Ou, pourquoi le parti d’extrême droite «Alternative für Deutschland», AfD, a eu autant de succès lors des dernières élections au parlement du Land de Mecklembourg-Poméranie.
«L’ascension rapide de l’AfD a rendu l’Allemagne plus raciste qu’elle ne l’était auparavant» me dit Ryad, un Tunisien habitant depuis 15 ans en Allemagne. Avec sa pièce de théâtre où il met en scène les raisons qui poussent des jeunes gens à fuir leur pays, Ryad tente d’amener les spectateurs allemands à une plus grande compréhension. «Je le vois dans leur regard. C’est comme si j’étais arrivé hier en Allemagne. Je représente un danger pour eux.»
L’Allemagne est-elle plus raciste qu’après les évènements du nouvel an à Cologne, plus raciste qu’après la folie meurtrière d’un jeune Iranien d’extrême droite à Munich, présenté comme un sympathisant de l’Etat Islamiste (ces deux cas n’ont toujours pas été élucidés)? Est-elle plus raciste qu’après le succès électoral de l’AfD en Saxe-Anhalt en mars, où ce parti récoltait 24,2 % des voix? En ce qui me concerne, et avec moi tous ceux qui ici, se définissent comme antifascistes, nous ne croyons pas que les gens soient devenus plus racistes. Seule leur attitude a changé. Ils n’ont plus peur de se montrer au grand jour et sur la place publique.
Ascension de l’AfD
Le 4 septembre 2016, le Land du nord-est de l’Allemagne élisait un nouveau parlement. Le Mecklembourg-Poméranie est géographiquement le plus grand Land d’Allemagne, mais il ne compte qu’1,3 million de personnes ayant le droit de vote. Et seuls 820.000 (61%) votants se sont déplacés pour les dernières élections. Nonobstant, le résultat de ces élections a fait les gros titres, en Allemagne comme dans le reste de l’Europe. Ce que les médias prédisaient depuis des mois s’est donc produit. L’Afd, qui ne s’est constitué en tant que parti qu’au printemps 2013, siège, pour la première fois, au parlement du Land. Il a récolté 20 % des voix, 20,8 % pour être précis, mais cela reste toujours moins que ce que les médias, oiseaux de mauvaise augure, nous avaient annoncé. D’après les sondages, sur la totalité de leurs électeurs, on dénombre 56.000 anciens abstentionnistes, 23.000 qui votaient précédemment pour la CDU, 20.000 pour le NPD, 18.000 pour le parti Die Linke et 16.000 pour le SPD. Du jour au lendemain, l’AfD est devenu le deuxième groupe parlementaire au parlement du Land, derrière le SPD (avec 30,5 % des voix), et devant la CDU (19% des voix). Le NPD et le parti Bündnis 90 / Die Grünen ne sont plus représentés au parlement.
Bien que le Mecklembourg-Poméranie ne compte que très peu d’électeurs, le fait qu’il s’agisse de la circonscription électorale d’Angela Merkel a propulsé cette élection au rang de test national: pour ou contre la politique d’asile de la chancelière. C’était exactement ce que cherchait l’AfD, et tous les autres partis ont suivi sans désapprouver.
Violence du racisme et politique d’asile
C’est manifestement aussi dans l’intérêt du parti d’extrême droite NPD qui siégeait jusqu’à présent au parlement avec plus de 6 % des voix. En effet, ce parti risque l’interdiction. Il fait l’apologie du nazisme et justifie la violence raciste (son leader au Mecklembourg-Poméranie, Udo Pateurs, a par exemple félicité la NSU, une organisation terroriste nationale-socialiste clandestine). Le succès de l’AfD assure donc une présence de leur politique raciste au parlement. Lors d’une manifestation de l’AfD à Rostock, les élus du NPD se sont mis au premier rang sans que les organisateurs n’y trouvent à redire. La base du NPD aura alors les mains libres pour exercer, dans la rue, la terreur contre les étrangers et tous ceux qui pensent autrement qu’elle.
Avec sa position clairement hostile aux réfugiés, le parti de la CSU, «parti frère» bavarois de la CDU, poursuit un objectif: l’éviction de la chancelière Angela Merkel. Le SPD espère tirer son épingle du jeu et voit, dans la fragilisation de l’autorité de la chancelière, la possibilité de son succès électoral lors des prochaines élections du parlement national. Au sein de la CDU, certains élus ont profité de la situation pour remettre en question la position de leader, jusque là incontestée, d’Angela Merkel. La propagande hostile aux réfugiés de l’Afd a été reprise à différents degrés par tous les partis. Jusqu’à Sahra Wagenknecht, présidente du groupe parlementaire du parti Die Linke, qui argue que le grand nombre de réfugiés demande trop à la société allemande. Le ministre allemand de l’Intérieur De Maizière (CDU) a, quant à lui, tenté de couper l’herbe sous les pieds de l’AfD en annonçant une nouvelle restriction drastique du droit des réfugiés ainsi qu’une procédure d’expulsion accélérée. Toutefois, les électeurs ont choisi l’original et non ceux qui sont, à leur yeux, des imitateurs. Mais il existe aussi l’analyse inverse selon laquelle l’AfD serait une création des différentes forces nationalistes de plusieurs partis.
