Cet article a été écrit par Helmut Dietrich, du FFM (Centre de recherches sur la fuite et les migrations) de Berlin (www.ffm-berlin.de), en février 2004. L’Union Européenne s’est entre-temps élargie. Peu avant l’entrée des nouveaux membres, des gens de différents pays de l’Est se sont réunis avec les organisateurs de la conférence NEURO de Munich à Varsovie. Leurs réflexions portaient sur l’organisation, pour l’été 2004, d’un «No-border Tour» le long des nouvelles frontières extérieures de l’Europe.En mai 2004, l’Europe centrale, la périphérie historique, rentre dans l’Union Européenne. A l’Est et au Sud-Est, les nouveaux membres s’arment de polices des frontières. Les nouveaux camps sont situés sur les zones frontières de l’Europe élargie. 1
Internements en Hongrie et en Pologne
La Hongrie de l’Est est désormais à la frontière extérieure de l’UE.
Le 23 septembre 2001, deux semaines avant l’attaque de l’Afghanistan par les USA, le ministère de l’Intérieur hongrois internait des demandeurs d’asile afghans dans un camp de la ville de Debrecen, à quelques kilomètres de la Roumanie. 812 Afghans furent ainsi rassemblés, puis la police des frontières verrouilla le camp et y consigna ses habitants pour un temps illimité. Les internés protestèrent dans un appel : «Nous espérions une protection (de la Hongrie), mais on nous a jetés en prison. Nous avons échappé à la prison (des Talibans) et nous revendiquons la liberté !» Après deux semaines de détention arriva une nouvelle directive du gouvernement : tous les Afghans doivent quitter Debrecen pour l’ancienne base militaire de Kalocsa, à l’intérieur du pays. Mais une partie de la population de ce village s’y opposa. En effet, à proximité se trouve l’unique centrale nucléaire de Hongrie et puisque, comme chacun sait, les Afghans sont dangereux, «on» craignait un acte de destruction massive. Finalement, vu l’ampleur du mouvement de protestation, le gouvernement renonça à ce projet de transfert des Afghans.
En Pologne orientale c’est la région de Podlaskie qui est située à la frontière entre l’UE élargie et la Biélorussie. La plupart des réfugiés qui demandent l’asile en Pologne et ont besoin d’un logement sont, une fois enregistrés à Varsovie, transférés vers un camp en Podlaskie. Presque tous les camps de réfugiés polonais se trouvent ici, dans le voisinage immédiat d’endroits de sinistre mémoire comme Jedwabne où les envahisseurs allemands et leurs collaborateurs assassinèrent la population juive. La Podlaskie est peu peuplée ; de grandes étendues de son territoire ont, depuis plusieurs dizaines d’années, servi de terrain d’entrainement à l’armée. En 2002/2003 on pouvait encore constater que l’héritage militaire persistera encore longtemps : le sol est en partie miné ; là on trouve des restes de munitions, ailleurs la terre est polluée par la chimie. Selon le service du rapatriement et des étrangers, 300 réfugiés, presque tous Tchétchènes, ont être internés sur la base militaire de Tcherwonie Bor à partir de fin février 2003. Mais peu de temps après, il y eut un scandale: en avril 2003, entre 250 et 600 Tchétchènes ont fui la Pologne, franchissent illégalement la frontière tchèque. Nombre d’entre eux cherchaient asile dans le pays voisin. S’il est vrai que les Tchétchènes n’ont, là non plus, pratiquement aucune chance de se voir attribuer l’asile, par contre ils n’y sont menacés ni d’expulsion immédiate vers la Fédération de Russie, ni d’internement car, comme on le sait, la Tchéquie ne se trouve à aucune frontière extérieure de l’UE.
Dans l’agenda de la rencontre des ministres polonais et tchèques d’avril 2003 figurait la question de savoir comment éviter ce genre d’événements à l’intérieur de l’Union Européenne.
Ces internements sont-ils en relation avec la politique des camps et la politique d’asile de l’UE élargie ? Constituent-ils des phénomènes exceptionnels ou bien des signes avant-coureurs ? Ont-ils un lien avec le projet actuel d’examen de la demande d’asile avant l’arrivée dans l’UE ainsi qu’avec le projet d’interception des candidats à l’asile et des sans-papiers dans des camps aux frontières extérieures de l’UE ? En tout cas, on peut affirmer que la détention collective d’Afghans et de Tchétchènes mentionnée ici n’est pas le résultat de mesures prises au hasard par des fonctionnaires nationaux maladroits.
