HAUT-PARLEUR: Etoiles au-delà des frontières

de Johanna Bouchardeau, 17 juin 2014, publié à Archipel 227

Des jeunes Roms et leurs ami-e-s de Münster, Marseille et Belgrade se rencontrent autour de leurs expériences de discrimination.

Les Roms vivent à travers toute l’Europe des formes différentes d’exclusion. Etre seulement «tolérés», être exclus et discriminés par la majorité, uniquement sur la base de la couleur de peau, être obligés de quitter un pays dans lequel on a grandi, suite à un avis d’expulsion par l’office des étrangers, les jeunes participant-e-s à ce projet tri-national savent très bien ce que cela signifie. Dans le cadre du projet Etoiles au-delà des frontières, ils-elles se confrontent aux thèmes de la discrimination, de la fuite, de l’expulsion et des peurs que cela engendre. Les expériences sont traduites par des ateliers de danse, de théâtre-forum et de vidéo, favorisant ainsi une prise de conscience et l’élaboration d’outils pour sortir du statut de victimes. De là émerge une sorte de dialogue avec le public dans le but de contrer l’antitsiganisme ambiant dans toute l’Europe.
Depuis deux ans, ces rencontres de jeunes Roms de Serbie, d’Allemagne et de France s’organisent sur la base d’amitiés nées dans les luttes contre les expulsions des Roms en Allemagne au début des années 2000.
En effet, en 2002, l’Allemagne avait signé une convention de «réadmission» avec la Serbie pour le renvoi des réfugiés, venus lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Des milliers de Roms avaient aussi pris le chemin de l’exil et trouvé refuge en Allemagne. Souvent, ils y avaient fondé des foyers, scolarisé leurs enfants, trouvé du travail. Puis, vint brutalement l’ordre de partir, une catastrophe pour nombre d’entre eux car ayant tout perdu en ex-Yougoslavie, où aller? Comment élever des enfants qui souvent ne parlaient plus la langue serbe? Un retour dans un pays en grande difficulté, où la population avait le plus grand mal à subvenir à ses besoins, où régnait (et règne toujours!) un racisme anti-rom notoire et où les temps de guerre et de misère n’arrangent pas la situation.
En Allemagne, une vaste campagne pour le droit de séjour des Roms, soutenue par les églises, s’était alors organisée pour tenter d’empêcher les expulsions des familles (déguisées sous le nom de «rapatriements»). Malgré cela, beaucoup ont dû partir.
Ainsi, Nedjat et Ivanka Sinani et leurs deux filles ont dû quitter la Ruhr, où ils avaient vécu des années durant, pour retourner à Belgrade, dans le quartier de Zémun, l’un des quartiers traditionnels habités par les Roms. Par bonheur, leur petite maisonnette avait été maintenue intacte par la famille du frère et la grand-mère. Désormais, tout le monde partage ce petit espace, avec une seule cuisine pour tout le monde.
Steffi et Katrin, deux jeunes femmes allemandes, avaient rencontré les Sinani lors d’une de ces grandes manifestations à Münster et s’étaient retrouvé-e-s à cuisiner ensemble pour un grand rassemblement sur la place publique. Une profonde amitié était née et ne s’est jamais brisée, malgré la distance imposée et le temps écoulé depuis l’expulsion de la famille vers la Serbie.
Depuis, Steffi a «émigré» vers le Sud et s’est retrouvée à Marseille, engagée à nouveau dans des projets de soutien aux jeunes issu-e-s d’immigrations diverses, dont des Roms, dans le cadre d’une association loi 1901: l’Artichaut. L’association a réussi à extirper à la spéculation immobilière un terrain vague au milieu du quartier de La Belle de Mai et a créé un jardin collectif et communautaire, le Jardin de Gibraltar, où ont lieu une panoplie d’activités avec des jeunes et moins jeunes: ateliers de jardinage, fêtes de quartier, plantations diverses, projections… Un vrai espace de respiration, de création et de lien solidaire, désormais soutenu par la mairie de Marseille.
Pour sa part, Katrin est restée à Münster en Allemagne et y a continué un travail semblable, toujours avec des jeunes en difficulté, cette fois-ci autour de la vidéo.
Lors d’une visite entre ces vieilles et vieux ami-e-s, en 2010 est née l’idée de créer des possibilités pour les jeunes Roms et des ami-e-s non-Roms de se rencontrer à travers les trois pays. Peut-on s’imaginer des jeunes Roms d’un quartier tel que Zémun voyager pendant leurs vacances scolaires vers un autre pays d’Europe, autrement que pour accompagner leurs parents dans leurs périples de recherche de survie? A peine.
Pourtant, en été 2012, une première rencontre s’est tenue à Marseille: 8 enfants et jeunes Roms de Belgrade accompagné-e-s par Ivanka et Nedjat, 8 jeunes Roms de Marseille et 7 Roms et leurs ami-e-s allemand-e-s, kurdes et congolaises de Münster. Durant une semaine, des amitiés se sont tissées dans toutes les langues, et à travers des ateliers de théâtre-forum, de danse hip-hop et de vidéo. Un tourbillon dans le Jardin de Gibraltar, à La Kuizine et dans toute La Belle de Mai, jusqu’aux plages de L’Estaque! Et beaucoup de larmes au moment de se quitter!
Puis, en été 2013, le mouvement s’est déplacé vers l’Allemagne du Nord, à Münster où une école d’intégration, la Uppenbergschule de Münster, a accueilli toute la joyeuse bande. Malheureusement, la plupart des enfants Roms de Marseille ne pouvaient pas faire ce déplacement, faute de papiers en règle ou de peur, de la part des parents, d’être expulsés durant l’absence de leurs enfants! On ne voyage pas facilement de ce côté-là non plus! Trois jeunes Français-e-s avec une histoire migratoire comorienne, un jeune Rom de Roumanie et une Franco-Malgache ont pu se joindre au voyage.
