Hier matin dans les champs près de Nardò dans les Pouilles s’est produit un fait surprenant. Quarante travailleurs immigrés étaient en train de ramasser des tomates pour 4 euro le caisson, soit environ une heure de travail, quand le caporale* leur demande d’accomplir une tâche supplémentaire. Ils demandent à leur tour l’augmentation de paye qui devrait correspondre et évidemment ne l’obtiennent pas. Jusqu’ici, rien d’inédit.
Mais contrairement aux autres fois, les quarante travailleurs décident ensemble de ne pas se prêter à un énième abus et, de leur propre initiative, ils abandonnent le champ, arrêtant net le travail de récolte.
Depuis vingt ans, on assiste dans ces campagnes à un phénomène structurel et diffus d’exploitation de la main-d’œuvre immigrée saisonnière. Les conditions d’indigence et de précarité dramatique dans lesquelles ils vivent poussent ces travailleurs à espérer, chaque matin, être recrutés par les caporali, malgré le salaire de misère.
La quantité de force de travail excédant de loin la réelle nécessité de main-d’œuvre, les rémunérations et la qualité des conditions de travail sont nivelées par le bas. En d’autres termes, pour chaque immigré refusant de travailler pour trop peu d’euros de l’heure, dix autres sont prêts à supplier d’être recrutés afin de gagner au moins de quoi se nourrir.
Mais hier matin, les migrants du Mas Boncuri ont fait front commun, croisant les bras dans une protestation commune. Pour la première fois, nous avons pu les voir se réunir en assemblée pour définir les points clés de leurs revendications. Nous les avons regardés avec une stupeur mêlée de satisfaction, tandis qu’ils nommaient un représentant pour chaque communauté: Soudanais, Nord-Africains francophones ont réussi à dépasser les barrières ethniques et celles imposées par les différentes conditions dans lesquelles ils travaillent, pour établir une plate-forme commune de demandes et de contestations. Ils dénoncent l’exploitation du travail au noir et le système des fausses embauches qui permettent aux caporali de faire travailler plusieurs travailleurs immigrés sous un unique et faux contrat d’embauche. Ils revendiquent d’être payés en accord avec le contrat provincial, qui établit un minimum syndical de 6 à 10 euros par caisson, selon la variété de tomate. Ils demandent aux autorités compétentes d’effectuer des contrôles systématiques dans les champs et exigent un réel engagement pour que les mécanismes concernant demande et offre de travail puissent trouver un équilibre qui permettrait d’éliminer la médiation du caporalato. Ils revendiquent leurs droits, donc, conscients enfin du chantage auquel ils sont soumis quotidiennement et sont décidés à se mettre en grève en attendant des signes concrets attestant un changement réel.
Celle qui a commencé hier était complètement spontanée et autogérée. Aujourd’hui, bon nombre des travailleurs ont décidé de rester au Mas, refusant de se rendre au travail.
La campagne « Contre le travail au noir, embauche-moi « prévoit depuis l’année dernière toute une série de pratiques qui vont de l’assistance et l’accès aux services, jusqu’à la sensibilisation et l’information, pour les travailleurs immigrés, des problématiques concernant le travail souterrain et les normes contractuelles en vigueur dans le secteur agricole. Cela nous avait donné l’espoir de pouvoir fournir aux migrants, en tant que catégorie spécifique sujette à l’exploitation, les instruments nécessaires pour une prise de conscience collective.
Aujourd’hui nous pouvons dire qu’avec une prise de conscience des droits qui doivent être exigés, peuvent jaillir des débuts d’auto-organisation qui, s’ils sont protégés par une présence concrète de solidarité et de soutien, trouvent un terrain favorable permettant aux travailleurs de se révolter contre les conditions d’esclavage qui constituent la base du système agricole italien.
Nous souhaitons que les revendications qui ont émergé jusqu’ici puissent être le début d’un processus d’émancipation qui, parti du bas, puisse être reconnu par les institutions compétentes. Dans ce campement d’accueil pour les journaliers de Nardò est née une expérience qui a produit des résultats concrets en termes de sortie du travail souterrain, résultats sans doute reproductibles aussi ailleurs et dans d’autres circonstances.
* Le «caporalat» est un phénomène criminel de longue date dans les campagnes italiennes et qui consiste en l’exploitation de la main-d’œuvre. Historiquement il s’agissait des petits sous-chefs à la solde des barons dans leurs latifundia. On définit aujourd’hui comme caporale le petit criminel lié le plus souvent à des associations mafieuses qui, au petit matin avant l’aube, se rend sur les places des petits villages ou dans les banlieues des grandes villes pour trouver de la main-d’œuvre journalière non spécialisée et la conduire au travail dans les champs ou sur des chantiers. Pour ce service les caporali exigent une rémunération parfois égale à 50 ou 60% de la paye journalière qui est souvent déjà bien en dessous des normes syndicales du fait du travail au noir.