Depuis des mois les Bosniaques manifestent contre leur gouvernement. A la suite des violents affrontements de février dernier, ils se sont organisés en forums citoyens au sein desquels ils discutent à propos des réformes de l’entreprise politique pourrie. Ils ont déjà remporté leurs premiers succès, les manifestations à Sarajevo continuent.
Environ 150 personnes se sont rassemblées devant la Maison des Jeunes de Sarajevo, elles dressent le majeur en scandant: «La politique est une putain». Le geste s’adresse au canton de Sarajevo qui refuse de mettre le bâtiment à la disposition des manifestants pour leurs forums citoyens, qui se tiennent désormais à l’extérieur.
Le plénum d’aujourd’hui devrait traiter du système de santé, mais de nombreux participants profitent de l’occasion pour laisser éclater leur colère. Un jeune homme grimpe sur la scène en brandissant un procès-verbal et déclare: «Je vais donner ce bout de papier à mon fils qui est en train d’apprendre à peindre, il en fera un bien meilleur usage que moi». Pour avoir crié pendant une réunion électorale »Voleurs, rendez-nous notre argent!», il doit payer une amende de 360 euros. Pour beaucoup de gens en Bosnie-Herzégovine, cette somme dépasse leur revenu mensuel – quand ils en ont un. Le taux de chômage est de 45%, celui des jeunes de 60%.
Après les prises de parole, l’assemblée plénière formule des exigences concrètes: d’ici un mois les habitant-e-s de Sarajevo devront bénéficier de prestations de santé, au niveau européen et indépendamment de l’origine et des moyens financiers.
Des forums citoyens comme celui-ci existent dans d’autres villes de Bosnie-Herzégovine. Ils sont issus des violentes manifestations du début février. Pendant les affrontements, les sièges du gouvernement cantonal et des archives à Sarajevo et à Tuzla ont été incendiés, ainsi que les bureaux des partis nationalistes, le HDZ croate et le SDA bosniaque.
Après ce court embrasement de violence, les habitants se sont retrouvés de manière pacifique. A Sarajevo, Tuzla, Zenica et Bihac, régions de population majoritairement bosniaque, les gouvernements cantonaux ont démissionné. Dans les parties du pays dominées par les Serbes et les Croates, il y a eu très peu de manifestations, même si les gens connaissent les mêmes problèmes.
C’est la première fois dans l’histoire de ce jeune Etat que la politique tient compte des revendications de manifestants: à Tuzla un nouveau gouvernement s’est formé, dont les membres n’appartiennent à aucun parti, ou y renoncent temporairement. Ceci était expressément demandé par la plupart des forums citoyens.
Dans d’autres cantons les manifestants ne sont pas arrivés à leurs fins. La demande d’une baisse de salaire des fonctionnaires s’est heurtée à des réticences. Faute d’un système social digne de ce nom, beaucoup de gens dépendent de l’aide de leurs amis et parents fonctionnaires. En Bosnie-Herzégovine, les salaires des fonctionnaires sont bien plus élevés que ceux des employés et des ouvriers.
Au début, jusqu’à 1.000 personnes participaient aux forums citoyens, mais leur nombre a beaucoup diminué. C’est grâce à l’orchestre populaire Dubroza Kolektiv si 150 personnes étaient présentes jeudi dernier à Sarajevo.
En attendant, des gens manifestent chaque jour devant la présidence de l’Etat de Bosnie-Herzégovine. Vedran Svrdlin, 31 ans, est l’un d’eux: «J’ai été employé de banque, pendant 4 ans, mais je n’ai touché le salaire qui m’était dû que 3 mois en tout. Depuis le 7 février, je suis ici chaque jour devant la présidence, mais nous sommes de moins en moins nombreux». Selon le jour de la semaine, entre 20 et 50 personnes manifestent de 12 à 17 heures devant le bâtiment, incendié il y a deux mois.
A l’occasion d’une des dernières prises de parole du 12ème plénum des citoyens de Sarajevo, un vieil homme est monté à la tribune en criant: «Comment se fait-il qu’aussi peu de jeunes soient présents à nos manifestations? Que vous apportent tous vos diplômes si vous ne luttez pas du côté de la vérité? Que valent-ils si vous ne trouvez pas un travail qui vous fasse vivre?»
Dans le forum citoyen et parmi les manifestants devant la présidence, l’âge moyen est relativement élevé. Il n’y a pas de contestation des étudiants qui se sentent trahis pour leur avenir, mais des citoyen-ne-s qui se sentent trahis pour leur vie.
Krsto Lazarevic*
*Correspondant de n-ost, Sarajevo