Lors de cette rencontre, le thème de la discrimination – hier et aujourd’hui – avait été choisi comme fil rouge du travail en ateliers. Des rencontres avec des témoins de l’histoire ont été également organisées. Horst Lübke, un Sinto de Münster, a raconté l’histoire de sa famille quasi entièrement exterminée par les nazis, et les longues années de discrimination qu’il avait subies après-guerre: une espèce d’assimilation forcée dont il n’est parvenu à sortir que depuis quelques années, en menant la lutte pour la reconnaissance du génocide des Roms et Sintis, durant la 2ème Guerre Mondiale, et pour leurs droits aujourd’hui. Lazlo Schwarz, juif hongrois au seuil de la mort à plusieurs reprises et rescapé toujours de justesse, a partagé son périple de gamin de 14 ans depuis le ghetto juif de Budapest jusqu’à Auschwitz et d’autres camps de travail ou d’extermination. A près de 90 ans, c’est un homme lucide et infatigable pour dénoncer l’insoutenable horreur et avertir les jeunes de ne plus jamais permettre des choses pareilles.
Dans les ateliers de théâtre et de danse-forum, le thème de la discrimination a été travaillé dans le but d’identifier, par le jeu ou la danse, les ressorts permettant de décortiquer des situations d’exclusion et de racisme et d’ainsi trouver des leviers pour un empowerment, un renforcement de l’auto-estime afin de dépasser des situations de domination. Ce furent des expériences extrêmement enrichissantes et édifiantes pour tout le monde.
Et pour l’été 2014, le groupe s’apprête à voyager à Belgrade! Sacrée entreprise! Les ami-e-s Roms de Zemun veulent nous accueillir dans leur quartier et nous faire visiter d’autres quartiers de Roms plus récents, beaucoup plus pauvres, aussi. Une compagnie de jeunes danseurs-euses de hip-hop roms animeront les ateliers danse et théâtre, un jeune cinéaste rom l’atelier vidéo. Nous visiterons l’ancien camp de concentration et d’extermination des juifs et tziganes, Staro Sajmiste au bord de la Sava, et travaillerons sur la guerre en ex-Yougoslavie, tout en essayant de ne pas trop écraser les jeunes avec cette histoire lourde et douloureuse. Mais, trouverons-nous des enfants Roms avec des papiers en règle, cette fois-ci? Seule une toute petite minorité possède des papiers et leur situation, en France, est simplement catastrophique. La plupart vit dans des conditions de grande misère et ils sont chassés constamment par la police et même parfois par les habitants des quartiers où ils tentent de s’installer.
Le projet Etoiles au-delà des frontières est organisé par l’association Balkan-biro e.V. Münster, l’association Vakti Belgrade et l’association L’Artichaut Marseille. Les échanges interculturels sont financés par l’OFAJ (Office Franco-Allemand de la Jeunesse) et par le Programme Europeans for peace de la Fondation Erinnerung, Verantwortung und Zukunft (EVZ - Mémoire, responsabilité et avenir).
Nos ami-e-s roms de Belgrade ne se contentent pas d’organiser ces rencontres une fois par an. Ils ont créé leur propre association, Vakti (il est temps) qui travaille toute l’année et dont le but est de favoriser toutes sortes de projets et d’échanges contre l’exclusion et la discrimination des Roms, en Serbie et ailleurs. Ils ont notamment lancé le programme, Djandi-Djando (Malin, Maline) d’éducation pour jeunes Roms du quartier, qui offre du soutien scolaire, des cours de langue, des événements culturels, des excursions, etc. Bien sûr, avec l’objectif de donner plus de chances à leurs enfants, d’élargir leurs possibilités et relations, mais toujours sur une base d’entraide, de partage et d’amitié. Un programme de formation informatique spécifique pour les filles est également prévu. Depuis quelques mois, un local a été loué dans le quartier et plusieurs fois par semaine s’y déroulent des après-midis de soutien scolaire, et d’autres activités culturelles.
Ce programme n’est soutenu par aucune entité officielle ou politique, si ce n’est par les associations L’Artichaut de Marseille et Balkan-biro de Münster, toutes deux à but non lucratif. Tout le travail est réalisé de façon horizontale et autogérée, coordonné par les différent-e-s acteurs-trices des trois pays. Nous sommes pour cela obligé-e-s de demander des soutiens. Un espace de collecte de fonds a été ouvert sur un site de collecte: <betterplace.org> (voir lien ci-dessous). Si vous y jetez un œil, vous y verrez des photos du lieu, un petit film et des ami-e-s qui tentent, avec énormément de difficultés, de faire tourner ce projet. Vous pouvez aider à le faire avancer, soit avec une contribution ponctuelle, soit en devenant une sorte de parrain ou marraine pour Vakti, en vous engageant à verser une somme régulière pour la pérennité du projet. Nous cherchons également des organisations ou institutions qui pourraient soutenir un tel projet. Si vous en connaissez, n’hésitez-pas à nous en faire part.

Un film documentaire a été tourné lors de la dernière rencontre en Allemagne qui s’intitule Devenir sans frontières et dure 65 minutes. Il donne une belle idée du travail avec les jeunes. Ce film peut être commandé et/ou des projections peuvent être organisées sur demande.
Pour tout contact (renseignements, organisation projections, parrainages, etc.):
<johanna.bouchardeau(at)gmail.com>.
Pour appuyer Vakti et notamment Djandi-Djando: <www.betterplace.org/p14710>.
Pour vous renseigner sur Vakti (en français, allemand, anglais): <www.vakti.org>.
Nous comptons sur votre soutien et vous remercions d’avance!