... Pour la défense des droits des travailleur·euses étranger·es dans l’agriculture européenne.
Début février 2022, le Codetras accueillait le collectif des Jornaleras de Huelva en Lucha (Les saisonnières de Huelva en lutte) pour quatre jours de rencontres au Mas de Granier. Cette semaine était l’occasion de concrétiser des premiers liens créés ces derniers mois en Andalousie. Exploitation et précarisation des travailleurs et surtout des travailleuses agricoles étrangères, impunité des grosses entreprises agricoles, mélange savant et explosif entre racisme, sexisme et capitalisme… Les problématiques sont largement partagées et méritent de l’être.
La province de Huelva est la plus grosse région productrice de fraises d’Europe avec 340.000 tonnes produites en 2018-2019 pour un chiffre d’affaires de 554 millions d’euros mais avec un salaire de 42 euros par jour pour les ramasseuses, en dessous des conventions collectives nationales. C’est dans ce contexte qu’est créé le collectif des Jornaleras de Huelva en lucha en 2018, dans la foulée du mouvement de manifestations et de dénonciations de viols et de violences sexuelles sur des travailleuses de la fraise à Huelva. Najat Bassit et Ana Pinto, les deux co-fondatrices du collectif, ont elles-mêmes travaillé quinze ans dans les serres de fruits rouges de la région. Blacklistées du milieu agricole pour leur engagement politique, elles sont les deux personnes visibles du collectif mais elles travaillent avec tout un réseau de femmes qui sont encore employées dans les entreprises et vivent parfois dans les chabolas (bidonvilles où vivent certain·es travailleur·euses étranger·ères) et leur font remonter les informations. Elles collaborent aussi avec une coopérative d’avocates à Madrid. Une campagne de crowd funding leur a permis de récolter 30.000 euros, de quoi financer deux salaires jusqu’à septembre prochain. Récemment, avec d’autres collectifs de travailleuses domestiques (et notamment las Kellys, un mouvement de lutte de travailleuses domestiques en Espagne) et de travailleuses du sexe de Séville, elles ont fondé un syndicat: la SOA (Sindical Obrera Andaluza). Elles entendent ainsi faire converger les luttes autour d’un syndicalisme résolument féministe et antiraciste en Espagne, mais aussi au-delà des frontières nationales. Journaliste indépendante, Nazaret Carlo, faisait aussi partie de la délé-gation accueillie dans la Crau. Elle travaille depuis plusieurs années sur les questions de fémi-nisme et de syndicalisme et accompagne le collectif dans les dénonciations de pratiques des en-treprises agricoles et dans l’écriture collective de leur mouvement. Elle fait aussi partie de la Laboratoria*, un collectif de recherche et d’investigation féministe à Madrid qui tisse des liens avec d’autres organisations et collectifs féministes à travers le monde. Du 16 au 20 février derniers, elles organisaient une escuelita sindical à Madrid entre des féministes syndicalistes et travailleuses du sexe, saisonnières agricoles et travailleuses domestiques d’Espagne, d’Équateur, d’Argentine et de France où le Codetras était aussi représenté.
Trois membres du collectif italien Campagne in Lotta (Campagne en lutte) étaient aussi invité·es à se joindre aux échanges organisés à la Cancha del Zurdo, un des tournois de volley dominicaux organisés par des personnes de la communauté équatorienne de Beaucaire. Créé dans la région des Pouilles, au sud de l’Italie, le collectif est composé d’Italien·nes solidaires auxquel·les se sont joint·es des travailleur·euses étranger·es, beaucoup d’Afrique de l’Ouest, embauché·es dans les champs de tomates destinées à l’industrie.
Sans papiers, les travailleur·euses y sont doublement exploité·es et payé·es à la tâche, à 3,5 eu-ros la cagette de tomates, soit 10 heures de travail quotidien pour 35 euros. Mahamadou, un des porte-parole du collectif présent à Beaucaire, dénonçait la réduction des travailleur·euses agricoles étranger·es dans le sud de l’Italie à leur condition de personnes sans papiers: «On est jeté·es dans des campagnes et de là, nous essayons de sortir pour aller travailler, pour travailler pour notre survie. A partir du moment où on a été bloqué·es, où on a été privé·es de tout, on s’est solidarisé·es et on a intégré le collectif pour, au moins, créer un bloc pour forcer, avoir notre liberté.»
Fin 2019, pour réclamer la régularisation immédiate de toutes les personnes sans papiers, le collectif a réussi une opération de blocage du port de Foggia, un des plus gros ports du sud de l’Italie. Une pluie de procès s’est abattue sur elleux, donnant lieu à des grosses amendes, des frais de justice exorbitants et des interdictions de territoire dans les provinces dans lesquelles iels s’organisent, comme c’est l’habitude des politiques de répression des autorités italiennes ces dernières années.
Les 6 et 7 avril prochains, les Jornaleras organisent un contre-sommet des producteurs de fraises de Huelva pour faire entendre les voix de celles sans qui la poule aux œufs d’or que repré-sente la fraise andalouse ne serait rien. Des discussions, tables rondes et rencontres in-ter-collectifs y seront organisées.
Hélène Servel Journaliste - MarsActu
- <www.laboratoria.red>