Cela faisait un an depuis le dernier article paru dans Archipel(1) sur la situation de la frontière briançonnaise au col de Montgenèvre, emprunté par les personnes dont l’État considère qu’elles n’ont pas les bons papiers. Malgré une accalmie courant décembre, probablement dûe à d’importante chutes de neige, on dénombre toujours entre cinq et une vingtaine d’arrivées chaque nuit.
Le refuge
Après moult péripéties durant le printemps dernier, l’association «Les terrasses solidaires», gestionnaire du refuge, a pu accéder à la propriété d’un grand bâtiment dans les hauteurs de Briançon. Ce bâtiment, bien plus grand et salubre que l’ancien lieu prêté par la mairie – et qui avait, pour rappel, été retiré lorsque la mairie était passée à droite – a grandement amélioré la qualité de l’accueil proposé aux exilé·es qui viennent de traverser la frontière. La jauge d’accueil, bien que régulièrement dépassée, est désormais de 61 personnes et les arrivant·es ne sont plus entassé·es dans les couloirs mais disposent de chambres décentes. Une grande salle de vie permet l’organisation de diverses activités par les bénévoles tout au long de la journée. Les maraudeur·euses ont pu établir leurs locaux au sein du refuge et un groupe de bénévoles dispose également d’un espace pour assurer des permanences d’orientation et d’information juridique, travail que les salarié·s du refuge n’ont pas le temps de faire. En outre, ce gain de place a permis de désigner une pièce réservée aux consultations médicales assurées par Médecins du Monde ainsi que par la PASS (Permanence d’accès aux Soins de Santé), présente une fois par semaine au refuge, accompagnée d’un psychologue pour les personnes présentant d’éventuelles détresses psychologiques. Lorsque que cela ne suffit pas, l’hôpital de Briançon, seule institution publique qui s’attache à respecter la loi dans la région, continue à soigner de manière inconditionnelle les arrivant·es.
La situation globale est toujours très difficile, mais l’acquisition de ce lieu a eu l’effet d’un grand bol d’air frais – pour ce qui est de l’accueil une fois que les exilé·es sont en France, en tout cas. Le refuge doit cependant toujours s’appuyer sur la générosité de donateur/trices privé·es, sans l’aide de l’État, qui s’obstine à considérer que se faire humilier et refouler par sa police raciste est le seul accueil dont les personnes contraintes à fuir leur pays ont besoin, et aujourd’hui déjà, l’association appelle à l’aide: elle ne dispose pas des fonds nécessaires pour passer l’hiver.
Les maraudes
Peu à peu, les maraudes parviennent à avoir un semblant de structure. Une voiture a pu être achetée et après chaque chute de neige, des équipes se constituent avec une grande efficacité pour aller tracer les sentiers empruntés par les exilé·es, dans le but de diminuer les risques de la traversée, qui peut prendre jusqu’à une dizaine d’heures dans le pire des cas. Un·e docteur·e ou un·e infirmier·e de Médecins du Monde est également régulièrement présent·e avec elleux, dans le cadre du partenariat entre MdM et Tous Migrant·es. Nous avons observé que la présence quasi quotidienne de maraudeur·euses dans la montagne limite les comportements honteux de la police, tels que les embuscades et les chasses à l’humain. Les MNA (Mineur·es Non Accompagné·es) sont désormais quasi systématiquement confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance lorsqu’iels sont arrêté·s en compagnie de solidaires, là où iels étaient auparavant systématiquement refoulé·es.
Néanmoins, nous continuons de recevoir des témoignages accablants concernant le comporte-ment de la Police aux frontières (PAF) au sein de ses locaux, à l’abri des regards. Outre le vol de l’argent des exilé·es(2), nous savons également que les personnes arrêtées sont entassées toute la nuit dans un Algeco dont l’installation n’a jamais fait l’objet d’un permis de construire, sans chauffage par des températures descendant parfois jusqu’à -20°c, en attendant leur renvoi en Italie.
Une femme qui a réussi à arriver en France après s’être fait arrêter une fois et renvoyée en Ita-lie, a également témoigné que durant sa nuit à la PAF, elle n’a pu aller uriner qu’avec la porte des toilettes grande ouverte, sous le regard goguenard de deux policiers. En décembre, un drame a malheureusement eu lieu: suite à une embuscade puis une chasse à l’humain de la police, un homme a chuté dans un ravin, est tombé sur la tête, et après de longues heures inconscient, a pas-sé deux jours à l’hôpital, pour se remettre de sa commotion cérébrale. Voilà ce que nous observons: la route goudronnée qui relie Clavière à Montgenèvre n’est pas en elle-même dangereuse. Les exilé·es sont mis·es en danger dans un premier temps par l’État, qui en triant les personnes selon leurs papiers et en maintenant ses frontières fermées, comme l’a réaffirmé le conseil d’État en juillet(3), les met en danger en les obligeant à emprunter des chemins de moyenne montagne, certain·es découvrant la neige pour la première fois de leur vie à Montgenèvre. Et, dans un second temps, iels sont mis·es en danger par les pratiques illégales de la police assumant chaque jour un peu plus son racisme décomplexé, tel que les chasses à l’humain, courses poursuites ou embus-cades décrites plus haut.
