Du 14 au 16 octobre, à La Haye, Pays Bas, se tenait le tribunal «d’opinion» contre Monsanto. C’est le résultat d’une initiative de la société civile, coordonnée par le Forum Civique Européen et marrainée par Marie Monique Robin, réalisatrice du documentaire «Le monde selon Monsanto». En parallèle, l’Assemblée des peuples réunissait 750 personnes de 30 nationalités différentes sous forme d’ateliers.
Quels en sont les objectifs? Vérifier si Monsanto respecte les lois internationales, celles que la firme s’est fixées à elle-même et enrichir le droit international grâce aux 24 témoignages des victimes, experts, scientifiques et avocats présents, puis demander l’inscription dans le traité de Rome du terme d’»écocide» pour que le Tribunal Pénal International puisse juger ces entreprises pour crime contre l’environnement et la biodiversité. Cinq juges de renommée internationale ont participé à cette initiative inédite et ont présidé cette audience pour émettre «un avis consultatif d’autorité, autrement dit, des outils juridiques sur les questions de responsabilité et de réparation» comme l’a exprimé la juge Mme Tulkens.
Coupable?
Aujourd’hui, la société civile s’indigne devant Monsanto car trop de situations alarmantes se cumulent jusqu’à l’inacceptable. Cela commence par la destruction de 4000 semences paysannes en Colombie par le gouvernement suite à l’accord de libre-échange, le brevetage du vivant qui supprime l’autonomie alimentaire puis la famine d’agriculteurs malgré la promesse de «nourrir le monde» scandée par le géant. Ensuite, l’augmentation significative des déformations infantiles et des maladies épigénétiques provoquant diabète, obésité, maladies rénales, autisme (1 enfant sur 3 naît avec des symptômes d’autisme aux USA1) liée à l’apparition et l’augmentation de l’utilisation des glyphosates. D’autre part, l’appauvrissement des terres: au début de l’ère Round Up, un paysan épandait 1 litre par hectare, aujourd’hui, il doit en mettre entre 8 et 10 car les herbes deviennent trop résistantes2; l’endettement des fermiers: utiliser les semences et herbicides de Monsanto coûte le double à un agriculteur; la fin de la diversité des espèces, par exemple il n’existe pratiquement plus de maïs paysan aux Philippines.
Les moyens de pressions sont tentaculaires: l’entreprise a ses juristes et peut adapter la mise sur le marché de ses produits en fonction des lois nationales, ce qui explique pourquoi la majorité des pays continuent à utiliser certains agro-toxiques interdits en France, aux USA, au Canada et en Australie. Elle soudoie des scientifiques qui diffament sans scrupules des études comme celle de Gilles-Eric Serralini (qui gagne tous ses procès en diffamation). Elle subventionne des organismes comme le SMC (Science Media Center). Elle emploie des lobbyistes dans les sphères publiques et privées, menace financièrement et licencie les opposants... Dans la logique concurrentielle du capitalisme, Monsanto s’y connaît, l’entreprise désinforme, ne recule ni devant la destruction du vivant, ni devant la corruption.
Projets d’avenir
Monsanto-Bayer, Syngenta-Chem China et Dow-Dupont ne s’arrêtent pas à la possession des graines, leur stratégie de développement et leurs «innovations technologiques» sont effrayantes: tout d’abord ils se ravalent et se rachètent, bientôt ce seront 3 groupes qui posséèderont près de 60% du marché des semences. Ensuite, l’interférence par ARN «est une technique de pulvérisation pour pouvoir contrôler les gènes sans modifier le génome de la plante, c’est-à-dire sans créer d’OGM»3 et encore une fois, ils contournent les lois, ceci dans le but de créer par exemple des cacahuètes non allergisantes ou du café déjà décaféiné! Pour finir, ils rachètent les data bases sur les génomes, ce qui leur permet d’expérimenter le gene drive, une technique de manipulation génétique qui permet de booster la propagation d’une mutation dans une population. En relâchant simplement quelques individus qui possèdent une portion d’ADN élaborée par l’homme (appelée cassette gene drive) dans une population naturelle, on peut théoriquement obtenir en quelques dizaines de générations une population entièrement contaminée par la cassette gene drive4. Objectif: ôter le gène résistant au Round Up sur les herbes indésirables. Ils sont dorénavant capables aujourd’hui d’orienter l’évolution du vivant, un moratoire a déjà été déposé aux USA.
Il n’y a pas de vide juridique
Plusieurs avocats à la fin du tribunal ont mis en lumière la multitude de protocoles et de conventions internationales qui existent déjà, qui garantissent le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire. L’un d’entre eux, Koffi Dogbevi, a dit «il n’y a pas de vide juridique». Comment est-il encore possible que ces multinationales continuent leurs crimes organisés impunément? Face à elles, il est nécessaire de donner à la société civile les mêmes armes et les matériaux juridiques requis pour lancer des procédures. C’est bien là l’enjeu de ce tribunal.
En ce qui nous concerne, nous, la société civile, nous n’allons pas attendre la fin de la longue bataille juridique qui s’engage ici. Plusieurs pays représentés pendant ces quelques jours ont exposé leurs victoires, obtenues grâce à une coalition citoyenne ou des mouvements populaires. En Argentine, Nature of Right Argentina mène 2 procès depuis 2008 et grappille peu à peu des modifications de lois comme l’arrêt de la fumigation à côté des cours d’eau ou des écoles. En Colombie, après la destruction des semences, à force de mobilisation, la population a finalement obtenu le droit d’utiliser ses propres semences (mais pas d’échanges, ni de don). Au Burkina Faso, le coton Bt devait permettre l’augmentation des rendements et la réduction de pesticides. Suite à l’échec de ces cultures, à la destitution de Traoré, le nouveau gouvernement burkinabé a interdit l’utilisation des OGM. Pour terminer, le Sri Lanka a été le premier pays du monde à avoir interdit des produits contenant du glyphosate5 après avoir recensé des centaines de milliers de personnes touchées par des problèmes rénaux (dont 20.000 en sont morts).
«Ils peuvent couper toutes les fleurs, ils n’arrêteront jamais le Printemps.» Pablo Neruda
Roberto S. et Julie C.
Plus d’infos: www.monsanto-tribunal.org
- Beecham et Seneff, Is there a link between autism and glyphosate-formulated herbicides?, 2016; Samsel et Seneff, Glyphosate’s suppression of Cytochrome P450 Enzymes and Amino Acid Biosynthesis by the Gut Microbiome: Pathways to Modem Disease, Entropy, 2013.
- <www.reduas.fcm.unc.edu.ar/statem t-from-the-1st-national-meeting-of-physicians-in-the-cropsprayed-towns/>.
- <http://www.infogm.org/6009-ogm-pulverisation-arn-solution-biologique-vraiment?lang=fr>.
- Morizot, Orgogozo. Faut-il relâcher le «gene drive» dans la nature? Enjeux civilisationnels des «OGMs sauvages». 18 mai 2016.
- L’interdiction date de 2014. Devant la pression de Monsanto, le gouvernement a finalement réintroduit l’utilisation du produit dans les zones non touchées par cette maladie.