L’auteure de cet article a été étudiante en France. Après son doctorat en psychologie sociale elle a travaillé pour des organisations internationales et a été ministre de la Culture et du Tourisme au Mali. En mai dernier, elle devait se rendre à Berlin à l’invitation de la gauche allemande (Die Linke) et à Paris à celle du NPA. Mais le gouvernement français a donné des instructions pour lui interdire l’espace Schengen. L’Allemagne lui a cependant accordé un (court) visa. Mais le territoire français lui est interdit. Pourquoi? A la lire, on a la réponse. (2ème partie)
L’interdiction de l’espace Schengen ne me vise pas en tant que femme mais elle démontre que celles qui refusent d’être instrumentalisées dans la défense des intérêts dominants peuvent être combattues. J’en fais la douloureuse expérience au niveau national depuis longtemps déjà, mais ne m’attendais pas à être ostracisée de la part du pays des droits de l’homme, précisément, au moment où mon pays est en guerre. Il viole ainsi la résolution 1325, relative à la participation des femmes à la prise de décision à tous les niveaux, à la prévention ou à la résolution des conflits ainsi qu’à la reconstruction.
Dois-je rappeler que le 8 mars 2013, Journée Internationale des Femmes, le Président François Hollande répondait à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy qui s’interrogeait sur la présence de l’armée française au Mali, qu’elle y est allée «parce qu’il y avait des femmes victimes de l’oppression et de la barbarie! Des femmes à qui l’on imposait de porter le voile! Des femmes qui n’osaient plus sortir de chez elles. Des femmes qui étaient battues!».
A propos de voile, je suis l’une des rescapées maliennes et sahéliennes de l’analphabétisme qui tente de déchirer celui, pernicieux, de l’illettrisme économique qui maintient les Africains dans l’ignorance la plus totale des politiques néolibérales et fait d’eux du bétail électoral. Le Président Hollande se montrerait-il si intraitable quant à la date de l’élection présidentielle au Mali s’il avait devant lui un électorat malien qui place la souveraineté économique, monétaire, politique et militaire au cœur du débat politique?
A propos des femmes qui «n’osaient plus sortir de chez elles», je sortais jusqu’ici librement de mon pays et parcourais tout aussi librement l’Europe et le monde. Quelle que soit l’issue de la situation que je traverse en ce moment, elle ne peut qu’être dissuasive pour les autres Maliennes et Africaines qui ont envie de comprendre le monde global et de lutter pour ne pas le subir mais en être des citoyennes averties et actives.
Aide au développement ou militarisation
Au djihadisme armé il faut, semble-t-il, une solution armée. La voie est ainsi ouverte dans un pays comme le nôtre aux achats d’armement au lieu d’analyser et de soigner le radicalisme religieux qui prospère là où l’Etat, ajusté et privatisé, est nécessairement carencé ou tout simplement absent.
Faire l’âne pour avoir du foin, est le comportement qui prévaut dans ce contexte de pauvreté généralisée tant au niveau des Etats que de certaines organisations non étatiques. Et la guerre – comble de l’horreur – est aussi une occasion d’injecter de l’argent frais dans notre économie exsangue.
Déçue par les hésitations et les lenteurs de l’Europe dont la solidarité s’est traduite jusqu’ici par la formation de l’armée malienne et de certains soutiens bilatéraux, la France invite au partage de l’effort financier entre Européens dans la défense de leurs intérêts stratégiques en Afrique de l’Ouest. D’autres bailleurs de fonds y seront associés.
Le 15 mai 2013 à Bruxelles, les bailleurs de fonds examineront le plan d’actions prioritaires d’urgence (pour 2013 et 2014). Les ressources qui seront mobilisées (ou annoncées) profiteront-elles au peuple malien, qui ne sait plus où donner de la tête ou irrigueront-elles les mêmes circuits économiques selon les mêmes pratiques qui ont aggravé la pauvreté et les inégalités.
Dans le cadre de la reprise de la Coopération, le ministre français délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement, annonce 240 millions d’euros destinés à financer l’agriculture, les services de base dont l’eau et l’électricité dans les régions du nord, le retour des populations.
