur le paragraphe dictatorial 48 de la Constitution de Weimar. Le 30 janvier 1933 finalement, une alliance fut conclue, un gouvernement de coalition regroupant les fascistes et les conservateurs, et non pas les fascistes et les communistes.
Le concept de la wehrhafte Demokratie repose alors sur l’affirmation plus que douteuse selon laquelle la République de Weimar aurait été détruite par des partis «extrémistes» de gauche et de droite. Jusqu’à aujourd’hui ce schéma d’interprétation historique partial, et au fond faux, de la chute de la République de Weimar sert aux conclusions partiales concernant la Constitution, qui pourraient se révéler tout aussi fausses, voire carrément fatales pour la stabilité de la démocratie.
Le contraire de la démocratie
Tout danger pour la wehr-hafte Demokratie semble venir quasi exclusivement d’«associations» et de «partis» qui, selon l’article 9.2 de la Constitution, s’opposent à «l’ordre constitutionnel» ou qui, selon l’article 21.2, «selon leurs buts ou le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser». Une menace pour la démocratie qui émanerait du haut, agissant par la suppression progressive des droits démocratiques semblait inconcevable déjà pour les pères de la Constitution, alors qu’ils venaient eux-mêmes de faire exactement cette expérience pendant la phase finale de la République de Weimar.
En revanche, ils voulaient créer «une constitution démocratique qui, avant tout, garantit l’idée de la liberté personnelle, la protégeant contre toute tentative d’établir un Etat totalitaire». Cela implique que la notion clé de «l’ordre constitutionnel libéral et démocratique» mentionnée à l’article 18 de la Constitution n’a pas été définie de manière positive, mais seulement par la négative, la démarcation des aspirations «extrémistes» ou «totalitaires» de quelque nature qu’elles soient.
Le très influent professeur de droit public et juge à la Cour constitutionnelle, Gerhard Leibholz, formula cette idée de manière explicite. Dans plusieurs publications, il qualifia le «totalitarisme» de provenance national-socialiste et communiste d’«image négative» de «l’ordre constitutionnel libéral et démocratique».
De même, cette thèse se retrouve dans certains commentaires sur la Constitution. Celui de Maunz, Dürig, et Herzog stipule que «l’ordre constitutionnel libéral et démocratique» mentionné à l’article 18 doit être compris comme «la position opposée» au «totalitarisme». De ce fait l’Etat devrait «empêcher, d’entrée, toute action visant le totalitarisme». Par «totalitarisme», il faut entendre ici non seulement le national-socialisme passé, mais également et peut-être surtout le communisme bien vivant à l’époque. Les commentateurs de la Constitution l’affirment ailleurs avec une sincérité remarquable: «Si l’on regarde le passé et le présent vécu de l’autre côté du ‘mur’ et de la ‘zone de no man’s land’, la totalité de ce que comprend la notion de l’‘ordre constitutionnel libéral et démocratique’ selon la Constitution devient immédiatement clair.»
L’anticommunisme à l’allemande
Cette prise de position a été suffisamment explicite. La doctrine du totalitarisme, que l’on peut à juste titre voir qualifiée de «vision du monde selon la Constitution», avait effectivement une visée anticommuniste primaire. Gesine Schwan, parfaitement libre de tout soupçon de penchant de gauche, voire communiste, l’a admis de but en blanc. Dans son livre: L’anticommunisme et l’antiaméricanisme en Allemagne, publié en 1999, elle écrit: «C’est ainsi que l’anticommunisme allemand en tant que conviction a priori de la légitimité de la Constitution politique de la RFA s’est formé génétiquement à partir des expériences du stalinisme; il professait essentiellement la liberté, la démocratie libérale occidentale et représentait ainsi la condamnation du despotisme de la dictature communiste à parti unique».
La RFA justifia sa politique extérieure et intérieure, strictement anticommuniste, en renvoyant à la légende de l’extrémisme et de la doctrine du totalitarisme, de surcroît en version écourtée. Les Affaires étrangères refusaient toute négociation avec l’Union soviétique «totalitaire» ou ses Etats satellites, aussi «totalitaires». On n’étudia même pas si l’offre de réunification de Staline en mars 1952 était sérieuse. Tout de même, de nouvelles relations diplomatiques avec l’Union soviétique furent nouées trois années plus tard. Mais cela se fit à contrecœur et uniquement avec l’Union soviétique. La RFA ne voulait pas entretenir de relations avec les autres pays communistes. L’existence de la RDA fut ignorée. Elle était et restait «la soi-disant RDA» et jusque tard dans les années 60, on l’appela tout simplement la «zone». Cette politique étrangère, qui – comme nous le savons aujourd’hui – fut un échec, ne reposait aucunement sur des calculs rationnels, mais était due aux peurs irrationnelles et idéologiques, plus précisément à des motifs antitotalitaires et anticommunistes.