De par leurs prises de positions suivistes, les partis politiques allemands ont banalisé l’hostilité envers les réfugiés et permis le succès électoral de l’AfD. Cette hostilité est très fortement ressentie par les réfugiés, dans les transports en commun, les bureaux des administrations, ou encore lors de la recherche d’un logement ou d’un travail. L’AfD est parvenue à polariser les élections au Mecklembourg-Poméranie sur le thème de la politique d’asile. Ce parti a ainsi réussi à reléguer tous les autres problèmes régionaux au second plan.
L’AfD prétend être un mouvement de citoyens. Le slogan de leurs manifestations est le même que celui des mouvements de citoyens de la RDA: «Nous sommes le peuple». Presque personne ne connaît le programme du parti de l’AfD. Et pourtant cela vaut la peine d’y jeter un coup d’œil. Il est pour l’énergie atomique, conteste la réalité du changement climatique et est pour la levée des sanctions contre la Russie. Pour ce qui concerne l’économie, il est pour la libre entreprise et ne se soucie pas des exclus, même si certains chômeurs ont voté pour lui. Le soir même des élections, le président mecklembourgeois du parti AfD a défini comme priorité la mise en place d’une démocratie directe par le biais de référendums. Et «peut-être que oui, cela mènera à la chute de la chancelière». La médiocrité du programme politique de l’AfD laisse le sentiment que ce parti a joué le rôle de «l’idiot utile». Dans ce cas, utile au recentrage de la politique allemande autour de la question nationale et de la militarisation de l’Europe.
Résistance contre la bêtise
Beaucoup de réfugiés sont arrivés au Mecklembourg-Poméranie suite à la clef de partage entre les Land, selon le nombre d’habitants. Même les petites communes ont été confrontées à l’accueil de réfugiés. Dans la plupart des lieux, des groupes de soutien se sont créés qui en font souvent beaucoup plus que les fonctionnaires «compétents». Ces personnes ne se laissent pas intimider par les administrations et se battent pour le droit des réfugiés. Ils n’ont pas de «parti des mécontents» (l’AfD est ainsi nommé dans les médias) pour les soutenir. Ces groupes doivent également gagner de haute lutte leur présence parcimonieuse dans les médias.
Le grand spectacle des élections de ces messieurs-dames en costume-cravate est accompagné d’une recrudescence des violences de l’extrême droite envers les réfugiés et leurs soutiens. Les rapports de Lobbi, association pour la défense des victimes de la violence de l’extrême droite en Mecklembourg-Poméranie sont probants. Il y a eu 130 cas en 2015, un tiers de plus qu’en 2014. Le ministère de l’Intérieur allemand a enregistré plus de 1000 cas de violences envers les réfugiés à travers toute l’Allemagne en 2015 pour 200 cas en 2014. Dans ce contexte, la présidente de l’AfD a jeté de l’huile sur le feu en faisant l’annonce – ou plutôt en brandissant la menace – d’une «guerre civile» au cas où le gouvernement allemand ne changerait pas sa politique d’asile.
Mais il y a aussi d’autres forces dans ce Land souvent décrit par les médias comme raciste et sans avenir. Le groupe de punk-ska Feine Sahne Fischfilet est constitué de musiciens venant de différents villages ou petites villes de Mecklembourg-Poméranie. Ils ont créé ce groupe de musique pour combattre l’ennui. Ils ont profité des élections pour faire connaître et soutenir, en réalisant une tournée dans les villages et les villes du Land, des personnes qui pensent autrement et qui ont des projets intéressants. Avec des écrivains, des films ou de la musique, ils sont allés dans les lieux où les groupes engagés sont souvent isolés. Leur plus grand succès a été d’amener 2000 spectateurs pour un concert à Anklam, fief du NPD. Le titre de leur tournée était «On n’est pas encore tout à fait dans la merde». Ils ont commencé leur concert avec un discours politique, pour ensuite faire la fête sous le slogan «Ne laisse jamais tomber tes potes».
Ils ont réagi avec humour à leur criminalisation par le ministre de l’Intérieur. Ce dernier les ayant définis comme dangereux pour l’Etat et les ayant fait surveiller par les renseignements généraux, pour le remercier de cette délicate attention, les musiciens lui ont offert une corbeille de fleurs, en présence de la presse.
Les Feine Sahne Fischfilet sont devenus le symbole d’un mouvement de jeunes, antifasciste et multiple au Mecklembourg-Poméranie, qui se met en travers de la route des rassemblements de l’extrême droite et qui se place aux côtés des réfugiés.