La contestation suscitée par les projets de législation sur les semences de la Commission européenne ne s’arrêtera pas après les deux journées d’action des 17 et 18 avril. Durant ces deux journées, la portée de ces lois ainsi que les différentes formes de résistance ont été développées au travers de la bourse d’échange de semences, du forum «l’accès aux semences est un droit humain», de la solidarité avec les paysans d’Inde et de Turquie, de la manifestation anti-lobby et de la remise des 58.000 signatures de la pétition «Semer l’avenir – Récolter la diversité» à des députés du Parlement européen.
Il y a deux ans, le FCE, la «Campagne contre la biopiraterie», l’association autrichienne des paysans de montagne (ÖBV) et l’association allemande des petits paysans, lançaient la «Campagne Semences» pour lutter contre les projets de lois de la Commission européenne.
En quelques années, des multinationales de la chimie ont racheté de nombreuses entreprises régionales et nationales de production de semences pour obtenir, avec leurs variétés dépendantes de leurs propres produits chimiques, une position dominante sur le marché et pour déterminer l’orientation de l’agriculture. Le droit de propriété intellectuelle qu’elles réclament sur les variétés et les entraves ou l’interdiction de la commercialisation des variétés paysannes, sont appuyés par le projet de la Commission européenne d’une législation semencière unique en Europe. Avec la pétition «Semer l’avenir – Récolter la diversité», nous revendiquons le développement de variétés régionales adaptées et indépendantes des intrants chimiques et le droit des paysans de produire des semences à partir de leur récolte et de les diffuser.
Petit à petit, l’information sur les projets de la Commission européenne s’est répandue et la pétition qui existait déjà en français et allemand a été traduite et distribuée en polonais, en grec, en néerlandais, en anglais, en turc, en portugais et en espagnol. Notre priorité n’était pas de collecter un maximum de signatures mais de faire connaître les dangers de ce projet de lois et de trouver des partenaires à long terme pour mettre en route une pratique avec les semences.
Dans le cadre de la «Campagne Semences», plus de 60 organisations belges invitaient conjointement aux journées d’action. Les participants sont venus de toute l’Europe et nombre d’entre eux ont apporté des graines pour les présenter, les échanger ou les donner lors de la Bourse d’échange de semences. Dans le Centre des Cultures de Molenbeek le 17 avril étaient présents: Red de semillas de l’Espagne, Kokopelli de France, Peliti de Grèce, Longo maï de France et d’Allemagne, Seed Heritage Library d’Angleterre, les Irish Seed Savers d’Irlande et beaucoup d’autres. Il est difficile de dire combien de personnes sont venues à la Bourse durant la journée, mais on sait que la cuisine populaire a distribué trois cents repas le soir et qu’au stand de Longo maï, 1000 sachets de graines sont partis. C’était un marché festif et beau, des questions curieuses à n’en plus finir, des expositions, des caméras partout, des ateliers pour enfants, des clowns, etc. A Bruxelles, l’intérêt pour ces questions est grand: environ 30% des ménages ont un jardin, nous raconte José des Jardins de Pomones, dont les stages de jardinage sont régulièrement surpeuplés avec environ 150 participants.
En Grande-Bretagne, les bourses d’échange de semences se sont développées, en dix années, pour devenir un mouvement populaire, Seedy Sunday1, contre la commercialisation et la monopolisation des semences. Pendant le Forum «l’accès aux semences est un droit de l’homme», Neil Cant-wellin de Brighton nous a présenté ce mouvement. Le don et l’échange de semences qui se pratiquent lors d’une bourse correspondent aux lois paysannes de «mise en circulation des semences» qui subsistent encore dans beaucoup de pays, mais seraient en infraction avec les nouvelles lois européennes.
L’avocate indienne Shalini Buthani et Vanaja Ramprasad de Green Fondation2 ont décrit, durant le Forum, comment la plupart des paysans en Inde conservent, reproduisent et partagent les semences. Les participants ont approuvé une déclaration s'opposant à l'accord d’échange commercial avec l’Inde actuellement négocié par l'UE3.
Abdullah Aysu, le président de la fédération des syndicats paysans de Turquie Ciftçi-Sen, nous a décrit la richesse des variétés cultivées en Turquie par environ 17 millions de paysans. Cette richesse est nécessaire pour avoir des variétés adaptées aux différentes régions de montagne, sans lesquelles une agriculture ne peut pas survivre4. En 2008, le gouvernement turc a adopté une nouvelle législation sur les semences qui avait été préparée par la Fédération allemande des entreprises semencières, sur demande de l’UE. Ces lois, dans la situation actuelle, ne peuvent pas être appliquées, car la résistance paysanne est trop forte, mais elles existent et sont une menace permanente.
Le rôle de l’Europe dans les réglementations internationales concernant les semences a été décrit par le rapporteur spécial de l’ONU pour les questions d’alimentation, Olivier de Schutter, dans un message vidéo projeté lors du Forum. Il revient également sur l’importance de la pratique semencière paysanne pour le droit à l’alimentation5.
Peu de gens en Europe sont conscients du rôle essentiel des semences adaptées pour l’existence des petits paysans dans le monde. Ici, les subventions agricoles financent l’achat des engrais et des traitements chimiques. Les exemples de la Turquie et de l’Inde montrent que la résistance contre l’orientation du projet de loi en Europe est primordiale pour les paysans de ces pays, sachant que l’Europe impose avec une arrogance colonialiste ses lois semencières à d’autres pays.
