Ce voyage à la découverte de ce que certains ont appelé le «miracle andalou» nous a permis de voir concrètement ce que pouvait devenir une petite région agricole intégralement soumise aux politiques ultra libérales et à l’industrialisation des systèmes de production: un univers concentrationnaire!
Hormis une mer de plus de 30 000 hectares de plastique, il n’y a plus rien qui ressemble à un paysage naturel enrichi par le travail des paysans. Plus d’arbres, plus d’oiseaux, plus d’insectes. Seule la présence d’abris de fortune isolés ou de bidonvilles «aménagés» collectivement signale la présence de travailleurs, fantômes dans cet univers confiné, souvent parmi les déchets plastiques.
Cette concentration de la production légumière implique une concentration de pesticides et produits phytosanitaires multiples, une concentration d’une main-d’œuvre très importante pour les cueillettes et conditionnements, le tout sous la domination de la distribution elle-même concentrée sur place. On est face à une réelle catastrophe économique, sociale et écologique. Les paysans sous la domination directe de la grande distribution n’ont plus de moyens de fixation du prix de leur travail et alors, salaires, conditions de logement, protection sociale, politique de santé et de prévention des risques, statut du salarié, droits du travail deviennent «logiquement» la variable d’ajustement pour tenter de maintenir un revenu. A cela s’ajoute une gestion de cette situation délibérément discriminatoire, violente et raciste envers l’immense majorité des travailleurs, saisonniers ou non, d’origine nord africaine ou sub-saharienne. Une gestion coloniale de la main d’œuvre migrante, souvent clandestine, sans papiers, s’est instaurée, encouragée par les autorités locales qui ne se dotent d’aucun moyen de contrôle du respect des droits du travail et des droits de l’homme. Il faut souligner la difficulté de la tache syndicale qui incombe au SOC. Syndicat d’ouvriers agricoles, de sans terre, de sans droits, à l’origine essentiellement espagnols, le SOC se trouve confronté à une situation «nouvelle», à des travailleurs immigrés, en désherence, attirés par un mirage industriel, sans repères politiques ni traditions de lutte syndicale, qui savent très bien que s’ils n’acceptent pas les conditions imposées par les patrons, il y aura toujours quelqu’un de plus pauvre, de plus misérable qui les acceptera et que de toute façon, ils n’ont pas d’autre endroit où aller... Il faut remettre de la solidarité, de la politique au milieu de cette déshumanisation et le travail du SOC est à cet endroit remarquable.
Plusieurs axes de travail sont maintenant clairs et acquis pour la Confédération paysanne:
Communiquer et alerter l’opinion et les consommateurs sur la réalité des conditions d’élaboration de ce type de produits consommés hors saison.
Alerter les paysans et les populations des Pays d'Europe Centrale et Orientale sur leur avenir très proche si l’orientation de la politique agricole restait celle d’aujourd’hui et si le principe de souveraineté alimentaire n’était pas inscrit dans la constitution. La population agricole va être laminée par le rouleau compresseur libéral et les petits paysans encore très nombreux vont se retrouver rapidement dans une situation de précarité identique à celle des travailleurs africains immigrés en Andalousie ou ailleurs, majoritairement issus eux aussi du milieu agricole.
Affiner nos analyses sur les alliances à nouer pour lutter contre cette politique agricole et vaincre la soumission à l’idéologie du tout industriel. La distribution n’a pas d’états d’âme. Demain elle investira ailleurs, là ou les coûts seront moindres. Nous ne pouvons pas, en utilisant ce prétexte, et en affirmant vouloir défendre des acquis qui ne sont pas démocratiques, défendre en Europe le maintien de telles politiques.
Dans l’immédiat, la Conf a pris deux décisions:
Invitation du SOC à notre Congrès à Strasbourg en avril, où seront présentes plusieurs délégations de paysans européens et futurs européens. Son témoignage, montrant les méfaits de ce type d’agriculture sur ses travailleurs est capital. Ainsi pourra se mettre en place un processus de collaboration syndicale étroit et durable.
Création d’une commission nationale de travail sur les problèmes d’exploitation de la main-d’œuvre, de migrations et d’immigration.
Les travailleurs, à Almeria et dans d’autres zones d’agriculture industrielle sont en situation de faiblesse, de soumission, de risques multiples. Commencer à oser lutter, fédérer les énergies est particulièrement difficile dans ce milieu. Nous pouvons participer efficacement à la dénonciation de cet état de fait pour que le droit à la résistance, l’esprit de révolte et l’envie de faire changer les choses prennent le pas sur la résignation.