Nombreux sont les historiens, en particulier au sein de l’école «Histoire d’en bas» qui considèrent les enclosures, c’est-à-dire le fait de clôturer les communaux, comme un élément déterminant dans la naissance du capitalisme. Le terme «communaux» désignant des terres cultivées et gérées de manière collective et régies par le droit coutumier. Simon Fairlie résume l’histoire de ces enclosures*. (fin)
Dans la première partie, l’auteur expliquait le mode de propriété et de gestion de la terre, au Moyen Age, puis à la Renaissance. La deuxième était plus particulièrement consacrée aux résistances paysannes contre les enclosures, aux 16ème et 17ème siècles et la troisième à l’expulsion des Ecossais des Highlands et aux enclosures parlementaires du 18ème siècle. Quand à la quatrième, elle traitait du phénomène des Lotissements et des petites exploitationsLotissements et petites exploitations ainsi que des Lois sur les céréales, le coton et les fermes.
La fin des enclosures
Le mouvement d’enclosure pris fin au moment où il commença à inquiéter les classes moyennes. Dans les années 1860, des citadins influents commencent à s’apercevoir que les lieux de loisirs se font de plus en plus rares. Dans les lois sur les enclosures de 1869, sur 6.916 hectares de terre destinées à être clôturées, seulement trois furent attribués aux activités récréatives, et 6 hectares pour les lotissements1. Une société de protection fut créée, la Société de Préservation des Communaux, dirigée par Lord Eversley, qui plus tard deviendra la Société des Espaces Ouverts et donnera également naissance au National Trust (Patrimoine National). La Société ne craignait pas de promouvoir des tactiques d’action directe, telles que l’arrachage de clôtures, et les ont utilisées avec succès pour ce qui est de la forêt d’Epping et des communaux de Berkampstead , pour initier des procès qui attirèrent l’attention à leur cause2. En quelques années, la société s’était attirée un fort soutien au parlement et la loi sur les communaux de 1876 statua qu’un terrain ne pouvait être enclos que si c’était dans l’intérêt général.
En tout état de cause, dans un contexte de dépression agricole qui, d’ici 1875, était déjà bien établi, la bonification des terres n’était plus guère une priorité et les derniers 25 ans du 19ème siècle ne virent qu’une poignée d’enclosures parlementaires.
(…) Dans certains cas, les communaux ont continué d’être utilisés comme tels longtemps après avoir été légalement enclos, car dans un contexte de récession de l’agriculture à la fin du 19ème siècle, les propriétaires terriens ne voyaient aucun avantage financier à la bonification de leurs terres. Georges Bourne décrit comment dans son village du Surrey, bien que les communaux aient été clôturés depuis 1861, les sans-terre locaux avaient continué à les utiliser de manière informelle jusqu’au début du 20ème siècle. Ce qui finit par les en chasser ne fut pas la bonification des terres mais le développement des banlieues – mais ceci est une autre histoire. Bourne commente: «La totalité des changements qui ont affecté le village peuvent être attribués, plus qu’à toute autre cause, à l’enclosure des communaux. C’était comme de faire sauter la clef de voute d’une arche. La clef de voute n’est pas l’arche, mais une fois celle-ci disparue, toutes sortes de forces qui étaient contrées auparavant commencent à mener à la ruine».3
Verdict des historiens modernes
L’interprétation classique des enclosures, du moins de celles des 18ème et 19ème siècles, est qu’il s’agissait d’un «mal nécessaire, et qu’elles auraient fait moins de dégâts si l’augmentation des dividendes du monde agricole avait été justement répartie»4. La quasi-totalité des études vont dans le même sens, certaines mettant l’accent sur la nécessité de la bonification des terres et d’autres sur les dégâts sociaux, selon l’idéologie de l’auteur.
Aucun défenseur des communaux ne prétend que les enclosure n’ont pas permis, ou au moins accéléré, certaines améliorations dans l’agriculture. (les Hammons quant à eux n’abordent pas le sujet pour se concentrer sur les injustices); pas plus qu’il n’existe de défenseurs des enclosures pour nier que le processus aurait pu être mis en place de manière plus équitable.
