Olga Widmer est partie cet été en Palestine pour participer à la réalisation d’un film sur la vie quotidienne dans la bande de Gaza. Nous publions aujourd’hui la deuxième partie des billets quasi-quotidiens qu’elle nous a envoyés pour nous tenir au courant des péripéties de son séjour.
Un petit mot 27/07/04: Le tournage se déroule très bien et nous passons beaucoup de moments très intéressants avec les Gazaouïs. Nous avons passé la journée avec Abu Akhram, le vendeur de raisin. Nous l’avons rejoint à cinq heures du matin pour le filmer lorsqu’il cherche les fruits dans la vigne. Puis nous l’avons suivi jusqu’au marché où il a marchandé toute la matinée avec ses clients. C’est une personne très drôle et qui adore être filmée. L’après-midi, nous avons tourné chez lui pendant la sieste et avec ses petits-enfants. Demain, nous regarderons toutes les images filmées pour que Wissam traduise un peu ce qui a été dit.
PS: ne vous inquiétez pas pour moi, nous sommes dans des lieux sûrs et nous sommes toujours ensemble.
Un anniversaire à Gaza 31/07/04: Hier, comme a si bien dit Wissam, j’ai perdu un an de ma vie mais gagné un an d’expérience. Eh oui, j’ai eu 27 ans à Gaza. Le soir, nous avons invité sur la plage tous nos amis pour fêter mon anniversaire. Je n’oublierai jamais cette grande tablée. J’ai reçu plein de cadeaux: une belle chemise de nuit rose avec des fleurs brillantes, un tableau et de la musique créés par des amis de Wissam (Sam utilisera peut être leurs compositions pour son film), une boîte à musique avec un palmier qui tourne, c’est kitsch et génial, des roses en tissu qui s’éclairent et enfin un gâteau immense que Wissam a commandé dans l’entreprise de son père. C’était une belle occasion pour que l’on puisse à notre tour offrir un repas à nos amis. Shady et Hamada avaient apporté une guitare et un oud et nous avons fini la soirée à les écouter jouer. Adria, une vieille femme exceptionnelle a également chanté des chants égyptiens. Elle a un caractère très fort et ceux qui la connaissent disent qu’elle a pris le rôle du mari dans sa maison. Ses enfants ont hérité de sa personnalité, comme sa fille qui a divorcé lorsque son mari a pris une deuxième femme. Mercredi soir, nous avions dormi chez Adria car Ramy est son neveu. A l’aube, nous l’avons filmé lorsqu’il quitte sa maison. Nous avons ensuite suivi Ramy dans la boulangerie où il cherche le pain et les biscottes puis dans le magasin où il est vendeur et coureur de jupons... Mercredi, les Israéliens ont tiré des missiles et des balles sur différents endroits de la bande de Gaza. Le matin, nous avons été réveillés à deux reprises par des explosions. Le soir, dans la famille d’Adria nous avons appris qu’un de leurs petits-fils avait été touché par une balle. L’enfant était allé voir se qui se passait non loin de chez lui. Sur une dune, il rampait et les Israéliens l’ont pris pour un terroriste. Heureusement aucun organe vital n’a été touché. Le chauffeur de taxi venu le secourir a aussi été pris pour cible. Il a eu de la chance, les balles l’ont seulement blessé. Jeudi prochain, nous passerons la journée dans la maison d’Adria. Nous sommes tous tombés sous le charme de cette famille qui dégage une énergie et une joie folle.
Lorsque je découpais le gâteau, un hélicoptère a survolé Gaza pour détruire la maison d’une femme martyre. Après la déflagration, les voix se sont tues mais elles ont très vite repris de plus belle. La vie continue.
Gaza camp 04/08/04: Nous découvrons chaque jour un peu plus la vie des Gazaouis et elle n’est décidément pas facile. Joss a passé une journée chez Fatma, la fille d’Adria. Après sa visite, Joss était secouée. Elle nous a raconté le quotidien de Fatma qui vit avec sa belle famille. Son mari est épileptique à la suite des coups donnés par son père. Fatma n’a pas d’emploi et son mari travaille pour l’Autorité mais les salaires ont beaucoup de retard. Cette famille n’est pas une exception. La violence est omniprésente, on frappe celui qui est plus faible ou plus petit que soi. La promiscuité dans les camps de réfugiés crée énormément de conflits dans les familles et entre voisins. Mohamad, un jeune pêcheur, très drôle et qui nous a raconté des blagues, nous a dit qu’il était fatigué de cette vie. Le travail, la vie dans les camps l’épuisent. Beaucoup de jeunes ne tiennent plus à la vie. Le petit-fils d’Adria, dont je vous ai parlé dans le dernier mail car il avait été blessé, était en fait parti au check point pour mourir. Il avait mis dans son sac à dos un pistolet en plastique et s’était dirigé dans la zone de tir pour en finir. Il a dit à Joss qu’il n’en pouvait plus de la méchanceté des voisins. Ce soir, les Israéliens ont survolé la bande de Gaza avec les avions militaires. Le bruit était terrifiant, nous ne pouvions plus parler et les vitres vibraient. C’est une des manières de rappeler leur présence et de faire peur. Ils ont également lancé des fusés éclairantes sur la mer pour surveiller les allées et venues des bateaux. L’effet est romantique! Le tournage avance doucement mais sûrement. Nous avons filmé tous les personnages du film au travail et réalisé des entretiens. Demain, nous allons commencer à filmer la famille d’Adria.
Départ de Gaza 09/08/04: Nous avons quitté aujourd’hui la bande de Gaza. Ce soir, nous sommes de retour à Jérusalem et jeudi nous volerons sur Paris. Hier, nous avons passé l’après-midi à faire nos adieux. C’était dur mais nous nous consolions en pensant à notre retour à Gaza pour le prochain tournage en avril 2005. Je n’ose pas imaginer notre tristesse lorsque le film sera fini. Nous devrons absolument trouver un autre projet pour revoir nos amis. Le passage au check point d’Herez a duré trois heures et demie. C’était la routine et je ne veux pas m’étendre sur cette ignominie qui se perfectionne de jour en jour. Cette fois un chien dirigé par talkie walkie a reniflé nos affaires et les gâteaux des femmes. Pour elles, c’était affreux car pour les musulmans, les chiens ne doivent pas toucher la nourriture et son emballage.
Le retour 14/08/04: Un petit mot pour clôturer mes récits de Gaza. Nous sommes finalement rentrés à bon port. Nos amis les agents de sécurité ont eu la gentillesse de nous délester d’une partie de notre matériel, nous étions vraiment trop chargés. «C’est la procédure mademoiselle, nous devons garder votre caméra, je ne peux rien faire, je suis désolé» , étaient les seules explications. Ils ont gardé l’ordinateur de Joss, la mixette son, le pied caméra, mon dentifrice, ma bouteille d’Arak, ma crème de nuit et j’en passe. Ils ont abîmé un de mes cadeaux. Nous devrions recevoir tout cela dans les jours à venir après qu’ils aient été contrôlés sous toutes les coutures.
Olga Widmer
Olga Widmer participait, en tant que cadreuse, au tournage d’un documentaire réalisé par Samuel Albaric sur la vie quotidienne dans la bande de Gaza. Ce film montre également la photographe Joss Dray à l’œuvre. Certaines des personnes qu’elle a photographiées ces dernières dix-sept années avaient été retrouvées lors du premier tournage en mars 2004 et sont devenues les personnages principaux du documentaire de Samuel Albaric.