Des écolos racistes? Pas chez nous!

de Florian Walter, Heike Schiebeck, 1 mai 2019, publié à Archipel 281

C’est ce qu’on s’est dit. Nous sommes l’ÖBV (Fédération des paysans d’Autriche) – cofondateurs de La Via Campesina, un mouvement émancipateur mondial. Il n’y a pas de place ici pour les idées d’extrême droite. Cependant, nous avons eu plusieurs surprises désagréables. En mars 2012, un député du FPÖ (parti nationaliste autrichien) est soudain apparu et a attrapé le micro lors d’une manifestation de la tribune agropolitique Wir haben es satt! («Nous en avons ras le bol!»). Selon lui, nous partagerions les mêmes objectifs. Nous n’étions pas de cet avis et avons examiné la question de l’écofascisme en profondeur dans le Bäuerlichen Zukunft (Futur Paysan, le journal de l’ÖBV) de février 2013. En automne 2016, une conseillère municipale de Köflach nous a proposé de participer à un séminaire sur la souveraineté alimentaire. Ce n’est qu’après avoir accepté que nous avons découvert son enthousiasme pour Hofer1 et Trump. Nous avons donc essayé de la contacter pour discuter de la souveraineté alimentaire, en l’absence de réaction de sa part, nous nous sommes décommandés. L’année dernière, des membres attentifs de l’ÖBV ont appris que Siegfried Jäckle du Forum Pro Schwarzwaldbauern (Forum pour les paysans de la Forêt-Noire), avec qui nous avons travaillé pendant de nombreuses années et qui écrit pour notre journal, avait pris la défense de Michael Beleites. Or, ce dernier a rédigé l’avant-propos d’un livre de Pegida et donne des conférences à la confrérie d’étudiants d’extrême droite Normania zu jena ainsi qu’au think tank de la Nouvelle droite, l’Institut für Staatspolitik. Certain·es d’entre nous, membres de l’ÖBV, ont été choqué·es et scandalisé·es. Après plusieurs discussions, Jäckle ne voulant pas prendre ses distances avec Beleites et ayant même continué à annoncer ses conférences et ses livres sur son site web, nous avons mis fin à notre coopération. Le conseil d’administration de l’ÖBV a décidé de faire de l’extrémisme de droite dans les mouvements agricoles et écologistes l’un des points essentiels de son travail éducatif. Mais comment reconnaître les messages cachés de l’extrême droite? Comment éviter d’être applaudi par le mauvais camp? Comment élaborer une politique agricole qui ne soit pas un terreau pour la droite? Quelle est notre position face au chacun pour soi? Nous avons discuté de ces questions en janvier lors d’un séminaire à Tainach, en Carinthie. Nous nous sommes concentré·es sur les courants d’extrême droite en milieu rural, sur nos propres frontières brunes ainsi que sur le virage à droite que prend la société dans son ensemble. Le conférencier, journaliste et auteur allemand Peter Bierl a présenté le sujet avec beaucoup de compétences et d’humour.

De l’humour, avec un sujet aussi sérieux?

Oui, c’est quand même grotesque quand les fanatiques de la race rejettent l’utilisation du glyphosate parce qu’ils voient dans la pulvérisation de ce produit une attaque ciblée contre leur génome aryen supérieur. Certain·es écologistes et défenseurs·euses des droits des animaux considèrent que la cause la plus importante de destruction écologique est la surpopulation de la planète, qui serait imputable aux populations du Sud global. Cette posture est inhumaine et raciste. Elle exige une réduction drastique de l’humanité, non seulement pour prévenir les catastrophes environnementales mais aussi pour rendre la nature à son état sauvage. Ces personnes s'opposent donc à la vaccination parce qu’elle empêche la sélection naturelle. Bierl cite de manière provocante Erich Mühsam2: «Quiconque pense qu’il y a trop de monde devrait donner le bon exemple et s’ôter la vie!». Aller jusqu’au bout de son raisonnement Le rire du début provoqué par ces affirmations aberrantes s’est vite coincé dans nos gorges. Dans sa conférence, Bierl nous a déconcerté·es en usant de termes tels que: «pensée holistique», «économie de marché organique», «bien commun», «économie post-croissance», «nature de la femme» et «souveraineté alimentaire», qui créent une confusion des genres. Nous rencontrons ces termes dans nos conversations quotidiennes avec des voisin·es, des écologistes, des défenseur·euses des droits des animaux, des critiques de la mondialisation et bien sûr aussi dans les textes de notre journal. Mais ces mêmes termes sont aussi utilisés par les extrémistes de droite, qui les emploient pour exprimer des idées bien différentes. Pour eux, «holistique» par exemple signifie que l’ordre divin naturel de la société est subdivisé en entités telles que la race, le peuple, le clan et la famille. L’individu doit se subordonner au tout. La résistance, la protestation, la rebellion et la pensée critique sont donc contre nature.