Car la Pologne et la Hongrie, en comparaison avec les autres nouveaux membres, disposent de la plus grande expérience en matière de politique des étrangers. En effet, depuis 1990/91, ces deux pays adhèrent au plus près à la politique européenne dans ce domaine.
De plus, l’Union Européenne a, de 2001 et à l’année 2006, pris en charge à titre provisoire au sens large la politique de camps et d’asile dans les pays candidats. A chaque poste administratif important ont été proposés des conseillers des Etats membres de l’UE. En 2001, pour la seule Hongrie, 150 postes supplémentaires de conseillers et de fonctionnaires de liaison ont été pourvus pour le secteur asile/frontières extérieures/expulsions. Depuis 2001, la mise en place de camps, l’armement des nouvelles frontières extérieures et le déplacement de troupes de polices des frontières dans les pays candidats ont bénéficié d’un généreux soutien financier de l’UE. Le programme PHARE 2 assume la responsabilité de la plupart des projets.
En outre, les internements en Hongrie et en Pologne avaient été précédés de campagnes contre les exodes massifs à partir de l’Afghanistan ou de la Tchétchénie, considérés comme particulièrement indésirables. Ceci pour plusieurs raisons : d’après les statistiques sur les demandeurs d’asile, les réfugiés d’Afghanistan, d’Irak, d’ex-Yougoslavie et depuis 2003 de Tchétchénie constituent les plus grands groupes et ceci aussi bien dans les pays candidats que dans l’ensemble des pays industrialisés. En chiffres absolus, ces informations ne disent pas forcément grand-chose. Il se peut qu’il n’y ait dans les nouveaux pays membres que quelques milliers de personnes appartenant à ces groupes donnés et, de toute façon, la plupart d’entre eux veulent rejoindre l’Europe de l’Ouest. Une lecture critique de ces données statistiques s’impose: elles ne prennent pas en compte l’envergure des émigrations forcées ni précisément les régions d’émigrations les plus marquantes du monde. Ceux qu’elles recensent sont plutôt majoritairement les personnes «tolérées», réfugiés de fait, qui ne peuvent pas obtenir de titre de séjour, mais qui en principe ne doivent pas être expulsées. Les réfugiés ayant obtenu le droit d’asile ne représentent qu’une minorité dans ces statistiques. Apparemment, la seule existence de ces «non-expulsables» indésirables est une provocation pour le nouveau régime des Etats, et elle suffit à justifier la délimitation de frontières extérieures autour des Etats industriels et la distinction faite parmi les gens qui arrivent entre les immigrants utiles et les expulsables. Ces flux de réfugiés démontrent que la division du monde selon laquelle il y aurait ici les pays industriels, là-bas les continents pauvres, reliés uniquement par des zones de passage contrôlées, n’est, même avec beaucoup d’efforts, pas réalisable.
En clair, cela signifie que les ministres de l’Intérieur hongrois et polonais ont, sous la soi-disant menace d’un exode massif, fait interner certains groupes de réfugiés aux nouvelles frontières extérieures de l’UE, et que cela n’aurait pas pu se passer sans la complicité des instances européennes. Les réfugiés arrêtés viennent de régions où les puissances dominantes de ce monde mènent des guerres.
Qu’est-ce qu’un camp-frontière ?
Pourquoi est-il important de prendre en considération la future politique des camps aux frontières extérieures de l’Union Européenne ? Ne pourrait-on pas tout simplement rattacher ces événements à l’univers courant des camps déjà existants de l’UE ? La notion de «camp» n’est-elle pas assez élastique, si nous prenons la définition au sens large – des foyers dans les grandes villes jusqu’aux établissements fermés dans les bois de Thuringe ?
Il y a des raisons qui plaident en faveur d’une définition exacte:
Dans les camps de rassemblement en Hongrie et en Pologne, on a amené des demandeurs d’asile de tout le pays. Là germe en filigrane l’idée de pouvoir ramener tous les demandeurs d’asile à la frontière. Les requérants d’asile ne seraient, désormais, pas seulement soumis à une attribution de domicile d’office et à une assignation à résidence, comme c’est le cas en Allemagne, mais encore à une expulsion à l’échelon national. Le processus «d’illégalisation» d’individus prendrait une forme encore plus rigoureuse et plus absurde.