C’est pour cette raison que nous avons choisi la journée internationale de la résistance paysanne pour manifester à Bruxelles. Des actions ont eu lieu simultanément dans plusieurs pays, sur le même thème. En Pologne, où un million de petits paysans sont menacés dans leur existence depuis l’adhésion à l’UE, des paysans ont manifesté dans une centaine de villes. Dans plusieurs villes et villages en Allemagne, en Autriche, au Portugal et en France il y a eu des bourses de semences, des fêtes de la semence ou des manifestations. En Suisse, une copie des 25.000 signatures suisses de notre pétition a été remise au conseil fédéral à Bern. A cette occasion une soixantaine de variétés anciennes ou régionales de céréales ont été semées sur un terrain public devant les bâtiments du gouvernement helvète.
A Bruxelles, le 18 avril, nous avons intégré la remise des 58.000 signatures dans une manifestation anti-lobby. Contrairement aux informations de nombreux médias, ce n’était pas une manifestation paysanne malgré le tracteur, les nombreux drapeaux de La Via Campesina et la participation du président du Syndicat paysan belge, la FUGEA.
La plupart des 600 manifestants étaient de jeunes urbains. Accompagnée de banderoles, de clowns et de rythmes de samba, la manifestation a traversé le quartier de l’Europe où elle s’est arrêtée devant plusieurs immeubles ou représentations de l’industrie de semences. Trois membres du Parlement européen, le député belge Marc Tarabella, la vice-présidente du Parlement Isabelle Durant et le Grec Kriton Arsenis ont rejoint la manifestation devant l’immeuble de la firme Bayer. Ils ont pris en charge les pétitions et les ont emmenées au Parlement en brouette. Nous attendons des membres du Parlement européen qu’ils lancent un débat critique sur le projet de loi sur les semences de la Commission européenne, avant de se prononcer sur une loi toute faite. Il faut savoir que le rôle du Parlement européen est devenu plus important étant donné qu’après son accord, les parlements nationaux n’auront plus la possibilité de refuser la loi. Nous demandons une enquête du Parlement européen sur la portée de ces lois par rapport au droit fondamental à l’alimentation.
Au fond, nous contestons des lois qui existent déjà. Les législations semencières de différents pays d’Europe ont permis la concentration de la production semencière dans la main de quelques multinationales. Les critères pour l’admission de variétés sur le marché excluent depuis longtemps les semences paysannes mais acceptent des variétés hybrides, malgré leur instabilité. Les droits de propriété sur les variétés sont inscrits dans les lois et ont actuellement une durée de 25 ans, la durée d’une génération de paysans. Toutes ces lois font l’objet d’accords internationaux et sont imposées à des pays où les paysans sont encore les plus importants producteurs de semences.
Leurs conséquences néfastes pour la biodiversité, les sols, les aliments mais aussi et surtout pour les petits paysans sont de plus en plus connues et ont fait l’objet d’études scientifiques durant ces dernières années. Seulement, jusqu’à présent, ces études ne sont pas arrivées jusqu’à la Commission européenne, étant donné que le lobby de l’industrie chimique est un interlocuteur privilégié quand il s’agit d’écrire de nouvelles lois concernant les semences.
Le fait que la Direction Générale pour la Santé et la Protection des Consommateurs soit chargée de l’unification des lois semencières en Europe, plutôt que la Direction Générale pour l’Agriculture, est scandaleux. Il est évident que c’est l’Industrie de la chimie qui a le plus d’influence dans cette commission qui règle l’admission de produits chimiques sur le marché.
La contestation avait commencé en 2008, lorsque la Commission européenne avait promulgué trois directives concernant ce qu’elle qualifiait de «variétés de conservation»: une pour les céréales et les pommes de terre, une pour les légumes et la troisième pour les fruitiers. Ces directives ont provoqué de nombreux débats parmi les organisations concernées. Malgré le constat général que ces directives ne facilitent pas la réintroduction de la biodiversité dans l’agriculture, on constate qu’elles contiennent certains avantages. Mais après étude approfondie des textes, elles contiennent aussi certains désavantages par rapport à la situation actuelle. Au fond, on peut tranquillement les qualifier d’absurdité bureaucratique inapplicable. L’avocate Shalini a raconté qu’en Inde, les lois sur les semences ont provoqué des discussions quasi interminables parmi les paysans et leurs organisations.
En Europe, la résistance est aujourd’hui partagée par de plus en plus de citadins qui, s’ils ne sont pas du métier, sont bien conscients des conséquences de la privatisation rapide de nos bases de vie. Le mouvement britannique Seedy Sunday est un exemple de la façon dont les citadins peuvent contribuer à rétablir le libre accès aux semences. A Bruxelles, nous avons opposé la bourse d’échanges de semences aux législations à venir.
- Voir «Actions populaires sur les semences au Royaume-Uni», Archipel No 192, avril 2011.
- Voir ci-après, «Graines de résistance».
- Voir la déclaration ci-après et sur <seed-sovereignty.org>.
- Voir «Un voyage dans la Turquie rurale», Archipel No 187, novembre 2010.
- Son message sera prochainement disponible sur http://www.seed-sovereignty.org/EN/