C’est le lieu de rappeler que Tripoli, la capitale Libyenne, a abrité, les 29 et 30 novembre 2010, le Troisième Sommet Afrique-UE où le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, a accueilli, en grande pompe, les dirigeants de 80 pays africains et européens.
La création d’emplois, les investissements et la croissance économique, la paix, la stabilité, les migrations et le changement climatique étaient à l’ordre du jour de ce sommet. Les participants s’étaient mis d’accord sur un «plan d’action» pour un Partenariat Afrique-UE de 2011 à 2013.
L’UE a, à cette occasion, réaffirmé son engagement à consacrer 7% de son PNB à l’aide publique et au développement d’ici 2015 et d’affecter 50 milliards d’euros aux objectifs généraux du partenariat envisagé entre 2011 et 2013. Nous sommes en 2013 et fort loin des objectifs de développement du Millénaire et des voies et moyens de les atteindre en 2020. Car le ver est dans le fruit.
La paix, la réconciliation et la reconstruction du Mali, n’ont aucune chance d’aboutir si elles doivent reposer sur des arrangements politiciens en vue d’engranger l’«aide extérieure». L’Etat, ou ce qui en reste, ainsi que les rebelles se battent et négocient dans le cadre du même paradigme qui a aggravé le chômage, la pauvreté et les tensions. Les différends se règlent en termes d’investissement, dans les infrastructures, le lieu par excellence de l’enrichissement rapide et de la corruption. La liste des travaux d’infrastructures mal exécutés ou non réalisés est longue. Elle explique en partie le mécontentement des populations du septentrion qui souffrent pendant que des maisons individuelles poussent au su et au vu de tout le monde grâce aux détournements de fonds et l’argent du narcotrafic.
Osons une autre économie
Rien ne sera plus comme avant. Ce qui était difficile risque de l’être davantage avec la militarisation qui absorbera des ressources dont nous avons cruellement besoin pour l’agriculture, l’eau, la santé, le logement, l’environnement et l’emploi.
Opération Serval, Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA), Mission Intégrée de Stabilisation Multidimensionnelle des Nations unies, la défense de notre pays et notre sécurité, avant d’être militaire, est d’abord un défi intellectuel, moral et politique.
Je me suis reconnue dans les propos du candidat François Hollande lorsqu’il déclara qu’«il est temps de choisir une autre voie. Il est temps de choisir une autre politique». Ce temps est, assurément, venu et pour la France et pour ses anciennes colonies d’Afrique. Il est celui des transitions économiques, sociales, politiques, écologiques et civilisationnelles qui n’ont rien à voir avec la feuille de route de la «communauté internationale». Elles renvoient à un changement de paradigme.
Que les dirigeants africains qui ont intériorisé le discours mensonger sur l’inéluctabilité de cette guerre afin d’en finir avec le péril djihadiste ne s’y trompent pas: l’effet de contagion qu’ils redoutent, tient moins à la mobilité des djihadistes qu’à la similitude des réalités économiques, sociales et politiques induites par le modèle néolibéral.
Si les chefs djihadistes viennent d’ailleurs, la majorité des combattants sont des jeunes maliens sans emplois, sans interlocuteurs, sans perspectives d’avenir. Les narcotrafiquants puisent, eux-aussi, convoyeurs et revendeurs de drogue parmi la même jeunesse désemparée.
La misère morale et matérielle des jeunes diplômés, des paysans, des éleveurs et d’autres groupes vulnérables constitue le véritable ferment des révoltes et des rébellions qui, mal interprétées, alimentent, de l’intérieur bien des réseaux. La lutte contre le terrorisme et le crime organisé, sans effusion de sang, au Mali et en Afrique de l’Ouest passe par l’analyse honnête et rigoureuse du bilan des trois dernières décennies de libéralisme sauvage, de destruction du tissu économique et social ainsi que des écosystèmes. Rien n’empêche les centaines de milliers de jeunes Maliens, Nigériens, Tchadiens, Sénégalais, Mauritaniens et autres, qui viennent chaque année grossir le nombre des demandeurs d’emploi et de visas, de rejoindre le rang des djihadistes si les Etats et leurs partenaires techniques et financiers ne sont pas capables de remettre le modèle néolibéral en question.
