FRANCE / ZAD: A69 - les dernières "écureuils" expulsées, la zad n'est plus

de Antoine Berlioz, Reporterre, 8 nov. 2024, publié à Archipel 341

Il n’y a plus d’écureuils dans les arbres. Le 7 octobre, la gendarmerie a expulsé les dernier·es oppo-sant·es de la zad du Verger, l’ultime bastion de résistance sur le chantier de l’A69. Quinze militant·es ont été interpellé·es.

«Lâchez-moi, lâchez-moi!» Accrochée à la branche de son noyer, Lisa employait ses dernières forces, lundi 7 octobre au matin, pour résister aux forces de police qui tentaient de la déloger de son arbre. Repoussés à une centaine de mètres, plusieurs photographes mitraillaient la scène avec leurs imposants objectifs. Perchée dans sa cabane depuis trois semaines pour empêcher les travaux de l’autoroute A69, comme quatre autres de ses camarades surnommé·es les «écureuils», Lisa était désormais agrippée par le lieutenant-colonel Llosa et un membre du PSIG (Peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie), à plusieurs mètres du sol. Les deux hommes, non sécurisés, négociaient avec Lisa, toujours harnachée dans son baudrier.

L’opposante à l’A69 a fini par descendre, acculée par la gendarmerie, elle-même bien aidée par les ouvriers du concessionnaire NGE-Atosca. Depuis vendredi 4 octobre, ces derniers construisaient, avec leurs pelleteuses, bulldozers et camions bennes, une énorme butte en terre pour arriver au niveau des cabanes, perchées à une dizaine de mètres du sol.

Lundi 7 octobre, ce monticule arrivait quasiment au niveau des écureuils, permettant l’intervention des gendarmes. Sur une vidéo consultée par Reporterre, alors que les camions bennes déversent de la terre au pied des arbres, une écureuil interpelle les ouvriers: «Vous allez nous enterrer là!», et l’un d’eux répond d’un ton cynique sous son casque de chantier: «C’est le but.»

Le soir même, les deux derniers noyers qui empêchaient la poursuite du chantier de l’autoroute A69 étaient vidés de leurs occupant·es, les troncs recouverts d’une imposante butte de terre. Ils seront abattus dans les prochains jours et les engins du concessionnaire pourront terrasser ce terrain, qui abritait il y a peu une centaine d’arbres, un riche écosystème et une maison où logeait une famille. Les autres opposant·es, qui étaient réuni·es depuis le 20 septembre en soutien sur un terrain attenant au «Verger», ont dû partir aussi. La zad du Verger n’est plus.

Des écureuils affaiblies par le manque de nourriture

Près de la route départementale qui borde ce terrain à une vingtaine de kilomètres de Toulouse, le colonel Stéphane Dallongeville, qui dirigeait les opérations sur place, a précisé à Reporterre que «ces buttes de terre nous ont permis de faire descendre les écureuils, c’était une sécurité en plus».

Un peu avant 18 heures, les cinq dernières écureuils étaient tou·tes descendu·es de leurs arbres, et deux d’entre elles étaient placées en garde à vue pour avoir refusé de donner leur identité. «On était extrêmement affaiblies», a raconté Lisa à Reporterre peu après sa descente. «Depuis vingt jours, on était à environ 900 kilocalories par jour, on se rationnait.» 2100 calories sont recom-mandées en moyenne par jour pour les femmes. Maigre consolation: les boules de nourriture que les militant·es au sol arrivaient parfois à leur envoyer à l’aide de lassos (des bolas).

Dans son dernier rapport, la Ligue des droits de l’Homme Midi-Pyrénées a vivement critiqué cette stratégie «d’attrition», puisque les forces de l’ordre limitaient très fortement le ravitaille-ment des écureuils en nourriture pour les obliger à descendre.

Lisa et ses quatre camarades ont dû également faire face aux nombreuses interventions de la Cnamo, cette cellule de la gendarmerie spécialisée dans les opérations périlleuses, qui a échoué, malgré l’appui d’une nacelle, à faire descendre les écureuils. «Ce qui nous a fait tenir, c’est le soutien au sol», confiait Lisa, visiblement exténuée par ces trois semaines de siège policier.

Lundi 7 octobre, un peu avant 8 heures, une ordonnance délivrée par le tribunal administratif de Toulouse, à la demande du préfet de Haute-Garonne, a permis aux gendarmes d’expulser tou·tes les opposant·es au sol. Treize personnes ont été placées en garde à vue à la suite de cette opéra-tion. «L’expulsion sollicitée présente un caractère d’urgence et d’utilité et ne se heurte à aucune contestation sérieuse», affirme le tribunal administratif dans sa décision.

Assommée par la fatigue mais heureuse d’avoir tenté de sauver ces derniers arbres, Lisa ne sa-vait pas encore comment allait s’articuler la lutte contre l’A69 désormais. «On est enthousiastes pour la suite», disait un opposant à l’autoroute. «Il y a de nombreux procès à venir, et il y a plein de nouvelles choses à imaginer pour contrer ce projet.»

Antoine Berlioz, Reporterre