Les personnes qui sont amenées dans ces camps peuvent perdre leur statut déjà précaire dès qu’elles quittent ces lieux, soit pour faire des courses, soit pour rendre visite à leur avocat. Car dehors, l’exécutif d’expulsion attend : les polices des frontières bénéficient dans les régions frontalières de pouvoirs spéciaux qui leurs permettent, par exemple, lorsqu’elles y arrêtent un réfugié, de l’expulser sous 48 heures. Dans ce court délai, il n’est pas besoin de faire appel à un juge d’application des peines. Ces refoulements, à la réputation redoutable, ont la même définition dans l’UE comme chez les nouveaux membres. Ce système du refoulement présuppose que le pays voisin soit un «pays-tiers sûr». En ce moment, l’Europe élargie s’interroge pour savoir si elle peut définir son nouveau voisinage comme une ceinture de «pays tiers sûrs».
Ces camps d’internements sont géographiquement très éloignés de l’opinion publique critique de l’Europe de l’ouest
Les détentions de Debrecen et de Czerwony Bor ont été opérées sans base juridique. C’était des mesures contraires à la loi.
On ne sait pas vraiment jusqu’à quel point ces contrées sont encore militarisées ou le redeviennent. L’installation de camps-frontières signifie que l’on cherche à empêcher l’entrée dans l’UE des réfugiés et immigrés indésirables et qu’un destin hautement improbable les attend, s’ils venaient à être expulsés par des moyens policiers dans les pays voisins, la Biélorussie et la Roumanie, puisque les autres pays frontaliers n’offrent, comme on le sait, aucune protection officielle aux réfugiés. Les refoulements vers ces deux pays se déroulent presque totalement en cachette. Quand l’UE construit une ceinture de camps précisément à ces frontières, la question de savoir comment les refoulements hors de l’UE élargie pourront garder une apparence de légalité reste ouverte. Le gouvernement allemand s’engage avec véhémence pour une nouvelle réglementation concernant les «pays tiers sûrs». D’autres pays européens et le HCR sont contre. En bref, l’extra-légalité et l’extra-territorialité, qui ont tendance à caractériser tous les camps, menacent avec les camps-frontières d’acquérir une nouvelle qualité.
ZABH Eisenhüttenstadt – un camp-frontière en Allemagne
Il n’y a pas de camp de réfugiés sur l’ancienne frontière extérieure de l’UE, à quelques rares exceptions près. L’une d’entre elles est le ZABH 3, l’organisme d’enregistrement du Land du Brandenbourg, à Eisenhüttenstadt. Le camp est entré en fonction trois mois après la «réunification allemande». La police des frontières (BGS) encerclait le ZABH : lorsqu’ils voulaient entrer ou sortir de là, les réfugiés risquaient l’arrestation et l’expulsion immédiate vers la Pologne. En effet, le camp-frontière est situé dans une zone frontalière de 30 km de large depuis laquelle la BGS «refoule» immédiatement les réfugiés emprisonnés vers le pays voisin. Quelques mois à peine après son ouverture, le camp fut enceint de fils de fer barbelés. En août et septembre 1992, de jeunes provocateurs s’attroupèrent à plusieurs reprises devant le camp pour lancer des injures et des insultes aux réfugiés. La ville d’Eisenhüttenstadt est devenue, entre autre pour cette raison, une zone interdite de fait aux réfugiés.
A partir d’avril 1993, le ZABH fut relié au système allemand de camps: les nouveaux arrivants y sont depuis lors seulement enregistrés, selon le code de répartition informatique fédéral (système d’enregistrement EASY) pour être ensuite répartis dans d’autres camps de la République Fédérale. Grâce à ce système, la menace de refoulement est un peu conjurée car, lors d’un contrôle policier à l’extérieur, les réfugiés ne peuvent plus être soupçonnés d’être rentrés illégalement par la Pologne. Mais dans les camps se sont établies différentes autorités et les techniques d’expulsion sont intégrées dans la gestion même des camps : la BGS tient là un bureau, au sein duquel elle enregistre les réfugiés et traite les données anthropométriques. A côté du bâtiment d’enregistrement, a été construit, sur le même terrain, le centre de rétention. Au ZABH, les brimades font encore partie, jusqu’à ce jour, du quotidien. Il y a un an, des rapports faisant état de mauvais traitements sytématiques et de l’existence de dispositifs d’enchaînement des prisonniers ont été rendus publics.
Deuxième partie dans le prochain numéro
Il n’est pas ici tenu compte de Malte et Chypre
PHARE, à l’origine pour «Pologne- Hongrie: Assistance à la Restructuration Economique»
Zentrale Erstaufnahmeeinrichtung für AsylbewerberInnen (Centrale d’enregistrement des demandeurs d’asile)