Sommée de fermer définitivement la décharge d’Entressen (le plus grand tumulus d’ordures d’Europe)1 , la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole (CUMPM) a opté pour l’alternative de l’incinérateur. Solution dans la logique d’une raison industrielle (pour ne pas dire d’Etat) qui privilégie la facilité et le profit à court terme au détriment du milieu de vie et de la santé des populations environnantes.
Quelle qu’en soit l’issue, l’enjeu de la bataille écologique et juridique que les associations mènent dans cette région sacrifiée depuis les années 1960 sur l’autel de la croissance dépasse le simple cadre local.
La méthode NIMBY
L’histoire du projet de l’incinérateur de Fos-sur-mer est une longue suite de péripéties antagonistes. A l’heure actuelle, elle se solde par le dénouement provisoire d’un imbroglio procédurier (délibérations, recours en référés-suspensions, ordonnances et arrêtés préfectoraux) qui dure depuis 2003. En un premier temps, l’implantation de l’UIOM2 avait été prévue par la municipalité phocéenne dans deux quartiers est et nord de la ville. Devant le refus massif de ses administrés, l’édile Gaudin et son équipe avaient jeté leur dévolu sur le littoral de Fos, sans se soucier de l’extraterritorialité du site par rapport au cadastre de la métropole. Bref, une décision autoritaire et unilatérale et un transfert de technologie dans la plus pure tradition NIMBY (Not In My BackYard)3 qui consiste à se débarrasser d’un problème en le déplaçant dans une autre juridiction. Les mauvais esprits n’ont pas manqué d’y voir de surcroît l’application de la variante politicienne NIMEY (Not In My Election Year)4. Certains barons de l’hexagone ont perdu leurs fiefs pour beaucoup moins que cela.
Après des années de débats contradictoires, le Conseil de la CUM a passé outre les divers Plans d’Aménagement de Zone (PAZ), les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les propositions du Syndicat d’Agglomération Nouvelle Ouest-Provence. En été 2005, au mépris de l’enquête d’utilité publique préalable, une ultime délibération a décidé l’installation d’une «Unité de traitement thermique des déchets ménagers et assimilés» sur un terrain de 18 hectares de la zone industrielle de Fos, dans le secteur de Caban Sud. Un tour de passe-passe juridique avait permis la rétrocession d’un bail à construction entre le Port Autonome de Marseille et la communauté urbaine de cette ville.
Après les candidatures de Somedith (Société des eaux de Marseille), de Vivendi et de La Lyonnaise des eaux sur les deux projets intra muros , le gros œuvre de cette implantation avait été confié à une société «espagnole», Urbaser Vallorga. Cette dernière, presque aussitôt évincée pour vice de procédure (actes rédigés en espagnol non règlementaires), était revenue à la charge sous l’appellation d’EVERE SAS5.
En janvier 2006, un arrêté du Préfet des Bouches-du-Rhône l’autorisait à construire une installation classée pour l’environnement (ICPE), baptisée «centre de traitement multi filières de déchets ménagers avec valorisation énergétique» . Forte d’un permis définitif de construction délivré en mars de l’an passé, la société EVERE s’était empressée de préparer le terrain en procédant au gyrobroyage des 180.000 m2 du site en friches. C’était sans compter avec la pugnacité du SAN OP6 et des associations (Fare Sud, Association de Défense et de Protection du Littoral du Golfe de Fos-sur-mer (ADPLGF) qui ont tout tenté pour faire échouer ce projet officiel.
Afin de contourner l’obstacle de la légitimité territoriale (rétrocession du Port Autonome) et pallier le vide juridique (non application de la Loi Littoral en milieu urbain, installation hors directive Seveso), les militants ont fait valoir un arrêté ministériel de mai 1994 (Ministères de l’Agriculture et de l’Environnement). Ce texte interdit «la destruction, la coupe, la mutilation ou l’arrachage d’un certain nombre d’espèces végétales et animales protégées» .
Une «étude d’impact» de l’enquête publique en avait inventorié plusieurs sur le site du Caban: le pancratium maritimum (lys maritime ou lys des sables), la saladelle de Girard, les salicornes, le guêpier, l’oedicnème criard… De surcroît, il avait même été constaté qu’une expertise officielle avait omis délibérément de signaler l’impact désastreux de l’UIOM sur l’avifaune locale (hivernage, migration prénuptiale, reproduction).
Toujours est-il que les contre-expertises des adversaires du projet avaient amené le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence à statuer sur un référé du SAN OP en faveur de la suspension des travaux. Mais les interventions conjuguées de la Société «Biotope» et d’EVERE, les tergiversations de la DRIRE7 et de la DIREN8 ont fini par peser sur le jugement de la Cour d’Appel d’Aix. Le 26 septembre 2006, elle a déclaré incompétente l’autorité judiciaire du TGI, infirmant ainsi la décision précédente. Si le référé en suspension auprès du Tribunal Administratif de Marseille leur était défavorable, les opposants pourraient encore avoir gain de cause devant le Tribunal des conflits, le Conseil d’Etat, voire même devant la Cour Européenne de Justice de Luxembourg ou la Cour Européenne des droits de l’homme.
