ACTUELLES: Ni frontières, ni nations, ni contrôle social

18 juin 2002, publié à Archipel 95

Le réseau No border, où se retrouvent des collectifs de divers pays, des groupes autonomes d’immigré-e-s ou de sans-papiers, lance l’initiative d’un campement contre les frontières, du 19 au 28 juillet 2001 à Strasbourg. Strasbourg abrite en effet diverses institutions européennes (le Parlement européen et la Cour européenne des Droits de l’Homme) ainsi que le SIS, noyau du système de contrôlecentralisé

Ni frontières, ni nations
Actuellement, la liberté de mouvement et d’installation est accordée, ou plus souvent refusée, aux personnes, selon des critères discriminatoires, suivant leurs pays d’origine, sexe, diplômes, statut familial, social, indépendamment de leur statut particulier. La liberté d’installation fait peur à beaucoup. L’idée selon laquelle «on ne peut pas accueillir toute la misère du monde» est un lieu commun qui cache le refus de questionner les origines d’une certaine profusion de biens matériels en Occident... Les menaces «d’invasion» ne sont à l’heure actuelle que des fantasmes xénophobes entretenus par les pouvoirs politiques. Il est néanmoins clair que l’ouverture nécessaire des frontières va pour nous de pair avec la remise en cause d’un système global d’exploitation qui, en piétinant la vie de la majorité de la population mondiale, incite un nombre croissant de personnes à espérer se réfugier dans les quelques pays qui pillent les autres et accumulent toutes les richesses. L’émigration résulte de la recherche légitime de conditions de vie meilleures ou différentes. Actuellement elle est aussi et surtout une conséquence du capitalisme mondialisé: de l’exploitation économique, de la répression politique, de la destruction des ressources naturelles et des guerres générées partout sur la planète. Pour faire face à ces problèmes, il faudrait changer en profondeur notre système économique et politique néo-colonialiste, et permettre aux habitant-e-s des pays dit «pauvres» une autonomie économique et politique. Mais les pays de l’Union préfèrent se protéger d’une situation explosive à court terme en transformant l’Europe en forteresse à même de repousser les assauts de ceux et celles qu’elle appauvrit et affame. Partout autour de l’Europe se construisent ainsi des murs de la honte avec leurs camps, leur armada technologique et militaire, s’appuyant sur des lois racistes et la passivité complice de la majeure partie de la population. Des centaines de personnes meurent chaque année en essayant d’entrer dans la forteresse, ou en s’en faisant brutalement expulser. L’Europe de Schengen crée aussi une classe sociale dont elle profite abondamment: les sans-papiers. En effet, le système de frontières ne peut et ne cherche de toute façon pas réellement à empêcher toute immigration. Il engendre au contraire une catégorie de population sans droits (sécurité sociale, logements, droits liés au travail légal, recours à la justice), vivant dans une peur constante (contrôles policiers, problème de santé, mauvais traitements, expulsions, salaires non payés), réserve de main-d’oeuvre exploitable à merci (textile, ménage, BTP, travail sexuel). Bref, il offre aux entreprises une «délocalisation sur place», tout en permettant aux gouvernements de refermer la vanne et d’expulser au besoin.

Ni contrôle social Depuis quelques années et à un rythme accéléré depuis le 11 septembre 2001, le capitalisme tente de démultiplier ses appareils répressifs. Au niveau mondial, c’est le renforcement des régimes forts dans les pays pauvres, l’extension illimitée des pouvoirs de police, ainsi que le vote de législations d’exception en Occident. Il s’agit de renforcer le contrôle et la standardisation du quotidien de chaque habitant-e de l’Union, en ciblant particulièrement les populations issues de l’immigration et les pauvres. En Europe, après la proposition d’un corps anti-émeute européen pour «optimiser» encore la répression sanglante orchestrée lors des contestations anticapitalistes de Prague, Göteborg ou Gênes, c’est à présent le projet de mandat d’arrêt européen et l’adoption d’une législation «antiterroriste» commune qui sont à l’ordre du jour. Des lois spécifiquement adaptées au terrorisme existent depuis déjà bien longtemps dans chaque pays européen. Ces nouvelles législations «trompe-œil» ne visent clairement qu’à étendre la notion de terrorisme à toute forme de contestation réelle du système en place. Ces lois pourront s’appliquer à diverses formes de désobéissance civile, d’action directe et d’action syndicale (atteinte à la propriété privée, occupation de locaux publics, information politique). En effet, le flou des nouvelles lois menace quelques droits encore concédés par les systèmes législatifs européens: des personnes pourront par exemple être durement condamnées en dehors même de la gravité, au vu de la loi, des actes réalisés. Le simple fait que ces actes soient estimés avoir été commis en raison d’une idéologie visant à une transformation radicale de la société en fera des actions potentiellement jugées comme terroristes. Le jeu sur la notion d’intentionnalité pourrait même permettre de punir des personnes qui n’ont pas encore commis de délits, si elles sont jugées avoir eu l’intention de les commettre. Le mandat d’arrêt européen permettra l’extradition automatique d’un pays de l’Union de n’importe quel individu, si celui-ci ou celle-ci est poursuivi-e pour un acte jugé criminel (par exemple l’homosexualité ou l’avortement en Irlande, la participation aux manifestations de Gênes en Italie) dans un autre pays européen. Cette initiative d’harmonisation par le pire échappe totalement aux contrôles sur l’extradition habituellement exercés par les pouvoirs politiques et judiciaires de chaque pays. La répression, elle, ne s’embarrasse pas de frontières! En France, les Lois sur la Sécurité Quotidienne (LSQ) votées en novembre pour accompagner le plan vigipirate au moins jusqu’en 2003 sous couvert de lutte antiterroriste, sont le dernier avatar du contrôle social et légalisent certaines pratiques déjà courantes. (...)

