FRANCE / ÉCOLOGIE: L'éolien, c'est du vent! Réflexion sur l'éolien industriel et son monde

de Soulèvements de l'air, 7 nov. 2024, publié à Archipel 341

L’inter-collectif Les Soulèvements de l’air regroupe 12 collectifs engagés sur les communes de Louargat, Loguivy-Plougras, Lanrivain, Magoar, Glomel, Trémargat, St Adrien, Bourbriac, Plounévez-Moëdec, Kerpert, Kérien, Bulat-Pestivien et Pont Melvez (près de 200 adhérents). Les désirs mortifères d’imposition d’éoliennes géantes rencontrent désormais la détermination de la population locale qui entend montrer une ardente et indocile résistance sur ce dossier. Les collectifs dénoncent de multiples impacts économiques, paysagers, écologiques, sanitaires et la démesure d’un réseau d’infrastructures pour produire une énergie qu’on prétendait verte à l’origine. Première partie.

Ces machines, issues d’industries extérieures à nos lieux de vie, sont élevées au mépris de la concertation des populations locales et des règles de base de la démocratie. À l’interrogation «Comment peut-on être à la fois contre le nucléaire et contre l’éolien, sans “revenir à la lampe à huile”[1]?», nous répondons que ni l’une ni l’autre de ces technologies autoritaires ne répondent à une demande de la population locale. Elles émanent d’un modèle économique en expansion infinie, sur une planète finie. Nous retournons la question: qui sont les producteurs d’électricité? Quels sont leurs objectifs, leurs «agendas»? Qui en tire le plus de profits et qui détruit la planète? Et surtout, question cruciale: qui a inventé la trottinette électrique? L’idée directrice est ici de contribuer à une critique du techno-solutionnisme, cette lubie de régler par l’innovation technique des problèmes crées par des techniques antérieures. Nous n’irons donc pas ferrailler sur le terrain technique, ce serait verser de l’eau au moulin de cet imaginaire d’un autre temps, du temps d’avant.

En renversant la problématique, Les Soulèvements de l’air entendent poser la centralité de la question énergétique dans le contexte de dérèglement climatique. Nous invitons à une réflexion qui poserait les bases d’une société conviviale, sobre, autonome en accord avec les fragiles équi-libres de la planète que nous habitons et partageons, en toute intelligence, avec l’ensemble du vivant. Nous infléchissons nos courbes, nous réfléchissons sans courber. Nous faisons un pas de côté et nous réapprenons l’équilibre. L’équilibre démocratique direct, entre humains. L’équilibre écologique, entre êtres vivants. À l’horizontale. Et non vertical, comme un moulin de métal.

Les énergies vertes, la nouvelle colonisation des campagnes

Nous incriminons la nouvelle forme de colonisation éolienne, au profit de multinationales étrangères à la région, et pointons la duplicité des pouvoirs publics (l’État, les collectivités lo-cales Guingamp Paimpol Agglomération, Lannion Trégor Communauté, Communauté de Com-munes du Kreiz Breizh) qui prétendent à longueur de plaquettes de communication: «Renforcer l’attractivité du territoire», «Viser l’excellence environnementale, un atout majeur de valorisation et d’amélioration du cadre de vie», «De l’Armor à l’Argoat, une diversité de paysages à requali-fier», «Gérer les espaces de biodiversité», «Maîtriser l’artificialisation des sols»[2]. C’est beau la poésie de bureau! De la buroésie… Cela ne va pas sans poser la question du financement des institutions publiques par la manne privée, elle-même rondement récompensée en retour de son «soutien» financier. Collusion? Ruse du capital ou tour de passe-passe du libéralisme d’État?

Sortie des bureaux... la réalité. En 2023, 127 éoliennes jalonnent les sommets des collines du centre Bretagne dans un périmètre de 30 kilomètres de rayon autour de Bourbriac. À terme, dans les désirs les plus ténébreux des promoteurs, ce sont 208 tours de métal qui devraient barrer nos horizons… Du pur colonialisme technologique: aucun emploi local, aucune retombée d’argent pour la population, si ce n’est des miettes pour une poignée d’individus (propriétaires et usagers des terrains où sont montées les éoliennes), pour les communes et les communautés d’agglomération.

