Décidément, les choses ne s’arrangent pas à El Ejido, centre andalou de la production industrielle de fruits et légumes sous serre. Les informations récentes fournies par nos amis du SOC (Syndicat des ouvriers agricoles) confirment la généralisation de la xénophobie, tant au niveau de la population locale que des autorités municipales.
A la série d’agressions perpétrées dans cette ville depuis août 2003 contre des ouvriers marocains, évoquée dans notre numéro de février dernier 1, il faut désormais ajouter les agissements violents de la police municipale qui ont augmenté ces derniers mois.
Par exemple, le 5 mai, deux policiers municipaux qui avaient pénétré dans un café tenu depuis plus d’un an par une famille marocaine ont demandé au responsable du café de présenter sa licence. Comme il expliquait que ce document se trouvait dans un bureau de l’administration publique, les agents ont commencé à fouiller le café de façon brutale, puis ont répliqué à coups de matraque lorsque le tenancier a demandé de voir leur mandat. Celui-ci a été atteint à la tête, au visage et au genou; son fils de 14 ans a une fracture du bras. Les policiers ont cassé beaucoup de matériel. Le père et trois de ses quatre enfants ont passé la nuit au commissariat. Le lendemain ils ont déposé plainte au tribunal local contre les policiers qui de leur côté ont déclaré avoir été victimes d’agressions de la part des Marocains...
Lors de la manifestation organisée à proximité d’El Ejido afin de protester contre cette violence policière 2, Diego Cañamero, secrétaire général du SOC, a précisé que son syndicat avait recensé une vingtaine de plaintes déposées suite à des agressions contre des immigrés par des agents de la police municipale. Le climat d’impunité envers ces agissements est entretenu par un sentiment anti-Marocains, encore renforcé depuis les attentats du 11 mars à Madrid.
Un autre incident significatif fait couler beaucoup d’encre actuellement dans la province d’Almeria: l’origine des faits remonte à décembre 1997, lorsque deux entrepreneurs d’El Ejido avaient séquestré trois ouvriers maghrébins qu’ils soupçonnaient de vol de matériel d’une valeur de 200 Euros. Ils les ont sévèrement battus à coups de battes de base-ball. Résultat: plusieurs fractures (nez, bras...) et des blessures à la tête. Le 22 avril 2004, le Tribunal Suprême a confirmé le verdict prononcé contre les agresseurs, soit 15 ans de prison.
Cette condamnation a provoqué un tollé à El Ejido. Une pétition a été lancée avec le soutien déclaré du maire, Juan Enciso, et du conseil municipal, réclamant la grâce pour ces citoyens de la ville afin d’éviter que des femmes et des enfants soient laissés sans chef de famille et des entreprises sans patrons. Selon El Païs, 56.000 personnes ont signé cette pétition. Vu que la ville d’El Ejido ne compte que 62.000 habitants (dont 11.000 immigrés), une partie de ces signatures a dû être obtenue dans d’autres communes avoisinantes. La démarche de la mairie a été fortement critiquée par de nombreuses personnalités de la région, dont le Défenseur du Peuple, José Chamizo, et le Président andalou, Manuel Chavez. Le chef du groupe socialiste au conseil municipal a dû démissionner suite au soutien qu’il avait apporté à cette pétition.
Début juin, deux responsables du SOC sont venus quelques jours en Suisse où ils ont participé à la Conférence annuelle de l’Organisation Internationale du Travail (voir encadré). Nous avons profité de l’occasion pour réfléchir sur notre coopération future. Le SOC a toujours le projet d’ouvrir des locaux dans la zone des serres afin de permettre aux ouvriers immigrés de se rencontrer, de se détendre et de s’organiser dans un cadre syndical afin de dénoncer les nombreux abus dont ils sont victimes.
Il est évident qu’il ne sera pas facile de mener ce projet à bien dans une telle ambiance de tension et de racisme. Il sera nécessaire d’assurer au SOC un appui matériel et moral au niveau européen. Nous vous tiendrons au courant.