Un site dépotoir?
En dehors des aspects environnementaux (destruction de la flore et de la faune) ou financiers (291 millions d’euros, fiscalité des contribuables), c’est d’abord le milieu de vie et la santé des populations qui motivent le refus du projet en cours de réalisation. Le dossier à charge est impressionnant.
La ville de Fos, comme toute l’agglomération du périmètre de l’Etang de Berre, subit depuis près d’un demi-siècle les agressions permanentes du complexe industriel implanté au début des années 1960. Au vu et au su de son lot de nuisances quotidiennes, il y a de quoi s’alarmer de son avenir sanitaire. A ce jour, aucune expertise sérieuse n’a évalué l’impact global des différents secteurs d’activité sur cette zone urbaine: pétrochimie, terminal pétrolier, sidérurgie de la Sollac, projet d’élargissement du port autonome, carrefour routier (50.000 véhicules/jour sur les RN268 et RN568)… L’installation de cette nouvelle unité d’incinération (450.000 tonnes par an) y ajouterait un supplément d’effluents et de résidus hautement toxiques (dioxines, métaux lourds…) produits par l’élimination thermique et l’augmentation du trafic routier (5 à 10.000 poids lourds supplémentaires).
L’édile de Marseille a beau jurer, la main sur le cœur, que cette usine sera d’une innocuité totale («Si j’avais le moindre doute sur les dangers prétendus d’un incinérateur croyez-vous que je le ferais construire?» ), il a contre lui l’évidence scientifique. Et cela malgré la caution d’un ou deux pseudo-savants de service qui ont organisé une tournée de propagande à la fin de l’année dernière. Toujours les mêmes faux témoins (parfois stipendiés) qui ont sévi ou sévissent encore en faveur du nucléaire, de l’amiante ou des OGM…
A vrai dire, la vérité des chiffres commence à émerger des fumigènes de la désinformation.
Dans les années 80-90, la Région et le lobby industriel avaient fait éditer une brochure de luxe pour désamorcer l’inquiétude de la population après deux décennies de pollutions cumulées dans ce bassin de production intensive. On y vantait les procédures préventives (Directive Seveso), les milliards investis en technologies purificatrices (filtres électromagnétiques, bassins de décantation, fours à plasma, etc.) et les pourcentages de diminution des effluents industriels. En réalité, cette opération publicitaire visait à couper court à l’éventualité d’une enquête épidémiologique rigoureuse. L’éloge sur papier glacé de ces amendements n’a jamais précisé sur quels volumes de rejets toxiques s’effectuaient ces «généreuses» ristournes.
Une étude récente commanditée par le collectif anti-incinération de Port-St-Louis du Rhône9 à une équipe d’ingénieurs et d’universitaires (Experpol ) contredit catégoriquement l’optimisme officiel. L’impact des effluents toxiques (CO2, SO2, benzodioxines, benzofuranes, benzopyrènes, métaux lourds, organochlorés, etc.) dépassera largement le périmètre de la Zone Industrielle Portuaire (ZIP) de Fos. Leur diffusion dans l’atmosphère s’élèverait à plus de 200 mètres et pourrait atteindre jusqu’à 1.000 mètres d’altitude; et les pollutions se propageraient dans un rayon de plus de 200 km. Experpol a même réalisé une cartographie des dispersions gazeuses selon les conditions d’exploitation de l’usine (rythmes de production, incidents techniques), la température ambiante et la direction des vents. Les retombées de la combustion n’épargneraient ni la région d’Avignon, Arles, Aix, Marseille, ni les départements du Gard et du Var limitrophes des Bouches-du-Rhône. Le gros de la pollution affecterait toutes les communes environnantes, y compris celles de la CUM: Port-de-Bouc, Port-St-Louis, Istres, Berre, Martigues, Vitrolles, Rognac, St-Martin-de-Crau, Fontvieille, Maussane, Mouriès, Aureille… En clair, il est maintenant établi que l’UIOM polluerait dix fois plus que les valeurs prévues officiellement. Son fonctionnement accroîtrait de 2% le lourd bilan écologique (négatif) de cette zone que l’impératif de la productivité transforme de plus en plus en dépotoir.
Un avenir sanitaire problématique
La contre-expertise des associations a permis d’évaluer le bilan des 9 principales industries de la zone (Lyondelle, Atofina, Ascométal, GDF, Bayer, Lafarge Cimenterie, Esso Raffinerie, Sollac, Solamet Merex): elles génèrent près de 11 millions de tonnes de CO2 par an. A elle seule, la Sollac en produit 9.131.793 tonnes et les prévisions pour l’incinérateur dépasseraient les 100.000 tonnes annuelles. Une autre étude sur les émissions de la sidérurgie dans l’air et dans l’eau (avec d’incalculables effets sur l’écosystème et la chaîne alimentaire) donne la mesure de l’état des lieux. Les rejets de l’incinérateur viendraient ainsi aggraver la variété des polluants hautement toxiques qui contaminent l’ensemble de la biosphère régionale: résidus métalliques (cuivre, zinc, plomb, nickel, mercure, arsenic et composés…), méthane et dérivés, organochlorés, oxydes d’azote,de soufre, hydrofluocarbures et surtout, parmi les polluants organiques persistants (POP), plusieurs dioxines dont la Convention de Stockholm10 a interdit la production en raison de leurs effets cancérigènes avérés. Il est à redouter que les déchets industriels fourvoyés dans la filière incinération (boues, huiles, graisses, emballages plastiques, piles, PCB11, éléments électroniques…) contribuent à augmenter dangereusement le volume de POP en dépassements fréquents dans cette zone en déséquilibre écologique permanent.