L’indispensable convergence des luttes
Je plaide pour un élan de solidarité qui prenne le contre-pied de la militarisation, nous restitue notre dignité, préserve la vie et les écosystèmes.
Tout irait dans le bon sens si les 15.000 soldats étaient des enseignants, des médecins, des ingénieurs et si les milliards d’euros, qui vont être dépensés, étaient destinés à ceux et celles qui en ont le plus besoin. Nos enfants n’auraient pas à aller se faire tuer en soldats mal payés, en narcotrafiquants ou en fous de Dieu.
Nous nous devons de nous atteler, nous-mêmes à la tâche primordiale de la transformation de notre moi profond, ébranlé et de notre pays meurtri. L’avantage considérable de l’approche systémique est la détribalisation des conflits au profit d’une conscience politique qui réconcilie et rassemble ceux que l’économie mondialisée broie. Touareg, Peulh, Arabes, Bamanan, Sonrhaï, Bellah, Sénoufos cesseraient de s’en prendre les uns aux autres et se battraient ensemble et autrement.
Cette approche altermondialiste nous rend notre «dignité» dans un contexte où nous avons tendance à culpabiliser et à nous en remettre, poings et pieds liés, à une «communauté internationale» juge et partie.
Elle plaide pour la convergence des luttes à l’intérieur des frontières entre les différentes composantes de la société éprouvées par la barbarie du système capitaliste qui ne veulent ni se résigner ni se soumettre. Elles doivent explorer ensemble des alternatives à la guerre.
Les Etats libéraux ayant privilégié la guerre et investi dans les armes de destruction des vies humaines, du lien social et des écosystèmes, innovons à travers la bataille des idées et convoquons une conférence citoyenne au sommet pour l’autre développement du Mali, en vue de desserrer l’étau de la mondialisation capitaliste. Il s’agit d’instaurer le débat sur la relation entre politiques néolibérales et chaque aspect de la crise: chômage endémique des jeunes, rébellions, mutineries, coups d’Etat, violences faites aux femmes, radicalisme religieux.
Un travail inédit et intense d’information et d’éducation citoyenne dans les langues nationales, permettra aux Maliens de parler enfin entre eux de leur pays et de leur avenir.
Parce que tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, nous revendiquons juste notre droit à:
- une autre économie, de manière à disposer des richesses de notre pays, et à choisir librement des politiques qui nous mettent à l’abri du chômage, de la pauvreté, de l’errance et de la guerre;
- un système politique véritablement démocratique, parce qu’intelligible pour l’ensemble des Maliens, décliné et débattu dans les langues nationales, fondé sur des valeurs de culture et de société largement partagées;
- la liberté d’expression et de circulation.
Rendez-nous les clés de notre pays!
La France officielle qui déclare urbi et orbi que nous n’avons «pas d’Etat digne de ce nom», ni «d’armée digne de ce nom», considère certainement que nous n’avons pas non plus d’existence en tant que peuple pour aller jusqu’à se demander «à qui remettre les clés» et à exiger l’organisation de nos élections en juillet 2013. Elle s’accommode par ailleurs de l’annulation de la concertation nationale - qui devait nous permettre de prendre ensemble entre Maliens le pouls de notre pays. Elle s’accommode tout autant de l’état d’urgence instauré, puis prolongé une première fois, et une seconde fois de manière à «sécuriser» la transition.
Je n’ai pas le sentiment que la «guerre contre le terrorisme» ait apporté la paix en Irak, en Afghanistan et en Libye, et que les casques bleus ont su garantir aux populations de la République Démocratique du Congo et en Haïti la sécurité que celles-ci étaient en droit d’attendre d’eux.
Mais je suis persuadée qu’il y a en chaque Malienne et chaque Malien un-e soldat-e, un-e patriote qui doit pouvoir participer à la défense de ses intérêts et du Mali à partir d’une bonne connaissance de son état réel dans l’économie mondialisée.
La réponse à l’insupportable question de Claude Lellouche est claire: le Mali est à rendre aux Maliens. Nous pouvons en prendre le plus grand soin parce que, comme Bouna Boukary Dioura l’a rappelé, nous savons, nous les peuples du Sahel que les rochers finissent par fleurir à force d’amour et de persévérance.
Rendez les clés du Mali au peuple malien!