De toute évidence les idées xénophobes gagnent du terrain en Allemagne. C’est ce qu’atteste l’étude «La crise du centre» présentée en octobre 2011 à Berlin par la Friedrich-Ebert Stiftung, une fondation proche du Parti Social Démocrate (SPD). Selon ce rapport, un quart de la population adhère aux idées xénophobes, pour 20% en 2008.
Les résultats démontrent que ce sont essentiellement les Musulmans qui sont dans le collimateur, presque 60% des Allemands veulent interdire aux Musulmans de pratiquer leur religion. Ce qui est frappant c’est que des positions islamophobes sont aussi présentes chez les 50% de la population qui par ailleurs refusent les idéaux de l’extrême droite. Des positions d’extrême droite seraient plus présentes au centre que dans les couches défavorisées. La peur de la dégringolade sociale, attisée par la crise, rendrait le centre et les classes moyennes susceptibles d’adhérer aux idées de l’extrême droite. L’insécurité sociale et l’accroissement d’une «sous-couche précarisée» sont des facteurs importants dans ce développement.
Les débats sur l’immigration se succèdent en Allemagne, et les positions xénophobes s’y affirment de plus en plus ouvertement. Thilio Sarrazin est un des protagonistes les plus virulents. De 2002 à 2009 il était ministre des Finances de la ville de Berlin, il est ensuite devenu membre du directoire de la Banque Fédérale d’Allemagne où il représentait le SPD. En 2009, il a publié dans la revue «Lettres internationales» un article avec des thèses culturalistes sur la crise en Allemagne qui ont trouvé un écho médiatique et une approbation énormes: grâce à lui on pouvait enfin de nouveau affirmer ouvertement des thèses racistes. Certains furent choqués par son ton grossier, mais très peu de voix s’élevèrent pour critiquer sa position sur le fond. C’est dans ce contexte qu’il faut voir les discours récents d’Angela Merkel où, pour ne pas déplaire à son extrême droite, elle proclame que le modèle multiculturel allemand (on pourrait s’interroger sur sa réalité) a définitivement échoué.
Sarrazin stigmatise publiquement depuis longtemps les immigrés, les pauvres et les allocataires, connus sous le nom de «Hartz IV», comme responsables du déclin économique de l’Allemagne. En 2008, il a fait réaliser une étude par le ministère des Finances de Berlin pour calculer un menu détaillé pour un tel allocataire, et concluait face à la presse qu’avec 3,76 euros par jour, un chômeur pouvait se nourrir de manière «tout à fait saine et suffisante au niveau nutritionnel». Les mesures Hartz IV, élaborées par une commission dirigée par Peter Hartz et mises en place par le gouvernement SPD de Gerhard Schröder entre 2003 et 2005, font partie de toute une série de lois visant à libéraliser le marché du travail. Il s’agit d’une refonte des services sociaux avec les agences pour l’emploi qui a pour conséquence principale la réduction de la durée des indemnités chômage, la radiation de l’aide sociale pour ceux qui ont des parents ou des enfants ayant certaines ressources et la mise en place des emplois à 1 euro de l’heure. C’est-à-dire que pour continuer à toucher des allocations, il faut accepter toute proposition d’emploi, même ces fameux «1 euro jobs». L’instigateur de ces réformes, Peter Hartz, était jusqu’en 2005 directeur des ressources humaines et membre du directoire de Volkswagen. Il est membre du SPD et du syndicat IG Metall. Le 25 janvier 2007, il était condamné, en tant que membre du directoire de Volkswagen, pour malversations à 44 reprises, à deux ans de prison avec sursis et une amende de 576.000 euros.
Un politologue du centre Moses-Mendelsohn à Potsdam a publié une longue analyse des positions défendues publiquement par Sarrazin. Il conclut que Sarrazin dénigre les immigrés turcs et les Musulmans en général dans ses discours: il ne se contenterait pas de reprendre des stéréotypes inconsciemment racistes, ses positions seraient «tout à fait racistes». «Ses prises de positions servent à rompre avec des tabous, à mobiliser des préjugés, et à proposer des mesures politiques qui, avec cette radicalité, n’ont été avancées que par des partis antidémocratiques et d’extrême droite». Le passage le «plus radical» dans l’entretien de Sarrazin serait le suivant: «Je ne suis pas obligé de reconnaître quelqu’un qui ne fait rien. Je ne suis pas obligé d’accepter quelqu’un qui vit aux frais de l’Etat, refuse les règles de cet Etat, n’éduque pas ses enfants convenablement et continue à produire de plus en plus de filles voilées». L’analyse du politologue conclut que de telles positions mènent finalement à une logique qui «vise l’élimination physique hors de la société berlinoise de ces groupes de population indésirable.»
Le 30 août 2010, le SPD décide d’exclure Thilio Sarrazin de ses rangs car ses positions seraient «diamétralement opposées aux idéaux sociaux-démocrates» et en partie «proches des théories nationale-socialistes». Sous la pression, il doit démissionner de la Banque d’Allemagne.
Le même jour paraît son livre L’Allemagne s’abolit, vendu à plus de cinq cent mille exemplaires qui lui rapporte plus 1,5 million d’euros. Depuis, il fait des tournées de lectures avec ce livre et il est invité dans des débats télévisés où il rencontre un franc succès.