Face au tissu de déclarations verbeuses du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) qui ne semble étouffer aucun technocrate, qui veut encore avaler les couleuvres du capitalisme vert et de son ravalement de façade, qu’on le nomme «écoblanchiment» ou green washing?

De nombreuses industries «sales» car polluantes sont sommées par le protocole de Kyoto de respecter une limitation des émissions de carbone et de gaz à effet de serre. «Cette limite ne signifie pas que les entreprises sont obligées de polluer moins; au contraire, elle peuvent polluer au-delà des limitations, à condition de compenser ce dépassement par l’acquisition de “crédits carbone”. Il existe plusieurs manières d’obtenir de tels crédits: en les achetant sur un marché international (ce qui fait office de sanction), en investissant dans des zones naturelles protégées (c’est à dire en plantant des monocultures d’eucalyptus et en pratiquant une coupe à blanc une fois les arbres à terme) ou… en investissant dans des énergies supposément vertes comme les éo-liennes!»[3]

L’industrie éolienne est une manne pour les multinationales qui viennent se racheter leur virginité dans nos campagnes désertées: «les crédits carbone qu’elles obtiennent en les construisant leur permettent de se mettre en conformité avec la réglementation internationale sans réduire, et même en augmentant leurs pollutions. (…) Elles peuvent même revendre leur surplus de crédits carbone. (…) L’effet soi-disant escompté s’inverse, les crédits carbone, bien loin d’inciter à la retenue, génèrent de l’activité industrielle et ouvrent des droits supplémentaires à polluer.»[4]

Terre de résistance face à la prédation internationale

Le capitalisme est un prédateur dont la soif du gain ne s’épanche jamais. Hier, il voulait se payer notre sous-sol à des fins extractivistes pour alimenter en minerais l’économie. L’opposition a montré à l’industrie minière que la population locale était déterminée à ne pas vendre la terre à des pillards étrangers[5]. Aujourd’hui, le front des oppositions au projet d’usine à saumon (8000 tonnes de saumon/an à Plouisy, nord de Guingamp) a mis un premier coup d’arrêt au projet[6].

Dans le cas de l’éolien industriel, on sacrifie les terres du Kreiz Breizh («centre Bretagne» dans la langue autochtone), réduites à des réserves d’indien·nes subalternes et méprisé·es, au nom du tourisme littoral, du développement urbain ainsi que des pôles industriels au Nord et au Sud. Le pays est – encore – apprécié pour ses paysages bocagers moins impactés qu’ailleurs par la tenta-culaire métropole.

L’imposture de la «transition énergétique»

La «transition énergétique»7 est une imposture. On assiste en réalité à une «transition vers une économie 3.0» pour alimenter une nouvelle croissance et créer de nouveaux marchés juteux pour la finance mondiale. La production d’énergie par l’éolien s’insère dans un processus d’accumulation énergétique. Énergie fossile, énergies éolienne et solaire, hydrogène… L’économie doit être alimentée par la complémentarité et par le maximum de diversité de production d’énergie. Comme l’a dit Luc Oursel, ex-président du directoire d’Areva, le nucléaire et le renouvelable sont «deux alliés naturels».

De plus, partout où l’éolien ou le solaire ont pris une place importante dans le mix énergétique, on a assisté à une dépendance accrue aux énergies fossiles de manière à contrebalancer la four-niture d’énergie imprévisible et irrégulière de ces sources d’énergie.

La densité des parcs éoliens industriels du centre Bretagne a amplement dépassé des besoins locaux en énergie électrique. Une seule éolienne d’une puissance de 2 MW fournit une population de 800 foyers. 10 éoliennes suffiraient à fournir l’équivalent de la population des anciens cantons de Callac et Bourbriac. Le projet de 200 éoliennes du Kreiz Breizh alimenterait donc 160.000 foyers, hors industrie.