L’interdiction du KPD2
L’interprétation et l’application partiales de la légende de l’extrémisme et de la doctrine du totalitarisme constituaient également la base de la politique anticommuniste intérieure. Un bon, ou plutôt mauvais exemple, est l’interdiction du KPD en 1956, quelque peu oubliée aujourd’hui mais dont je vais justement – une récidive n’étant pas à exclure – présenter ici la genèse.
Le 22 novembre 1952, le gouvernement fédéral présenta une réquisition pour examen de l’inconstitutionnalité du KPD selon l’article 21.2 de la Constitution auprès de la Cour constitutionnelle. Celle-ci fut justifiée d’une part par l’affirmation qu’en raison de son idéologie marxiste-léniniste, le KPD menaçait l’existence de la RFA. D’autre part s’y ajoutait la crainte purement politique que le KPD cherche à préparer la réunification de l’Allemagne et «l’instauration d’un régime politique dans l’Allemagne entière correspondant à la zone d’occupation soviétique».
Le 17 août 1956, la Cour constitutionnelle donna raison en tous points à la demande du gouvernement fédéral, déclara le KPD inconstitutionnel, ordonna la saisie de son patrimoine et, par la même occasion, interdit toute organisation de remplacement existante ou à venir. La justification de la décision fut développée en quatre paragraphes. Dans le premier, les juges constataient que le KPD visait formellement «l’établissement d’une révolution sociale-communiste et la dictature du prolétariat». Il resterait à démontrer si à ce moment-là, le KPD continuait à viser ces objectifs. Dans le deuxième paragraphe, on imputait aux membres et sympathisants du KPD de chercher à saper «l’autorité naturelle (!) intérieure et ainsi (?) la légitimation de l’ordre constitutionnel libéral et démocratique». Par prudence, les juges omirent de mentionner de quelle manière le KPD, quasi insignifiant déjà à l’époque, aurait pu le faire. Au lieu de cela, ils invoquaient le fait que le KPD persistait à prôner le régime de l’Union soviétique «où la dictature du prolétariat est déjà réalisée». Une justification certes subtile, mais qui ne tient pas debout! Comme si cela ne suffisait pas, dans le troisième paragraphe, on reprochait au KPD, en prenant parti pour la politique de l’URSS, de se positionner «par principe à l’opposé des trois alliés occidentaux et de la RFA». Cela était vrai surtout concernant la vision du KPD du «rétablissement de l’unité de l’Allemagne» ou sa revendication d’une «conception précise de la réunification». Une voie politique divergeant de celle choisie par le gouvernement fédéral concernant l’Allemagne est devenue une preuve que le KPD était hostile à la Constitution! Le quatrième et dernier paragraphe justifiant le verdict était encore pire. Les juges reprochent alors au KPD d’«outrager l’ordre constitutionnel de la RFA», voire de ne pas montrer le «respect» nécessaire de «l’ordre constitutionnel libéral et démocratique».
L’antitotalitarisme imposé
Cette doctrine du totalitarisme s’est révélée avoir pour cible principale le communisme. Au-delà de la politique intérieure et du droit, elle a marqué également la politique d’éducation en RFA, et ce, dans une dimension qui reste extrêmement douteuse, tant sur le plan juridique que pédagogique – à un point que la doctrine du totalitarisme considérée comme une théorie fut quasi obligatoire à l’éducation nationale. Cela est valable avant tout pour les «directives concernant le traitement du totalitarisme en classe» arrêtées par les ministres de l’Education des Länder en 1962 qui imposèrent aux enseignants de développer dans leurs cours la théorie sur le totalitarisme, alors que cette dernière était déjà controversée à l’époque. En fin de compte, il s’agissait de faire en sorte que les «objectifs condamnables» et les «méthodes criminelles du totalitarisme communiste et national-socialiste» soient expliqués aux élèves. La phrase suivante exprime de manière claire et sans équivoque qu’une fois de plus la lutte contre le communisme était l’objectif principal: «Le fait que les deux systèmes luttèrent l’un contre l’autre ne doit pas masquer leur forte parenté.»