Or, dans le pourtour de ce complexe industriel, aucune enquête épidémiologique rigoureuse n’a été diligentée jusqu’ici par les ministères de tutelle (Industrie, Environnement, Santé). Les seules données approximatives (...) proviennent de l’observation empirique des médecins locaux. Par exemple, les généralistes se trouvent confrontés à une augmentation alarmante d’affections pulmonaires et cardiovasculaires (+60%) ou à un taux de conjonctivites et d’asthmes qui a triplé depuis l’industrialisation du secteur. Quant aux cancérologues d’Aix-Marseille, ils constatent un taux de pathologies nettement supérieur (de +30 à+40%, selon les localités) à la moyenne nationale.
En fait, les militants associatifs ne sont pas totalement démunis d’arguments à faire valoir devant les instances judiciaires (Commission Européenne, Cour Européenne de Justice, Cour des Droits de l’homme) où ils ont déposé plainte contre l’Etat français «pour violation du droit communautaire» et des «droits de l’homme» . Il existe des précédents qui peuvent faire jurisprudence.
Dans de nombreuses régions de la planète, les études épidémiologiques se multiplient et informent la population des risques inhérents à l’élimination industrielle des déchets. Au Japon, Au Royaume-Uni, en Espagne des comptages statistiques évaluant les corrélations dioxines/pathologies cancéreuses, dénoncent la nocivité des rejets de la combustion pour les populations riveraines.
En Grande-Bretagne, une vaste expertise réalisée sur 14 millions d’habitants vivant autour de 72 incinérateurs a mis en évidence le doublement, voire le triplement de plusieurs types de tumeurs malignes, notamment de celles des voies respiratoires (larynx, poumons) et du système digestif (estomac, foie, intestin). En France, selon une étude de l’Observatoire Régional de la Santé d’Ile de France (mars 2006), l’incinération des ordures ménagères produit entre 25 et 30% des émissions de dioxines et provoque deux fois plus de cancers de proximité qu’ailleurs. Dans la Région Rhône-Alpes, une étude de l’INSERM12 a relevé un nombre anormalement élevé (220 enfants) de malformations de naissance et de lymphomes chez les adultes, en dix ans d’incinération. A Besançon, dans les parages d’un incinérateur (…), le professeur J-F Viel a établi que les riverains contractaient deux fois plus de cancers (lymphomes, sarcomes, cancers du poumon) que dans les régions plus éloignées.
A l’instar des recherches effectuées aux USA, à Taiwan ou en Australie, entre autres pays fortement dotés en UIOM, des chercheurs français préconisent d’évaluer l’impact des effluents de l’incinération sur les populations enfantines, particulièrement vulnérables. Et même de procéder à l’étude des concentrations de dioxines dès la phase intra-utérine…
A l’heure actuelle, il est impossible d’identifier quantitativement et qualitativement tous les poisons que la combustion des déchets rejette dans l’atmosphère. Dans son ouvrage «Ces maladies créées par l’homme », le Dr Belpomme, un des cancérologues de «l’Appel de Paris»13, rappelle que le grand boom de l’industrie chimique qui se développe depuis les années 1960 a généré 100.000 molécules dont la plupart des propriétés combinatoires restent inconnues. 5.000 d’entre elles seulement ont fait l’objet d’études. Compte tenu du laxisme normatif en vigueur et des seuils infinitésimaux (fractions de nanogrammes) de leurs effets pathogènes, l’avenir sanitaire d’une région où opérerait une unité comme celle de Fos-sur-mer s’annonce pour le moins problématique.
Jean Duflot
Radio Zinzine
L’union Européenne a ratifié le 18 novembre 2004 la convention de Stockholm qui interdit la production et l’utilisation de 12 polluants hautement toxiques
Polychlorobiphényles
Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
Plate-forme et manifeste de chercheurs (notamment de cancérologues) contre les nuisances de l’industrie chimique (pour une chimie verte)
1.1.200 tonnes/jour acheminées par une centaine de wagons quotidiens
Unité d’Incinération des Ordures Ménagéres
Pas dans mon jardin
Pas dans mon année électorale
Groupe hispano-germanique issu de la refonte d’Urbaser Vallorga
Syndicat d’Agglomération Nouvelle Ouest-Provence
Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement
Direction Régionale de l’Environnement
Collectif Anti-Incinération de Port-St-Louis-du-Rhône