Dans le but de faire accepter toutes ces mesures, les politicien-ne-s développent actuellement, avec succès semble-t-il, une paranoïa sécuritaire. Nous ne pouvons que respecter la volonté d’un grand nombre de personnes de vivre dans une certaine «sécurité»: ne pas se faire exploiter, licencier, affamer, blesser au travail, agresser dans la rue par la police ou par quiconque, ne pas vivre à la merci de l’explosion d’une quelconque usine ou des expérimentations de l’industrie agro-chimique. Mais un système fondé sur la possession des biens de consommation, sur la domination de son prochain-e, sur l’accumulation inégale des richesses implique frustrations, haines d’autrui, autoritarisme, possession par la force des biens ou des êtres humains et catastrophes écologico-industrielles en tout genre. Le système étatique et capitaliste a beau jeu de justifier ensuite sa police, ses juges et ses prisons et d’en ajouter toujours plus à mesure que s’accroît son hégémonie. Pour échapper à cet engrenage infernal et espérer assurer une réelle «sécurité» pour toutes et tous, il nous faut inventer et expérimenter des rapports sociaux égalitaires et non marchands fondés sur l’autonomie des individus, l’entraide et la solidarité.

Pour des infos supplémentaires:

www.noborder.org;

www.noborder-strasbourg.fr.st
Pour soutenir financièrement l’organisation du campement, chèques ou bulletin de versement, mention no-border, au Forum Civique Européen (Suisse ou France).

Le Campement de Strasbourg
Il est temps de rompre avec le fatalisme et de reprendre l’initiative: nous cherchons à agir concrètement contre les instruments du contrôle d’Etat, contre les différentes formes d’exploitation des migrant-e-s et des populations. Dans le cadre de cette lutte, le réseau No border lance l’initiative d’un campement contre les frontières du 19 au 28 juillet 2001 à Strasbourg. Suivant les affinités et pôles de lutte de chacun-e, les cibles et thèmes du campement seront diversifiés (double peine, violences policières, Organisation Internationale pour les Migrations, patriarcat, prisons, expulsions, racisme, ...). Le campement permettra une diversité d’actions directes (manifestations publiques, théâtre et fête de rue, actions en banlieues, forums et occupations, radios pirates, …) dans une perspective de complémentarité, d’échanges sur nos pratiques et d’expérimentation sur nos modes d’organisation. Il sera l’occasion de quantité de discussions internationales et d’ateliers, nous avons l’intention de créer pendant dix jours un laboratoire de résistance créative et de désobéissance civile. Le système capitaliste divise les gens, nous voulons nous unir dans un monde sans frontières. Nous voulons dépasser la débrouille individuelle, mettre en commun nos forces et relier des gens qui se placent dans une perspective d’émancipation anticapitaliste avec des pratiques politiques différentes et des expériences locales variées. Nous ne voulons pas être simplement réactif-ve-s et nous contenter de dénoncer le capitalisme. La revendication de «liberté de mouvement et d’installation» s’insère dans la construction positive d’une autre société. Comme nous l’avons auparavant souligné, la volonté d’ouvrir les frontières implique aussi de transformer radicalement les rapports Nord-Sud, de s’attaquer à la société de consommation et au capitalisme. Il nous faut pour ce faire développer ici et maintenant d’autres types d’échanges, d’autres structures politiques, économiques et sociales. Le campement pourra être un espace d’expérimentation et de réflexion sur ces alternatives radicales. En déterminant nos propres lieux et temps de présence, d’action et de communication, nous cherchons également à dépasser de manière constructive la stratégie de contre-sommet et à contourner la spirale répressive, dans laquelle on cherche à engluer le renouveau de la contestation anticapitaliste.
Nous invitons toutes les personnes intéressées à venir participer à cet événement international, à contribuer à son organisation et à le soutenir.