Il faut espérer que le changement de gouvernement en Espagne apportera une amélioration de la situation des ouvriers migrants et des sans-papiers. Nous avons pu constater quelques signes encourageants. Le nouveau premier ministre, José Luis Rodrigues Zapatero, a déclaré qu’une de ses priorités sera de promouvoir de meilleures relations avec le Maroc, qui s’étaient fortement dégradées sous José Maria Aznar. C’est à Rabat que Zapatero a effectué sa première visite officielle à l’étranger en tant que chef du gouvernement. D’autre part, fin mai, la Secrétaire d’Etat à l’Immigration, Consuela Rumí, a annoncé un «traitement spécial» pour régulariser les sans-papiers marocains.
Il faudrait cependant que les autorités espagnoles attachent beaucoup plus d’importance à la situation scandaleuse de milliers d’immigrés marocains. L’exploitation et les humiliations dont ils souffrent sont une source de tension permanente et de renforcement du racisme envers ces «ouvriers de l’ombre» victimes de discriminations et privés de toute reconnaissance légale. Tout un pan de l’économie dépend de leur travail et il serait urgent que l’Espagne se tourne vers d’autres formes de production agricole moins dévastatrices, tant du point de vue social qu’environnemental. C’est le message que le FCE a voulu exprimer à M. Zapatero dans une lettre ouverte transmise lors de la Conférence annuelle de l’OIT.
Ajoutons que le Maroc est l’objet de fortes pressions de la part de l’Union Européenne qui voudrait que ce pays – comme tant d’autres Etats frontaliers de l’Union – joue un rôle de garde-chiourme et empêche l’arrivée de migrants dans la Forteresse… Cette exigence fait partie de l’Accord d’Association récemment signé entre le Maroc et l’UE avec la conséquence immédiate que Rabat a totalement transformé sa législation et ses pratiques en ce qui concerne les flux migratoires en transit de l’Afrique sub-saharienne vers l’Europe. D’un pays relativement ouvert et correct envers les migrants, le Maroc est devenu le garde-frontière de l’Europe, avec déjà des conséquences graves pour certains.
Le 21 juillet 2002, les forces de l’ordre de la ville de Tétouan avaient lancé à 4 heures du matin un assaut contre le campement «sauvage» de migrants «clandestins» venant de Bel Younech en Afrique noire, faisant 23 blessés et pourchassant les malheureux réfugiés dans la forêt et les ravins du voisinage. Depuis, la politique des pouvoirs publics n’a fait que se durcir, en violation constante des conventions internationales auxquelles ils ont souscrit. Par exemple, dans la nuit du 25 au 26 février 2004, certains éléments des forces auxiliaires marocaines ont ouvert le feu sur un groupe de migrants essayant de traverser les barrières de grillage qui isolent la ville de Mellilia, faisant deux morts et un blessé grave. Le 12 avril, un véritable ratissage a été organisé par les gendarmes et les forces auxiliaires avec l’incendie du camp de Gourougou, à proximité de cette ville, provoquant 8 blessés et l’arrestation de 116 Subsahariens. Les migrants de ce camp accusent les autorités espagnoles d’arrêter ceux d’entre eux qui ont réussi à pénétrer à Mellilia et de les livrer aux forces de police marocaines, moyennant de 2 à 5 euros par Africain maltraité...
L’usage de la répression et du racisme institutionnel envers les migrants se déplace donc vers le Sud. Cette évolution alarmante a entraîné l’adoption d’une «Charte de solidarité et de soutien aux migrants», le 27 mars 2004, par six organisations de la société civile marocaine qui veulent coordonner leurs efforts pour faire respecter les droits humains et les principes d’hospitalité au Maroc envers les migrants étrangers.
On peut malheureusement craindre que la visite de M. Zapatero à Rabat ait eu également pour objectif d’accroître la pression sur le gouvernement marocain pour que celui-ci renforce sa répression envers les migrants...