De quel côté êtes-vous?

L’examen historique des racines autoritaires du mouvement en faveur de l’environnement, de la protection de la patrie et de la protection de la vie a déplacé à droite de nombreux concepts. Des mots qui paraissent tout d’abord inoffensifs se sont révélés être les porteurs d’éléments idéologiques de droite. Un exemple: l’ethnopluralisme semble être un terme émancipateur, mais il figure en réalité la ségrégation raciale. Ce qu’on a retenu du séminaire: toujours se poser des questions lorsque l’on rencontre des formulations nébuleuses et séduisantes. Aller jusqu’au bout de la réflexion devant des affirmations qui «sonnent bien» et décider ensuite si elles correspondent ou non à nos idées. Tous les êtres humains ont-ils les mêmes droits à la vie, à la liberté et au bonheur au sens entendu par les Lumières? «C’est devenu vraiment clair pour moi maintenant, nous devons décider de quel côté nous sommes», a spontanément déclaré une participante. Critique du capitalisme: oui, mais bien pensée! Au cours de l’atelier interactif, nous avons réalisé que notre critique du capitalisme n’était pas toujours assez construite. Les tentatives d’explication simpliste sont une base sur laquelle l’extrême droite construit ses positions. Au lieu de critiquer l’exploitation des êtres humains et la destruction de la nature, également par des entreprises nationales, il s’agit dans le cas de la critique nationaliste du capitalisme de désigner des boucs émissaires: les puissances étrangères, les sociétés américaines et une conspiration mondiale juive qui tire les ficelles à l’arrière-plan. Nous travaillons donc déjà sur le prochain événement: Critique du capitalisme pour les débutants. Pour attaquer la démocratie, quelques-uns suffisent, pour la sauver, il faut être nombreux!

Florian Walter et Heike Schiebeck

Conclusion de Peter Bierl Ce serait une erreur d’éviter la confrontation avec ses propres tentations brunes. L’ÖBV devrait apparaître fièrement comme faisant partie du mouvement mondial La Via Campesina, souligner son caractère émancipateur et cosmopolite et se positionner clairement dans l’espace public en tant qu’organisation antifasciste, engagée dans des luttes sociales qui regardent vers l’avenir. Ce sont des signaux politiques qui peuvent contribuer à ce que les idées indésirables ne vous contaminent pas. Et ne jamais cesser de s’interroger!

Peter Bierl, politologue, sociologue, psychologue et militant politique munichois, travaille comme journaliste indépendant et a récemment publié le livre Grüne Braune. Umwelt-, Tier- und Heimatschutz von Rechts (Les Verts bruns. Protection de l’environnement, des animaux et de la patrie par la droite. Non traduit à ce jour) Voir la courte contribution (en allemand uniquement) sur une radio bavaroise: Braune Ideologie hinter grüner Fassade (L’idéologie brune derrière la façade verte) sur le culte Anastasia: https://bit.ly/2I437W4


  1. Norbert Hofer, ministre autrichien des Transports, membre du FPÖ.

  2. Erich Mühsam, écrivain anarchiste allemand d’origine juive assassiné en 1934.