Par ailleurs, les personnes passant la frontière manquent toujours cruellement de matériel, que ce soit du matériel de montagne (manteaux et pantalons de ski, gants et bonnets, sacs à dos et thermos, raquettes et guêtres), mais également de téléphones pour se repérer en montagne et éventuellement appeler les secours, ainsi que de vêtements de ville pour pouvoir continuer leur route en France.
D’après ce que les exilé·es arrivant en France nous racontent, iels sont actuellement accueil-li·es en Italie dans un refuge à Oulx ou dans un squat à Cesana, ouvert en juillet par des militant·es No Border.
La grande maraude de mars 2022
Il me tenait également à cœur, pour finir sur une note positive, de vous raconter la grande maraude qui a eu lieu à Briançon le soir du samedi 12 mars 2022, appelée par l’Association Tous Migrant·es et relayée par différents collectifs solidaires de la région. Ce soir-là, pas moins de 300 personnes étaient rassemblées devant les locaux de la PAF, dans l’espoir de visibiliser la situation alarmante de cette frontière.
Pendant les prises de paroles, quelque 200 mètres sous les locaux de la PAF en direction de l’Italie, des militant·es remarquent qu’une interpellation est en cours. C’est alors que spontané-ment, un groupe converge vers le véhicule de police dans lequel les personnes sont d’ores et déjà enfermées. Mais les solidaires décident de ne pas laisser une énième interpellation se produire sous leurs yeux. Ce soir-là, nous étions nombreux/ses, et le rapport de force était en notre faveur. Sans violence, les militant·es les plus aguerri·es parviennent à faire sortir les personnes interpellées du véhicule de police. Après leur avoir expliqué la situation, ces hommes et ces femmes nous demandent de les descendre à Briançon. Un cortège se forme alors autour de ces êtres dont l’État considère qu’iels n’ont pas les bons papiers, et ce sont bientôt 300 corps qui se regroupent autour d’elleux pour faire barrage aux exactions de la police. Après les avoir mis·es en sécurité dans la voiture de Médecins du Monde, un cortège d’une vingtaine de voitures se forme et prend la direction de Briançon. À la sortie de Montgenèvre, un barrage de la gendarmerie arrête le convoi, en indiquant vouloir contrôler l’intégralité des voitures. Rapidement, la décision est prise: le con-trôle sera refusé collectivement. Pendant que les militant·es les plus déterminé·es tiennent tête à la gendarmerie qui menace de dresser des contraventions pour divers motifs fallacieux, le cortège soutient. Après l’arrivée sur les lieux d’un gradé de la gendarmerie et de rapides négociations, le cortège pourra descendre à Briançon sans se faire contrôler.
La soirée continue ensuite, et des petits groupes se forment pour aller arpenter les pistes de la station de ski, dont l’ambiance , comme chaque nuit, change radicalement, dans une étrange alternance entre symbole du tourisme de luxe et le désastre humanitaire criant. À nouveau, un groupe de maraudeur·euses rencontre un groupe d’exilé·es tout juste arrivé·es en France.
Rebelote: les personnes sont informées de la situation, demandent à être descendu·es à Briançon, montent dans la voiture de Médecins du Monde, escortée par une foule piétonne jusqu’à la sortie de Montgenèvre. Cette fois, c’est un cortège d’une cinquantaine de voitures qui se forme pour accompagner la voiture jusqu’au refuge de Briançon. Nouveau barrage de la gendarmerie, nouveaux refus collectifs du contrôle. Des militant·es entendront des gendarmes exprimer leur désir de «tabasser ces gauchistes de merde» pour les citer, mais encore une fois, à l’arrivée du gradé, le cortège peut repartir sans se faire contrôler. Une belle victoire!
Cette soirée a redonné de l’énergie à toutes les âmes qui donnent régulièrement de leur temps ici pour sillonner la montagne, malgré les entraves de l’État, alors que ce devrait être son rôle de porter assistance aux personnes qui arrivent en France, en espérant y trouver un monde plus beau que celui qu’iels ont dû quitter. Bien sûr, tout le monde sait qu’il est impossible de réunir chaque soir 300 personnes à la frontière pour réaliser la petite prouesse de tenir tête à la police, mais cela aura permis de rappeler à tout·e un·e chacun·e que la frontière n’est qu’une ligne invisible et qu’à tout moment, il est possible de l’effacer, ne serait-ce qu’un instant.
À bas les frontières et celleux qui s’acharnent à les protéger!
Guillaume Tellier Membre FCE France
- https://archiv.forumcivique.org/fr/artikel/migration-frankreich-ueber-berge-und-grenzen/
- https://basta.media/police-racket-violence-sur-mineur-detournement-de-fonds-publics-refugies-proces-PAF-Montgenevre
- https://www.infomigrants.net/fr/post/42240/le-conseil-detat-valide-le-retablissement-des-controles-aux-frontieres-interieures-francaises