L’opinion a changé considérablement à un ou deux égards. Le point de vue classique des auteurs dans le domaine de l’agriculture dans les années 1920, Lord Ernle en est un bon exemple, était que la bonification des terres – la soi disant révolution agricole – avait été développée par des gros exploitants agricoles progressistes à la fin des années 1800 et que l’enclosure était un élément indispensable pour permettre à ces innovateurs d’occuper le devant de la scène. Dans les 30 dernières années, nombre d’historiens ont montré que l’innovation s’était développée tout au long des siècles précédents, et qu’il n’était pas du tout impossible, voire inhabituel, d’introduire dans le système d’openfield une rotation quadri annuelle, ou de nouvelles récoltes. A Hunmanby, dans le Yorkshire, un système sur six ans avec deux ans de friche avait été introduit. En 1697 à Barrowby, dans le Lincolnshire, les villageois s’étaient mis d’accord pour regrouper les communaux destinés aux pâtures et les champs ouverts qui étaient en voie d’épuisement pour les gérer en rotations de douze ans dont quatre ans de culture et huit de prairies.5
Il est bien possible qu’il faille plus de temps à un paysan innovateur pour persuader une majorité des participants à un système d’openfield de s’orienter vers des techniques expérimentales que de tenter sa chance seul. On peut comprendre la frustration individuelle, mais du point de vue de la communauté, où est l’urgence? L’introduction trop rapide d’améliorations techniques entraîne souvent des perturbations sociales. Quoi qu’il en soit, si l’on compare les minimes efforts de vulgarisation fournis pour l’amélioration de l’agriculture d’openfield, aux hauts cris en faveur des enclosures, on ne peut pas éviter de conclure que «l’amélioration» a partiellement servi de cheval de Troie pour ceux dont l’intérêt principal était le remembrement et l’accaparement des terres.
L’un des principaux sujets de controverses est la mesure dans laquelle les enclosures ont été directement responsables de la dépopulation rurale et du déclin de la petite paysannerie. Un certain nombre de commentateurs ont affirmé que ces processus étaient en cours et que souvent on ne pouvait pas les lier directement aux enclosures. Plus récemment, Neeson a montré que dans le Northamptonshire, la disparition des petits propriétaires était directement liée aux enclosures et elle a suggéré que dans les recherches, on ne tenait pas compte des usagers des communaux les plus pauvres, en particulier des sans-terre et des exploitants à temps partiel.6
Mais ces controverses, comme tant d’autres suscitées par le fait que les communaux étaient tous différents les uns des autres, pèchent par une absence de vision globale. Le fait est que la population rurale d’Angleterre et du Pays de Galles est passée de 65% de la population globale en 1801, à 23% en 1901; tandis qu’en France, 59% de la population restait rurale en 1901 et jusqu’en 1982, 31% de la population habitait à la campagne. Entre 1851 et 1901, la population rurale d’Angleterre et du Pays de Galles a décliné de 1.4 million, pendant que la population globale atteignait 14.5millions et que la population urbaine avait quasiment triplé.7 D’ici 1935, il y avait au Royaume-Uni un travailleur pour 12 hectares, 1 pour 4.5 hectares en France, et 1 pour 3.4 hectares dans l’Europe entière.8
La Grande Bretagne a visé, plus ou moins délibérément, à devenir une économie hautement urbanisée avec un large prolétariat urbain dépossédé d’une base rurale, avec une propriété terrienne fortement concentrée et des fermes bien plus grandes que dans aucun autre pays d’Europe. L’enclosure des communaux, plus développée en Grande Bretagne que n’importe où ailleurs en Europe, n’a pas été le seul moyen pour atteindre cet objectif: le libre échange et l’importation de nourriture et de fibres venant du Nouveau Monde et des colonies ont joué leur rôle, ainsi évidemment que la préférence anglaise pour la primogéniture (la transmission du total des terres à l’aîné des fils). Mais l’enclosure des communaux a joué un rôle clef dans l’industrialisation de la Grande Bretagne, et ceci était déjà évident pour les protagonistes de l’époque.
* Article publié dans The Land Magazine (numéro 7 - été 2009), une revue britannique épisodique consacrée aux questions de l’accès à la terre. <www.thelandmagazine.org.uk>
- W E Tate, The English Village Community and the Enclosure Movements, Gollancz,1967, p136.
- Lord Eversley, English Commons and Forests, 1894.
- George Bourne, Change in the Village, Penguin 1984 (1912), pp 77-78.
- G M Trevelyan, English Social History, Longmans, p379, Histoire sociale de l’Angleterre, Payot, 1949.
- Dans Tate op cit 1, on peut trouver un résumé pro-enclosure des General Views (conceptions générales) pp224-252 de Lord Ernle, English Farming Past and Present, 1912.
- J. M. Neeson, op cit 24 . D’autres livres importants sur ce thème: Edward Carter Kersey Gonner, Common Land and Enclosure, Macmillan, 1912; J. D. Chambers & G. E. Mingay, The Agricultural Revolution 1750-1880, Batsford, 1970; J. A. Yelling, Common fields and enclosures in England 1450-1850, Macmillan, 1977.
- Institut National d’Etudes Démographiques, Total Population (Urbain et Rural) de la France métropolitaine et densité de population – recensements de 1846 à 2004, <www.INED.fr>.
- Doreen Warriner, Economics of Peasant Farming, Oxford, 1939, p3.