Au col de Mongenèvre, 80 personnes étaient présentes pour assister à la remise du prix «Alpes ouvertes» aux sept de Briançon. Un an après, jour pour jour, que la manifestation anti-génération identitaire avait déclenché les arrestations puis le jugement des sept de Briançon et où la frontière franco-italienne, symbolisée par la PAF, était devenue plus célèbre que les pistes de ski. Des membres de l’association des amis de Cornelius Koch, venus de Suisse, d’Allemagne, d’Italie, de France et d’ailleurs, sont présents. Michael Rössler et Claude Braun, membres de ce mouvement en Suisse, animent cette journée. Une minute de silence rappelle tous ces morts de trop, ici ou ailleurs, liées aux frontières virtuelles mais pourtant réelles. Face aux manifestant·es et aux forces de police présentes, plusieurs prises de paroles se succèdent, dont nous publions ici des extraits*. Michael Rössler commence son intervention en reprenant les mots de l’abbé Cornelius Koch: «la frontière est un chemin de croix pour les réfugié·es et les migrant·es». Les Alpes sont le dernier verrou de l’Europe forteresse. Il faut ouvrir les Alpes à l’accueil des humains… Le nom «Alpes ouvertes» prend sens! Heureusement des personnes ne sont pas indifférentes à la souffrance des autres. C’est pour cela que ce prix honore les personnes qui agissent pour un monde plus humain et plus juste. Les sept de Briançon ont été choisis en signe de reconnaissance et de remerciement pour leur engagement courageux dans le sauvetage de réfugié·es en montagne et dans la dénonciation des actes racistes et xénophobes. Les Suisses ont été très choqué·es et scandalisé·es par la manière dont illes ont été arrêté·es, puis jugé·es. Cet acte a été vu comme un procès politique honteux. Claude Braun parle, lui, de monde à l’envers! Les personnes qui sauvent des gens en mer et en montagne sont punies… Ou des maires, tels que l’Italien Domenico Lucano, qui salue cette journée, a été banni de son village par le gouvernement pour l’avoir fait revivre en ouvrant la porte aux migrant·es… Tout cela car une minorité d’extrémistes font la loi. Il ne faut pas avoir peur que l’extrême droite arrive au pouvoir car elle y est déjà! Mais grâce à ces réseaux de solidarité, qu’il faut continuer à créer, celle-ci perdra car les solidaires sont plus vivant·es et nombreux.
Une luciole
L’écrivaine et sociologue turque, Pinar Selek, se considère comme une militante luciole résistant à l’horreur pour créer de la poésie; comme une réfugiée ayant vécu et connu les difficultés d’exilée par le passé; comme une femme parmi toutes les femmes dont aucune dans le monde, n’a jamais contribué à tracer ne serait-ce qu’une seule frontière… Elle remercie donc les sept de Briançon d’avoir transgressé les frontières et repoussé le fascisme.
Antigone et la justice
Dick Marty, ancien procureur suisse et membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et pour qui l’indifférence est le mal de notre époque, rappelle l’histoire d’Antigone: il y a plus de 2500 ans, elle a aussi transgressé la loi pour des valeurs humaines. Ce qui est juste, équitable, moral, humain, ne peut-être dicté par une loi unique. La justice est trop froide et formelle pour faire face aux valeurs humaines. Il salue les forces de police envers qui il est solidaire pour leur tâche difficile. Pour lui la véritable justice est celle d’Antigone, celle de la solidarité.
L’illégalité exploitée
Don Gusto de la Valle, prêtre Italien de Come et lauréat du prix, évoque le déplacement des frontières manipulées appliqué en Lybie et au Niger pour éviter l’arrivée des migrant·es en Europe. Il s’inquiète du devenir des 100.000 réfugié·es qui sont expulsé·es des camps qui ferment en Italie. Comment feront ces réfugié·es dans l’illégalité pour vivre sans papiers, utilisés pour le travail au noir et les prochaines campagnes politiques? Il demande que des lieux soient créés pour qu’ils vivent et qu’un permis humanitaire voit le jour.
Ce n’est pas un jeu!
Benoit Ducos, un des sept de Briançon, prend alors la parole pour tous les solidaires des vallées alentour, car ce prix est décerné à tous. Au fur et à mesure du texte lu, il s’approche des forces de police pour leur faire face; sa voix prend de plus en plus d’émotion; son visage est de plus en plus déterminé. Les manifestant·es sont plus que touché·es par ces paroles justes dénonçant quelque chose qui pourrait être un jeu en apparence qui n’est qu’inhumanité. De retour en bas, les personnes s’arrêtent au bord de la RN 94, sur un parking comme un autre, entre la Vachette et Briançon. Une cérémonie est organisée avec le texte d’un maraudeur racontant qu’une ombre venue en Europe, aspirant à une vie meilleure, a vu son chemin s’arrêter en France, par peur de la police. Elle a marché dans la poudreuse en chaussettes, pour mourir d’une hypothermie ici. Cette ombre s’appelait Tamimou Dherman et venait du Togo. La matinée s’est achevée par un moment convivial et en musique à la salle du vieux colombier à Briançon. Les associations briançonnaises ont fait un état des lieux: 8000 passages au Refuge, le CESAÏ menacé de fermeture à Gap, les pressions policières sur les maraudeurs… Les Suisses dénoncent une nouvelle fois un procès politique, celui des sept, et remettent plus de 600 messages de soutien aux Briançonnais·es. Les Alpes s’entrouvrent…
Alice Prud’homme
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