Signe de l’industrialisation des campagnes, ces projets s’inscrivent dans la lignée de la multiplication des méga-projets agricoles et de l’accroissement permanent de la consommation d’énergie: fermes de 1000 vaches, poulaillers de 120.000 poules, usine à saumon de Plouisy, etc. De même, la mine d’andalousite de Glomel (Damrec) consommerait autant d’électricité que l’agglomération de Guingamp.

Ravages de l’industrialisme en bocage

Sur le site éolien de Gwerginiou / Kerdavidou à Bourbriac, en construction en 2023, le constat est glaçant: le chantier a englouti des dizaines d’hectares pour laisser la place à des pistes em-pierrées pour l’acheminement des engins en rase campagne et des plateformes de béton pour ériger les mâts. Deux collines sont littéralement défigurées au détriment de la faune et de la flore du lieu. Le site, pourtant classé à fort enjeu pour les chauves-souris (populations nombreuses; pré-sence d’espèces protégées), a reçu l’aval des autorités.

Que pèse le vivant face à de tels investissements financiers? À la bourse du vivant, les actions «chauve-souris» et « faucon pèlerin» sont en hausse (du fait que les populations sont en chute). La novlangue de nos green technocrates ne raisonne le rapport au vivant qu’en termes aberrants de compensation écologique, de services écosystémiques et on réfléchit intensément à la cotation en bourse de la biodiversité.

En août 2022, un incendie se déclare dans la nacelle d’une éolienne à Bourbriac. Ce type d’accident n’est pas rare, bien qu’il soit systématiquement minimisé par les fabricants. Ces parcs éoliens sont des installations industrielles et, de fait, il s’agit d’accidents industriels, aux conséquences graves sur les plans sanitaire et écologique. Les fumées noires dégagées par la combustion toxique de multiples composantes ont libéré des dioxines, des PCB et des furanes, perturbateurs endocriniens et cancérigènes. Depuis, silence total sur les conséquences pour le pays (humains, élevages, faune et flore, cours d’eau confondus). À ce jour, les causes du sinistre demeurent inexpliquées. Le chandelier industriel cancérigène a été remplacé en 2023 et d’autres moulins électriques continuent de se monter. Le progrès ne se conjugue pas au futur de précaution.

L’évènement est symboliquement chargé: le mât qui a brûlé est situé dans le champ-même de la source du Léguer et à proximité de celle du Blavet. L’eau, source de la vie, ne goûte pas la saveur du progrès technique en Bretagne, en ces temps ultra-modernes. En août 2023, une éolienne s’effondre en Allemagne. 6 autres effondrements ont été enregistrés en Allemagne depuis 2005. En France, dans le Loiret, et au Pays de Galles, on déplore de pareils événements. Ces accidents technologiques sont une cinglante remise en cause du principe d’«énergie renouvelable». Les moulins à vent de la techno-industrie sont des instruments du désastre planétaire, et non une tech-nique douce au service d’une énergie verte. «Énergie verte», le doux oxymore…

kreizy Lors, pour les Soulèvements de l’air

  1. Allusion à la pirouette humoristique à l’intention de ses «Amish» par E. Macron, porte-parole autoproclamé de la Start-up Nation et consacré meilleur VRP 2023 des écotechnologies (éolien industriel, photovoltaïque…).
  2. Extraits du PLUI de Guingamp Paimpol Agglomération, 2023.
  3. «Plaidoyer contre les éoliennes industrielles», l’Amassada. Douze.noblogs.org
  4. Ibid.
  5. Allusion à la lutte contre les mines et l’extractivisme dans le pays de Belle-Isle-en-Terre, Silfiac et Merléac, 2014 – 2016, menée par les collectifs Douar Didoull, Atten-tion Mines et Vigil’Oust.
  6. https://douriou-gouez.fr/?Actualites.
  7. J. B. Fressoz «En 2020, les énergies fossiles occupaient 80 % du mix énergétique, soit la même part que trente ans auparavant», Le Monde 08 juin 2022. P. Mouterde «Malgré une croissance re-cord des renouvelables, la transition énergétique n’a pas lieu», Le Monde 15 juin 2022.