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L’article qui suit est un entretien avec Eberhard Schultz, un avocat engagé dans la sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, sur les effets de la lutte antiterroriste. Il a été réalisé par Peter Nowak du quotidien socialiste Neues Deutschland et publié le 20 décembre dernier.
Neues Deutschland: Pour vous qui êtes avocat des droits de l’homme, qu’y a-t-il de nouveau concernant les restrictions de liberté en cette ère de lutte antiterroriste?
Eberhard Schultz: Guantanamo et Abu Ghreib sont les signes annonciateurs d’une régression au statut moyenâgeux de proscrit, et ce à l’échelle planétaire. Je vois du nouveau dans la tendance à exclure des groupes de population en tant qu’ennemis et d’en faire des objets privés de tout droit, comme le requiert explicitement la doctrine du Feindstrafrecht 1. Pour cela on se réfère à certains éléments issus du paragraphe 129a2.
ND: Pensez-vous que l’évolution en Europe, et plus particulièrement en Allemagne, soit similaire à celle que connaissent les Etats-Unis?
ES: Absolument, il suffit de penser à ces ignobles débats sur la torture qui se greffent sur des détournements d’avion, des prises d’otages, etc., abondamment médiatisés. Ou à la complète abrogation de statut de requérants d’asile pour les personnes originaires d’Afghanistan, d’Irak ou de Turquie, pays où il n’y aurait plus à craindre de persécutions. Les premiers Kurdes qui avaient été reconnus comme persécutés politiques pour leur appartenance à des mouvements kurdes d’opposition viennent d’être livrés à la Turquie. Il faut aussi se rappeler des lois sur la sécurité de la circulation aérienne, cassées par la Cour constitutionnelle fédérale, qui prévoyaient, en cas de prise d’otage par de présumés terroristes, d’abattre l’avion, donc de causer la mort de centaines d’innocents.
De telles voix ne représentent pas seulement une autre république, mais aussi une autre Europe. Jusqu’à maintenant, sur la base d’un consensus établi par la convention européenne des droits de l’homme, le droit fondamental à la vie et à l’intégrité corporelle est reconnu, tout comme l’interdiction de la torture. Il ne peut être déclaré sans effet, même en cas de guerre ou d’état d’exception.
ND: Quelles sont les répercussions des fameuses listes noires sur les droits de l’homme?
ES: Pour les personnes concernées, cela signifie d’être étiquetées comme «terroristes» et de ce fait, de voir son compte en banque saisi. Avec la création d’une «liste des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme» , l’Union européenne n’a à fournir ni procédure écrite, ni preuve, il n’y a pas de procès donc aucune possibilité de recours. Dans le cas du professeur philippin Sison, reconnu réfugié politique aux Pays-Bas, nous avons réussi, avec l’aide d’une équipe de défense internationale, à faire déclarer cette pratique contraire à la convention par la Cour européenne de Justice de Luxembourg. En conséquence, le professeur Sison a été rayé de la liste, pour y être remis peu après sous un prétexte tout fait aberrant! Nous allons au-devant de nouvelles confrontations juridiques, cette fois avec le soutien plus large d’une opinion publique critique.
ND: Est-ce que vous percevez des signes d’une conscience plus grande du problème au sein de la justice?
ES: Oui. Récemment au Danemark, des vendeurs de T-shirts arborant des logos du FARC et du FPLP, accusés de ce fait de soutien au terrorisme, ont été acquittés. Des décisions comme celle-là, il y en a toujours, chez nous aussi, et à la Cour européenne des droits de l’homme. Même aux Etats-Unis, la Cour suprême a opposé un refus clair à la volonté d’instaurer à Guantanamo une zone de non droit. La bagarre sur le front juridique vaut la peine. Avec le soutien élargi de l’opinion publique, on peut espérer réussir à faire respecter par les autorités policières et administratives les droits obtenus de haute lutte devant les tribunaux.
droit pénal de l’ennemi, droit pénal qui exclut un groupe donné de personnes, celles considérées comme ennemis d’Etat, des droits constitutionnels du pays
Le paragraphe 129a fut introduit dans le cadre de la «campagne antiterroriste» contre la RAF et le Mouvement du 2 juin pour punir le fait de constituer une «organisation terroriste», d’y appartenir, de la soutenir et de lui faire de la publicité