Cependant, cet antitotalitarisme (en fait anticommunisme) ordonné fut de plus en plus questionné et joua un rôle de moins en moins important dans les écoles et universités. Par ailleurs, certaines personnes de la génération dite sceptique ainsi que, par la suite, la génération critique contestèrent les mesures anticommunistes prises dans leur propre pays et la guerre des Etats-Unis au Vietnam menée dans un esprit anticommuniste. Parallèlement, la politique social-libérale envers l’Est amena une «détente» qui à son tour eut des répercussions sur la politique intérieure. Il est question ici de la nouvelle autorisation de fait du KPD, rebaptisé DKP3, et de certaines réformes dans l’éducation.
Une idéologie d’Etat
Cette détente dans la politique étrangère et intérieure fut imposée malgré la résistance virulente des politiciens conservateurs. Les politologues et idéologues conservateurs critiquaient surtout l’abandon du concept de totalitarisme et son remplacement par celui de fascisme. Le politologue Karl Dietrich Bracher de Bonn voulait y voir une atteinte à l’idéologie étatique de la RFA. Dans son livre Les Mots clés de l’Histoire, il explique:
«Le totalitarisme de gauche et de droite furent une expérience fondamentale [de la RFA] et il en découle que l’image que la seconde république allemande a d’elle-même repose sur une idée ouverte de la démocratie. Elle se dota donc d’institutions constitutionnelles chargées de la protéger contre les tendances totalitaires. [...] Au vu de l’histoire, le remplacement de la notion de totalitarisme par celle de fascisme dans les discussions scientifiques et publiques porte une signification grave qui touche l’image de la République fédérale allemande elle-même. [...] Les conséquences sont inestimables. Car en même temps furent retirés progressivement les scrupules et protections de la wehrhafte Demokratie qui devaient garder l’Etat et la société de nouvelles polarisations et idéologisations extrêmes.»
Bracher n’a pas tellement tort. La critique du concept de totalitarisme et son remplacement étendu par celui de fascisme avaient mis en question l’idéologie d’Etat de l’ex-RFA. Cela devait avoir et eut des répercussions sur l’image de la RDA et de la politique menée à son encontre.
* Dämonisierung durch Vergleich: DDR und Drittes Reich, Rotbuch Verlag, Berlin 2009.
- Littéralement «une démocratie capable de se défendre», mot d’ordre pour le comité parlementaire chargé de rédiger la constitution de la RFA à la fin de l’année 1948 comme un contre-modèle de celle de la République de Weimar dont la faiblesse avait rendu possible la montée du nazisme.
- Kommunistische Partei Deutschlands: Parti communiste d’Allemagne
- Deutsch Kommunistische Partei: Parti communiste allemand
Un Camp Action Climat, céquoi?
Le Camp Action Climat se déroulera du 22 juillet au 1er août à côté du Havre. Il a pour objectif d’organiser une action de masse de blocage de la raffinerie Total de Gonfreville-Lorcher. Il s’inspire notamment des Camps Climat anglais, et de ceux qui se tiennent un peu partout dans le monde cette année. Le camp est organisé par un collectif d’individus de tous bords, qui constatent que la crise climatique n’est pas seulement un problème environnemental de plus, mais qu’elle doit être lue comme la faille de l’ensemble du système dans lequel nous vivons. C’est la crise la plus urgente à laquelle nous sommes confrontés.
A l’échelle globale, nos pays développés sont relativement adaptables à ce problème qui se fait déjà sentir. D’autres zones, et des populations entières, sont en revanche beaucoup plus fragiles et l’impact sur ceux-ci pourrait être rapide, et dramatiquement violent. Cet impact se répercuterait sans tarder sur l’ensemble de la planète, dans un contexte de ressources en diminution.
Si les gouvernements et les industriels poursuivent le «business as usual», la politique de l’autruche, c’est à nous d’agir dès maintenant, pour limiter l’impact de cette crise et sortir de la voie sans issue dans laquelle nous sommes embarqués. Le système actuel est responsable du changement climatique. Soyons responsables et changeons de système!
Le camp climat est l’occasion d’agir directement pour opérer une transition juste vers une société équitable, soutenable, indépendante par rapport aux énergies fossiles et neutre en terme d’émissions de CO2.
Chaque Camp Climat est organisé horizontalement par quiconque souhaite s’investir. Il a une empreinte écologique minimale, et développe quatre thématiques principales:
- la résistance aux pires «crimes climatiques» par l’action directe créative et non violente;
- le développement d’alternatives concrètes pour un mode de vie soutenable ici et maintenant;
- l’éducation, à travers un large éventail d’ateliers et de discussions;
- la construction d’un large mouvement international pour une justice climatique;
Pour plus d’infos: http://www.campclimat.org